Tractations diplomatiques autour de la frontiere turco-armenienne

Le Figaro, France
26 janvier 2007

Tractations diplomatiques autour de la frontière turco-arménienne

Istanbul LAURE MARCHAND

DEUX CENT soixante kilomètres hérissés de miradors, un no man’s land
de part et d’autres des barbelés : la frontière est fermée depuis
1993… L’Arménie indépendante avait juste deux ans quand la Turquie
a interrompu ses relations diplomatiques. Paradoxalement, c’est
l’assassinat du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink, le 19
janvier, qui pourrait amorcer le dégel de ce statu quo qui dure
depuis quatorze ans : un contact entre Erevan et Ankara a été établi
lors des obsèques. Mercredi, après avoir présenté ses condoléances à
la famille du rédacteur en chef d’ Agos, le vice-ministre arménien
des Affaires étrangères, qui avait fait le déplacement pour les
funérailles, a fait le premier pas : « Le souhait de l’Arménie est
d’établir des relations diplomatiques sans condition (…). D’autres
pays maintiennent des liens entre eux malgré leurs difficultés. »
L’invitation d’Arman Kirakosian a reçu un accueil mitigé de la part
du gouvernement turc.

Conflit du Haut-Karabakh Prudent, le premier ministre, Recep Tayyip
Erdogan a répondu qu’il « ne serait pas sérieux de (se) prononcer
sans connaître la teneur de la proposition faite par l’Arménie » .
Abdullah Gül, le ministre des Affaires étrangères s’est montré
davantage réceptif, tout en soulignant les difficultés d’une reprise
des négociations : « Nous n’avons aucune hostilité envers notre
voisin, mais il doit également modifier son comportement envers nous.
» La réouverture de la frontière turco-arménienne se heurte à
plusieurs écueils. D’abord, la reconnaissance des massacres
d’Arméniens commis par l’Empire ottoman en 1915, que les autorités
turques persistent à qualifier de « soi-disant » génocide. Erevan
n’en fait pas une condition sine qua non. De son côté, Ankara réclame
que l’Arménie s’engage à reconnaître le tracé de la frontière, fixé
lors du traité de Lausanne en 1923. Il y a aussi le conflit au
Haut-Karabakh, en Azerbaïdjan, allié de la Turquie : les autorités
turques avaient justement fermé la frontière, en rétorsion à
l’occupation par Erevan de cette enclave à majorité arménienne.
Malgré ces multiples entraves, un haut responsable du gouvernement
turc s’est entretenu pendant deux heures avec le ministre Kirakosian
sur ce sujet, dévoile une source turque qui y voit « un signe très
positif, une première dans les relations bilatérales » . Comme Hasan
Cemal, éditorialiste du quotidien de centre gauche Milliyet , qui
souhaite que la mort de Hrant Dink « ouvre la porte de l’amitié avec
l’Arménie », une large frange de l’opinion publique ne s’oppose pas à
la réouverture de la frontière. La question est moins sensible que
celle du génocide arménien. « Les partis de l’opposition se
déchaîneront contre une reprise du dialogue, avant les échéances
électorales, estime le journaliste politique Mehmet Ali Birand.
Néanmoins, il y a un climat propice au sein du gouvernement, qui
pourrait enfin tenir là une occasion de se mettre à la table des
négociations. »