L’anthologie de la poésie arménienne en langue arabe, de Julie Moura

L’Orient-Le Jour, Liban
29 nov 2013

L’anthologie de la poésie arménienne en langue arabe, de Julie Mourad –

Édition

Une lacune vient d’être comblée. Nombreux sont les ouvrages
parcellaires consacrés à la poésie arménienne en langues étrangères.
Aujourd’hui, avec « Shou3araaouna, sani3ou majd Arminia » (Nos poètes,
faiseurs de la gloire de l’Arménie), en langue arabe, de Julie Mourad
(Dar al-Mourad, 443 pages), une invitation au voyage est lancée dans
l’univers du Parnasse du pays de Sayat Nova.

Edgar DAVIDIAN | OLJ
29/11/2013

Un livre-coffret (plus de 2 kg), lourd comme une paire de briques et,
par conséquent, difficilement manipulable, luxueusement édité. Aux
confins des ouvrages d’art avec couverture cartonnée et papiers glacés
pour des pages ornées de fragments de dessins tirés des enluminures
les plus anciennes au monde, cette édition reliée de la poétique
arménienne (de surcroît dans une bonne traduction en langue arabe) est
d’une nouveauté spectaculaire et éclairante.

Dans sa richesse de fragments de toiles illustrant et accompagnant les
poèmes et l’élégance d’un graphisme aéré et aérien pour des lettres
imprimées dans une calligraphie digne des plus talentueux calligraphes
arabes, elle ouvre une fenêtre de culture et de connaissance, aussi
bien historique que littéraire et picturale – un travail remarquable
pour la partie illustrative – surtout pour des lecteurs non versés ou
initiés à la langue de Grégoire l’Illuminateur.

Compilation sélective qui dépasse par sa qualité d’impression, surtout
d’illustration, l’anthologie de Rouben Melik, en langue française,
fourmillante d’informations lors de sa parution en 1973.
Avec Nos poètes faiseurs de la gloire de l’Arménie de Julie Mourad,
romancière et traductrice, le lecteur est devant un ouvrage donnant
sur un riche panorama, non seulement de l’art poétique du pays du mont
Ararat, mais aussi de la spécificité et la variété de l’inspiration de
ses maîtres du pinceau et de la palette. Car au souffle des mots
correspondent ici le chant et le lyrisme des couleurs, comme une
marche à deux au tempo et aux ondulations indissociables.

Des temps les plus reculés au rythme speedé du monde contemporain, de
l’invention lumineuse de l’alphabet en trente-huit lettres par Mesrob
Machots jusqu’à nos jours, des moments de la foi des premiers
chrétiens, (les Arméniens étant les enfants aînés de l’Église), aux
années de plomb et de sang du génocide, en passant par les remous de
l’histoire, de la libération du joug soviétique et de la diaspora,
tous les vocables, les évocations, les invocations et les images sont
là.

En préambule, appendice, préface ou postface, des mots d’introduction,
de présentation et des commentaires de plusieurs intellectuels et
hommes politiques et religieux influents. On retient surtout
l’intervention de Serge Sarkissian, président de la République
d’Arménie, et de celle de Michel Eddé au texte respirant non seulement
une analyse subtile mais une amitié chaleureuse.
Et s’égrène le chapelet d’historiens, de virtuoses des images et des
mots, des chroniqueurs au verbe d’or ou d’acide, des inspirés de tous
crins touchés par la grce de Dieu, de l’amour, de la patrie, de la
sensualité, de la nuit, de la beauté de la nature, de la nostalgie, de
la solitude, de la solidarité, de la liberté, de la libération, des
émotions, du rêve, de l’action, du combat.

De Movses Khorenatsi à Henrig Etoyan (c’est-à-dire de l’ère 440 à la
frénésie contemporaine), les voyants et les mages, acteurs
amplificateurs de la vie, témoignent. Et tissent, avec leurs vocables
aux sonorités tendres ou sifflantes, les tableaux changeants du temps
qui passe et d’une histoire mouvementée. Histoire d’un pays qui a
toujours fait face avec dignité et tempérament à l’adversité. Avec un
inaliénable credo pour les grandes valeurs morales, patriotiques et
religieuses.

Dans le rang de ces «battants», plus de trente-cinq noms,
soigneusement sélectionnés, avec notice biographique et extraits
traduits de leur `uvre respective. Sont répertoriés dans ce peloton,
sans que cette nomenclature soit exhaustive, Hovannes Shiraz, Vahé
Vahian, Kegham Sarian, Missak Medzarents, Gostan Zarian, Daniel
Varoujan, Vahan Tékéian, Avedik Isajakian, Arhag Tchobanian, Bedros
Tourian, le trouvère Nahabet Kouchag et bien d’autres…

À cela s’ajoute la partie réservée aux artistes-peintres. Sans
mentionner ces reproductions ou fragments de toiles maîtresses du
panthéon pictural du pays de l’Araxe. À l’intérieur des frontières et
au c`ur de la diaspora aux quatre points cardinaux. Ainsi que les
Khatch Kar (ces célèbres pierres tombales sculptées), les tapis (ces
merveilleux kali et gorg) aux motifs ramagés et aux couleurs
éclatantes, les dentelles finement tissées, les détails délicats de
superbes enluminures où croix et symboles de la foi chrétienne
s’imbriquent. Accessoires visuels panachés ornant fastueusement, telle
une chevauchée fantastique, les poèmes déployés ici à tout vent…

Plus de soixante pages, pour plus d’une cinquantaine de peintres
d’envergure internationale, avec planches colorées illustratives, sont
dédiées aux parcours, à la musicalité et aux résonances des mots. On
retrouve avec plaisir et émerveillement le monde, entre autres, de
Toros Roslin, Ivan Aivazovski, Martiros Sarian, Yervant Kochar, Robert
Elibekian, Minas Avetisian, Galentz, Arshille Gorky, Carzou, Jansem,
Serguey Parajanoff…

Un livre riche d’images, jetant avec efficacité, en langue arabe, la
lumière sur les sources et le dédale de la poésie arménienne. Document
agréable et utile pour l’échange des cultures, à garder dans toute
bibliothèque. Ou tout simplement à offrir en cadeau à l’approche des
fêtes, car découvrir et mieux connaître les autres, c’est déjà s’en
rapprocher…

http://www.lorientlejour.com/article/844784/lanthologie-de-la-poesie-armenienne-en-langue-arabe-de-julie-mourad.html