L’affaire Safarov devant l’APCE

CONSEIL DE L’EUROPE
L’affaire Safarov devant l’APCE

Jeudi 4 octobre 2012 à 15 h 30 heures

Un débat sur l’affaire Safarov dans l’enceinte de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe n’a pas débouché sur l’adoption
d’une résolution ou d’un document. 24 allocutions ont été prononcées.

LE PRÉSIDENT- L’ordre du jour appelle enfin notre débat d’actualité
sur l’affaire Safarov.

Je vous rappelle que le débat d’actualité est limité à une heure et
demie et que l’Assemblée a décidé de limiter le temps de parole des
orateurs à 3 minutes.

En revanche, le premier orateur, désigné par le Bureau parmi les
initiateurs du débat, dispose, quant à lui, d’un temps de parole de 10
minutes.

La parole est à M. Chope, premier orateur désigné par le Bureau.

M. CHOPE (Royaume-Uni )* – J’ai donc le grand plaisir d’introduire ce
débat d’actualité que la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme a réclamé. La commission a également été chargée par
le Bureau de suivre cette affaire, après que nous eûmes appris que M.
Safarov avait été transféré de Hongrie en Azerbaïdjan, où il avait été
amnistié à peine débarqué.

Le 6 septembre, la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme a débattu de cette affaire et a considéré qu’il s’agissait
d’un problème d’une extrême gravité, au regard de la primauté du
droit. C’est dans ce contexte que j’inscris mes remarques liminaires.

Le 19 février 2004, alors qu’il assistait à un séminaire « Partenariat
pour la paix » de l’OTAN, Ramil Safarov, un lieutenant de l’armée de
l’Azerbaïdjan, a assassiné le lieutenant arménien Gourguen Markarian
avec une hache. Il a été condamné en Hongrie pour assassinat à un
minimum de trente ans de prison, mais il a bénéficié de l’article 12
de la Convention de Strasbourg sur le transfèrement des prisonniers.
C’est ainsi que le 31 août 2012, il a été rapatrié vers son pays, où
il a été amnistié par le Président azerbaïdjanais et promu au rang de
commandant. Il a même récupéré l’équivalent de huit années de solde.

Le Président du Conseil de l’Europe, le Secrétaire Général, le
Commissaire aux droits de l’homme ont bien sûr condamné cette
amnistie, l’esprit de la Convention, qui vise à faciliter la
réhabilitation des prisonniers et leur transfert dans leur pays
d’origine, ayant de toute évidence été bafoué. Certains semblent
considérer que M. Safarov est innocent du crime pour lequel il a été
condamné et emprisonné. Pourtant, au mot « Amnistie », mon
dictionnaire de droit indique : pardon accordé par le pouvoir
législatif, qui décide qu’un individu est exonéré de la peine qui lui
a été infligée pour un crime qu’il a commis. Il s’agit donc d’effacer
une peine et de pardonner à un criminel. En l’occurrence, M. Safarov a
été dûment jugé et condamné à une très lourde peine pour son crime.

Pourquoi donc M. Safarov a-t-il été transféré de sa prison hongroise
vers l’Azerbaïdjan ? Parce qu’il a demandé son transfèrement en vertu
des dispositions de la Convention précitée, qui a été adoptée en 1983
et qui a été ratifiée par un grand nombre d’Etats membres du Conseil
de l’Europe ainsi que par d’autres pays.

Selon le préambule de la Convention de Strasbourg, le but du Conseil
de l’Europe étant de réaliser une union plus étroite entre ses membres
pour une bonne exécution de la justice et pour faciliter la
réhabilitation des prisonniers, les prisonniers étrangers devraient
avoir la possibilité de purger leur peine dans leur Etat d’origine. »
Suit une série de dispositions qui organisent concrètement les
transfèrements.

Parmi celles-ci, l’article 12 dit que chaque partie peut amnistier le
condamné ou commuer sa peine conformément à son droit national, ce qui
vient contredire le reste de la Convention. C’est ainsi qu’une fois M.
Safarov transféré en Azerbaïdjan, les autorités de ce pays ont décrété
avoir le droit de l’amnistier et cela dans le juste respect du droit
de l’Azerbaïdjan.

Pour la commission juridique, on ne parle pas ici de la lettre de la
loi, mais de l’Etat de droit. Que reste-t-il de la loi et du droit si
un criminel, condamné à une peine très lourde, peut, de retour dans
son pays, bénéficier du pardon et être traité en héros ? Ne
bafoue-t-on pas ainsi tous les principes de la justice ? L’Etat de
droit impose pourtant que l’on respecte aussi les principes du droit
international vis-à-vis des meurtriers.

Plusieurs résolutions de l’ONU traitent du conflit entre l’Azerbaïdjan
et l’Arménie et de la question du Haut-Karabakh. Le Conseil de
Sécurité de l’ONU se considère d’ailleurs comme saisi en permanence de
la question. Mais il est vrai que, malgré toutes ces résolutions, rien
n’a avancé. Le processus de Minsk est en cours depuis des années et
n’avance pas non plus ! C’est la raison pour laquelle les deux parties
en conflit considèrent qu’elles sont libres de bafouer la loi !

Nous devons persuader la communauté internationale de s’atteler
sérieusement à la recherche d’une solution au conflit entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan, car il a des répercussions pour le Conseil de
l’Europe et cela pose un problème de prééminence du droit, notamment
en ce qui concerne les prisonniers qui devraient purger leur peine et
non être traités en héros à leur retour dans leur pays.

Mes chers collègues, une amnistie est un acte de pardon laissé à la
discrétion des autorités. Mais dans certains pays, c’est la porte
ouverte à toutes formes d’arbitraire et, de fait, cette disposition
s’avère contradictoire avec les principes de prééminence du droit.
Nous devons en tout cas condamner ce qui s’est passé, mais, surtout,
essayer de lutter contre ces abus si nous voulons que nos pays
puissent continuer à cohabiter au sein du Conseil de l’Europe de
manière pacifique.

LE PRÉSIDENT – Dans la discussion générale, la parole est à M.
Rochebloine, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. ROCHEBLOINE (France) – Les conditions scandaleuses dans lesquelles
le criminel Ramil Safarov a été transféré aux autorités de son pays
sont trop largement connues pour que je ne les rappelle pas ici
longuement.

Mais tout de même, comment ne pas s’indigner lorsqu’un homme, condamné
à la réclusion à perpétuité en 2006 pour un assassinat commis en 2004,
se retrouve libre à peine six ans après sa condamnation et de plus
promu commandant et même fêté en héros national en Azerbaïdjan !

Aussi voudrais-je exprimer ma profonde compassion à la famille de
Gourguen Marguarian, à qui on vient d’infliger, huit ans après sa
mort, une nouvelle et cruelle douleur.

Je voudrais également m’associer à l’indignation légitime de la nation
arménienne et aux nombreuses réactions internationales.

Mais au-delà de sentiments indispensables de solidarité, ce dramatique
événement m’amène à exprimer de sérieuses inquiétudes.

D’abord, pour le processus de règlement du conflit dit du
Haut-Karabakh. Souvent par le passé, les parlementaires français qui
soutiennent la République d’Artsakh ont été accusés de méconnaître les
dispositions pacifiques du président Aliev et de l’Azerbaïdjan. Mais
enfin, quel crédit peut-on accorder à un homme qui fait d’un lche et
d’un assassin un héros national ? Comment négocier avec un pouvoir qui
ne parle pas le langage des gens de bonne foi, qui tord le sens commun
des mots au bénéfice de ses mauvaises causes ?

Ensuite, pour les valeurs qui nous sont communes. Le droit à un procès
équitable est considéré par la Convention européenne des droits de
l’homme comme un droit fondamental de l’homme. Il a pour contrepartie
l’obligation de respect des décisions de justice conformes à ce droit.
Nul n’a contesté que la condamnation de Ramil Safarov ait été
prononcée dans le plus strict respect des principes fondamentaux des
nations civilisées. Que le gouvernement hongrois la réduise à néant au
mépris de sa propre justice est un échec pour la cause des droits de
l’homme, auquel notre Assemblée devrait être particulièrement
sensible.

Enfin, pour la cohésion de l’Europe politique. Même si elle est de la
responsabilité exclusive de M. Orban, la libération de Safarov crée un
trouble qui porte préjudice à toute l’Union européenne. Un
gouvernement qui est prêt à vendre la dignité d’une grande nation pour
faire éponger ses dettes par un dictateur du pétrole, quelle honte
pour son pays, quelle honte pour l’Europe !

Autant d’observations qui me paraissent justifier une enquête
approfondie, au sein de notre Assemblée, sur les véritables causes et
les conséquences probables de l’affaire Safarov.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Lord Anderson, au nom du Groupe socialiste.

Lord ANDERSON (Royaume-Uni)* – Je partage tous les propos de M. Chope,
mais j’aimerais ajouter que ce débat ne porte pas sur le Haut-Karabakh
et que nous ne prononçons pas un nouveau jugement contre M. Safarov.

Plusieurs questions sont à poser : pourquoi l’Arménie n’a-t-elle pas
été consultée ? Pourquoi les Hongrois se sont-ils contentés de
manifester leur mécontentement ? Nos collègues hongrois peuvent-ils
nous affirmer qu’ils n’avaient aucun intérêt économique ou autre
derrière ce transfèrement ? On a entendu parler de 3 milliards, promis
en obligations…

Chers collègues azerbaïdjanais, comment réagiriez-vous si c’était
l’Arménie qui pardonnait à un assassin, arménien, d’un soldat
azerbaïdjanais ?

Est-il vrai que le gouvernement de l’Azerbaïdjan a affirmé à la
Hongrie que M. Safarov purgerait une peine d’au moins 25 ans ? Si oui,
comment une telle garantie a-t-elle pu être donnée sans qu’ensuite le
verdict soit exécuté ? En effet, dès son arrivée, M. Safarov a été
gracié, sa solde des huit dernières années lui a été versée et un
merveilleux appartement a été mis à sa disposition ! Un tel
comportement – qui est un véritable encouragement au meurtre – a un
impact le plus négatif possible sur l’ensemble de la région et
constitue un obstacle à la réconciliation, ainsi qu’à la solution du
problème régional.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Brasseur, au nom de l’Alliance des
démocrates et des libéraux pour l’Europe.

Mme BRASSEUR (Luxembourg) – La communauté internationale et notre
Organisation ont été choquées par l’affaire Safarov. Le Groupe de
l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe partage
l’indignation exprimée par le Président de notre Assemblée, le
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le Commissaire aux droits
de l’homme : l’héroïsation des criminels ne peut tout simplement pas
être tolérée.

Nous avons été consternés par les tentatives de blanchir le meurtrier,
qui aurait tué pour défendre « l’honneur national et la dignité du
peuple » azerbaïdjanais. J’espère que chacun dans cet hémicycle refuse
que l’honneur national serve d’excuse à un crime aussi grave que
l’atteinte à la vie humaine, protégée par le deuxième article de la
Convention Européenne des Droits de l’Homme, le principal document de
notre Organisation.

Cette affaire nous rappelle malheureusement que l’incapacité ou
l’absence persistante de volonté de deux Etats membres du Conseil de
l’Europe de régler pacifiquement le conflit qui les oppose depuis des
années a des conséquences tragiques et cause la perte de vies
humaines. L’héroïsation du crime commis par Safarov ne fait que
renforcer la haine entre les deux peuples et rend le travail de
réconciliation encore plus difficile.

Mais l’affaire Safarov dépasse le cadre des relations déjà tendues
entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Nous devons nous demander quel genre
de dysfonctionnement ou de mauvaise volonté a pu rendre possible un
détournement aussi malhonnête des instruments de coopération
internationale dans le domaine pénal ?

Le gouvernement de l’Azerbaïdjan doit comprendre que de tels actes de
glorification du crime mettent en question la crédibilité du pays et
de ses engagements auprès de ses partenaires internationaux.

Je souhaite, pour finir, exprimer toute ma compassion à la famille de
la victime. Monsieur Chope, je crois en effet que la commission des
questions juridiques doit se saisir de cette question !

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Woldseth, au nom du Groupe
démocrate européen.

Mme WOLDSETH (Norvège)* – J’étais très inquiète lorsque j’ai entendu
que le transfèrement de Safarov de la Hongrie vers l’Azerbaïdjan avait
ravivé les tensions avec l’Arménie. De nombreux Etats membres du
Conseil de l’Europe ont connu l’occupation et des conflits. Nous
souhaitons tous, au sein de cette Assemblée, que les conflits entre
Etats membres soient résolus le plus rapidement possible. Nous
travaillons tous activement en ce sens.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe constitue une
enceinte où des représentants de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie peuvent
se rencontrer. Ici, nous n’avons pas peur d’aborder les questions
difficiles.

L’affaire Safarov a été traitée par le système judiciaire hongrois et
nous n’avons pas à intervenir dans ce domaine. En revanche, notre rôle
est de formuler des recommandations à destination des Etats membres
afin qu’ils respectent leurs engagements vis-à-vis de la Convention
européenne des droits de l’homme.

Nous devons également lutter contre l’impunité. Il est important qu’un
pays comprenne comment ses actes peuvent être interprétés par les
autres. Au nom de mon groupe, j’aimerais donc souligner qu’il est de
la plus haute importance que l’Arménie et l’Azerbaïdjan entament le
dialogue.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Kox, au nom du Groupe pour la gauche
unitaire européenne.

M. KOX (Pays-Bas)* – Il me semble que nous nous éloignons du sujet
dans ce débat ! Il s’agit d’évoquer une affaire précise et non un
conflit en général.

A la question de savoir si un prisonnier peut purger une partie de sa
peine dans son pays d’origine, la réponse est oui, en vertu de la
convention de Strasbourg du Conseil de l’Europe. Ce droit doit être
protégé. L’entrée en vigueur de cette convention a constitué un
véritable progrès. C’est l’un des grands succès du Conseil de
l’Europe.

Safarov a commis un crime en Hongrie et, en vertu de la convention de
Strasbourg, a été autorisé à purger le restant de sa peine dans son
pays d’origine, l’Azerbaïdjan. A son retour dans son pays, il a été
immédiatement gracié par le président, qui a prétendu que l’article 12
de la Convention l’y autorisait.

Nous devons être fiers de notre convention et la préserver. Or, dans
le cas présent, elle a été bafouée. C’est aussi une violation
flagrante de la primauté du droit, comme l’a si éloquemment rappelé M.
Chope.

Le Groupe pour la gauche unitaire européenne demande au gouvernement
de l’Azerbaïdjan de reconsidérer les derniers événements, qui
constituent une véritable violation de la Convention.

Il y a à peine une heure, cette Assemblée a adopté à une forte
majorité un code de conduite des membres de l’Assemblée. L’article 18
dispose que les parlementaires doivent respecter les valeurs de
l’Organisation et ne rien faire qui puisse décrédibiliser l’Assemblée
et ses membres. Quiconque refusera de condamner le gouvernement de
l’Azerbaïdjan bafouera cet article !

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Vejkey.

M. VEJKEY (Hongrie)* – Chers collègues, tous les aspects du
transfèrement ont été réalisés conformément à la Convention de
Strasbourg de 1983 sur le transfèrement des personnes condamnées. La
procédure s’est déroulée de manière transparente. La façon dont M.
Safarov a été transféré en Azerbaïdjan correspond bien à la pratique
généralement adoptée par la Hongrie en pareil cas. Toutes les
déclarations selon lesquelles l’affaire aurait été influencée par les
relations énergétiques entre la Hongrie et l’Azerbaïdjan ne
correspondent pas aux faits.

Puisque les conditions spécifiées dans la Convention sur le
transfèrement des personnes condamnées étaient respectées dans
l’affaire Safarov, son transfèrement a été autorisé par le ministère
de l’Administration publique et de la Justice le 31 août 2012. La
Hongrie a agi au mieux, et les aspects humanitaires ont également été
pris en compte.

Le Gouvernement hongrois a été atterré d’apprendre que l’Azerbaïdjan
avait décidé d’amnistier Ramil Safarov. La Hongrie refuse et condamne
cet acte de l’Azerbaïdjan. La grce présidentielle immédiate viole
l’essence même de la convention de Strasbourg de 1983.

Cet acte présidentiel est en contradiction claire avec les engagements
de l’Azerbaïdjan en la matière qui ont été confirmés par le ministre
adjoint de la justice de la République d’Azerbaïdjan dans son courrier
du 15 août 2012 adressé au ministère de l’administration publique et
de la justice de Hongrie.

Le 2 septembre 2012, le secrétaire d’Etat du ministère des Affaires
étrangères, M. Zsolt Németh, a convoqué Vilayat Guliyev, ambassadeur
d’Azerbaïdjan en Hongrie, afin de l’informer de la position du
Gouvernement hongrois, et lui a transmis une note diplomatique.

Le transfèrement de Safarov était une question strictement judicaire
qui n’était pas dirigée contre l’Arménie, et ne doit pas être
considérée comme une insulte envers le peuple arménien.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Rouquet.

M. ROUQUET (France) – Mes chers collègues, l’affaire Safarov touche
aux valeurs qui sont au c`ur de notre institution. Un homme a tué un
autre homme, l’a massacré à coups de hache, pour satisfaire à une
pulsion nationaliste d’un autre ge. La victime ne lui avait rien
fait, M. Safarov ne la connaissait même pas. Mais M. Margarian avait
le tort d’être arménien. M. Safarov, condamné en Hongrie, à la prison
à vie pour ce meurtre odieux a été libéré, extradé vers son pays par
les autorités hongroises et promu par le président Aliev dès son
retour.

Nous sommes particulièrement préoccupés de voir que le Gouvernement
hongrois, en extradant un assassin, a joué avec le feu dans un
contexte géopolitique régional où les braises ne sont pas éteintes.
Cet acte risque de compromettre la sécurité fragile du sud Caucase,
mais aussi la sécurité des Arméniens dans le monde.

Mais ce qui s’est passé au retour de M. Safarov en Azerbaïdjan est
encore plus grave. Accueillir M. Safarov en héros, le glorifier pour
avoir massacré un arménien, c’est faire l’apologie de l’intolérance et
de la haine nationaliste. « Plus jamais ça », ces mots qui furent à
l’origine de la création du Conseil, signifiaient : plus jamais de
haine meurtrière en Europe.

Célébrer M. Safarov, sans égard pour la famille de M. Margarian, c’est
porter atteinte au respect de la vie. Ce n’est pas digne d’un pays
membre du Conseil de l’Europe.

Certains, en Azerbaïdjan, ont cherché à justifier ce geste comme une
conséquence logique du conflit du Haut-Karabakh. Mais comme l’a
affirmé avec raison le Parlement européen le 14 septembre dernier, la
frustration dans l’absence de progrès dans le processus de paix sur le
Haut-Karabakh ne saurait justifier des actes de vengeance.

Cet assassinat, et cela le rend d’autant plus odieux, a eu lieu lors
d’une réunion dans le cadre du « partenariat pour la paix » – oui,
pour la paix ! Aujourd’hui nous sommes inquiets des conséquences
néfastes de cet acte sur le processus de Minsk, dont la France est un
acteur important. L’affaire Safarov est un mauvais signe pour la paix
et la stabilité dans la région du Caucase.

Monsieur le Président, vous avez fait de la résolution des conflits
gelés une priorité de votre présidence, et nous nous en félicitons.
L’Assemblée parlementaire ne saurait rester spectatrice face à cette
affaire : comme dans l’affaire du bateau errant en Méditerranée, elle
doit prendre une initiative forte et jouer son rôle de vigie des
droits de l’homme. Il en va de la défense de nos valeurs et du
processus de paix dans le Caucase, il en va de l’honneur de notre
institution.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Harutyunyan.

M. HARUTYUNYAN (Arménie)* – Chers collègues, les faits sont bien
connus. Un individu condamné à la prison à vie par un tribunal
hongrois a été transféré en Azerbaïdjan, puis gracié et libéré dès son
arrivée dans ce pays. Or, dans la motivation de son arrêt, le juge
hongrois avait souligné la préméditation du crime, sa brutalité, et
l’absence totale de regrets de la part de M. Safarov.

Ce crime odieux est aujourd’hui glorifié, justifié et même récompensé
par un Etat membre de l’Assemblée. Je remercie le Président de
l’Assemblée, le Secrétaire Général et le Commissaire aux droits de
l’homme d’avoir immédiatement et sans ambiguïté condamné cet acte.
Mais aucune autorité officielle d’Azerbaïdjan n’a exprimé de regrets.
Au contraire, on ne cesse de propager des discours racistes et
xénophobes contre les Arméniens.

Juste après la condamnation unanime de cette grce par le Président de
l’Azerbaïdjan dans l’affaire Safarov, les responsables de ce pays ont
commencé à diffuser dans les médias des informations fabriquées sur un
prétendu complot arménien en vue de commettre un attentat terroriste.
C’est un chemin dangereux, car afin de prouver ses allégations, le
régime d’Azerbaïdjan est parfaitement capable de créer des
provocations afin d’incriminer l’Arménie et les Arméniens. La
communauté internationale devrait être consciente de ces tactiques
dignes du KGB. De plus, afin de justifier le meurtre, des officiels de
haut rang de la République d’Azerbaïdjan ont trompé la société
azerbaïdjannaise en prétendant que Safarov avait commis ce meurtre en
défendant l’honneur du drapeau azerbaïdjannais, ou parce qu’il avait
été témoin du meurtre de ses proches ou même de sa s`ur par des
Arméniens. Ces allégations ont été totalement écartées par le
tribunal.

Soyons clairs : les tentatives de rattacher cette affaire au contexte
régional ne sont que des efforts pour un meurtre, et le dédain pour
les décisions de justice. Cette affaire ne concerne pas les relations
entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Il s’agit d’une question d’exécution
des peines et de respect des droits fondamentaux, en l’occurrence du
droit à la vie. Une Convention du Conseil de l’Europe ne saurait en
aucun cas justifier la libération d’un meurtrier.

Dans cette affaire, un Etat membre et ses dirigeants, de manière
délibérée et sans le moindre remords, propagent et soutiennent la
haine et l’intolérance à l’égard d’une nation et récompensent un
meurtrier.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Agramunt.

M. AGRAMUNT (Espagne)* – Tout d’abord, je me félicite que nous
puissions avoir ce débat. En tant que rapporteur chargé de l’un des
Etats impliqués, il est évident que ce débat est très important pour
moi. Il est probable que nous allons entendre des avis très
certainement radicalement contradictoires de la part des deux parties
au conflit.

D’un point de vue personnel, j’éprouve un sentiment de rejet face aux
agissements inacceptables du Gouvernement de la République
d’Azerbaïdjan. Mais je veux comprendre les aspects relatifs à
l’application de la convention internationale et du droit national, ce
qui n’est pas clair jusqu’à présent.

La proposition de M. Chope est tout à fait bonne. La commission de
suivi n’a pas suffisamment étudiée la question. Je le ferai lorsque je
me rendrai dans ce pays au mois de novembre. La commission de suivi va
participer à cette réflexion. J’espère que la commission des questions
juridiques nous aidera à comprendre ce qui s’est passé exactement
entre les trois parties, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Hongrie du
point de vue juridique.

Nous sommes face à un conflit gelé, redevenu actif. Le Haut-Karabakh,
la Transnistrie, le Kosovo, l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie, Chypre etc.
il existe de nombreux conflits gelés en Europe que nous n’avons pas
été capables de résoudre, j’espère que nous y parviendrons dans un
avenir proche.

Je salue l’initiative du Président de l’Assemblée. Il a reçu les
présidents des délégations des deux pays pour voir si l’on peut
avancer. Ce conflit remonte à plus de 20 ans ! A la commission de
suivi, un collègue a reconnu qu’un pays occupe 20 à 30 % du territoire
d’un autre. On compte des centaines de milliers de réfugiés. Rien ne
justifie l’acte perpétré par Safarov et rien ne justifie l’agissement
du gouvernement de l’Azerbaïdjan. Mais je veux examiner toutes les
facettes, toutes les vérités que nous pourrons entendre. J’espère que
cet après-midi tout sera dit avec élégance, sans se montrer du doigt
et sans des accusations trop fortes.

LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Naira Zohrabyan.

Mme Naira ZOHRABYAN (Arménie)* – Chers collègues, ce qui s’est passé
le 31 août, peut être considéré comme l’un des événements les plus
honteux de nos jours. La Hongrie, membre de l’Union Européenne, a
extradé à Bakou Ramil Safarov qui a assassiné à coups de hache, durant
son sommeil, l’officier arménien Gurguen Margaryan. L’assassin a été
gracié dès son arrivé à Bakou, car « l’arménophobie » et «
l’arménocide » sont les plus grands actes d’héroïsme en Azerbaïdjan.
Cet accord honteux a été conclu devant le monde civilisé. Le monstre,
qui a tué à la hache l’officier arménien pour des motifs ethniques, a
été accueilli en héros national dans son pays natal. Parmi les gens
qui l’accueillirent à l’aéroport, se trouvaient aussi des députés de
cette organisation. La décision de transfert de Safarov confirme le
fiasco absolu de la justice et des valeurs paneuropéennes. Le criminel
Safarov est devenu non seulement l’indicateur de la partialité de la
justice européenne, mais aussi l’une des plus grandes hontes de
l’Europe qui porte pourtant des valeurs universelles.

Chers collègues, ces derniers temps, nous avons été les témoins des
agissements de l’Azerbaïdjan qui a acheté avec son caviar et ses
pétrodollars des officiels et des députés européens, ce qui est
vraiment déshonorant.

La Hongrie a extradé Ramil Safarov. Si l’Europe, les organisations et
les autorités européennes et notre Assemblée n’entreprennent pas des
démarches concrètes envers l’Azerbaïdjan, la justice et les valeurs
européennes seront mises en danger.

Il sera alors clair et compréhensible pour tous, que jamais, jamais,
le Haut-Karabakh ne pourra faire partie d’un Etat, où l’assassinat
pour motifs ethniques est considéré comme l’héroïsme le plus grand
pour un pays.

L’Azerbaïdjan est capable d’acheter des médailles d’or olympiques, de
payer une rançon énorme pour un monstre peureux qui ne peut que tuer
des gens à la hache durant leur sommeil. Cependant une chose est sûre
et certaine, un pays ayant une société dégradée, donnant naissance à
des Safarov et les portant au rang de héros national, doit être
condamné par le monde civilisé.

Je termine mon intervention avec l’observation du publiciste
azerbaïdjanais Yussif Soufin : « Par cette démarche, l’Azerbaïdjan
fortifia dans le milieu international son type de pays qui élève les
assassins au rang de héros ».

Nous devons évaluer raisonnablement cette situation et nous demander
si un pays dont le héros national est un assassin, a le droit d’être
membre de notre famille.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Abbasov.

M. ABBASOV (Azerbaïdjan)* – Aujourd’hui nos collègues d’Arménie font
tout pour politiser les actes des autorités de l’Azerbaïdjan
concernant la grce accordée à Ramil Safarov. Cela est pleinement
conforme au droit international et à la loi de l’Azerbaïdjan.
Considérant que M. Safarov avait déjà purgé 8 ans, le président de
l’Azerbaïdjan a pardonné à cet officier d’un pays en conflit, par un
acte souverain qu’il pouvait parfaitement effectuer.

Cela fait vingt ans que l’Arménie occupe 20 % de l’Azerbaïdjan. Cela
crée des difficultés durables. Ce conflit a provoqué un gros problème
de réfugiés, de déplacés intérieurs et a maintenu la tension dans
l’ensemble du Caucase du sud. Il faut trouver une solution rapide à la
situation du Haut Karabakh ce qui permettra la cohabitation des
populations autochtones et créera les conditions favorables d’un
décollage économique. L’Azerbaïdjan est un partenaire fort,
incontournable dans cette région.

Le Conseil de l’Europe doit s’intéresser à la sécurité et à
l’intégrité territoriale de tous ses Etats membres et garantir les
droits et libertés de toutes les personnes. L’Azerbaïdjan ne peut pas
assumer ses responsabilités pour la sécurité des citoyens qui vivent
dans les territoires contrôlés par les Arméniens. Nous essayons de
trouver des solutions sur la base du droit international. Nous sommes
prêts à prendre les mesures nécessaires pour ces citoyens qui vivent
dans la région indiquée. Il faudrait que le pouvoir légitime et
constitutionnel soit rétabli au Haut-Karabakh. Nous devrions veiller à
une solution rapide, dans l’intérêt du Conseil de l’Europe. La
solution au conflit garantirait la stabilité et la sécurité au sud de
l’Europe.

Il serait bon aussi de se préoccuper au sein du Conseil de l’Europe,
des victimes des forces arméniennes au Haut-Karabakh et sur le
territoire de l’Azerbaïdjan. Mon pays a du gaz, du pétrole, du caviar,
des médailles d’or, mais quel est le rapport avec les valeurs
démocratiques ?

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Rzayev.

M. RZAYEV (Azerbaïdjan)* – Monsieur le Président, la discussion est
très intéressante. J’aimerais souligner plusieurs points.

Il y a eu le meurtre terrible d’un officier arménien par un militaire
d’Azerbaïdjan. Pourquoi ? Le sang a coulé à cause de l’occupation par
l’Arménie de l’Azerbaïdjan, du Haut-Karabakh, où des milliers de
personnes ont été déplacées. On n’a pas informé l’opinion publique de
la manière dont les populations azéries étaient décimées. Safarov
vient d’un district où il a vu abattre sa famille. Je n’essaye pas de
justifier les faits qui ont conduit à ce meurtre, mais il faut
comprendre aussi pourquoi il a agi ainsi.

Pourquoi les Arméniens font-ils aujourd’hui une telle propagande
autour de Safarov ? C’est pour détourner les yeux de l’étranger du
vrai problème, l’occupation par l’Arménie des territoires de
l’Azerbaïdjan. On parle des droits de l’homme, des droits des peuples.
Est-ce qu’on peut interdire à un Azéri de vivre sur sa terre natale ?

A-t-on le droit d’empêcher un Azéri de voyager dans sa région ? Le
Haut-Karabakh est ma patrie, et pourtant je ne peux m’y rendre quand
je le veux. Le vrai problème, le voilà !

Nous sommes en train de perdre nos jeunes. Ce n’est pas pour cela que
l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont élevé leurs enfants. Il est très
déplaisant d’entendre ces accusations unilatérales. C’est à l’avenir
que nous devons penser, et pour cela, il faut dialoguer. Mais un
dialogue entre les communautés azérie et arménienne au Haut-Karabakh
est inenvisageable : nous devons faire appel aux instances de Minsk et
de l’OSCE pour espérer y parvenir, et cela n’y suffit même pas. Je
m’adresse à l’Assemblée, à son Président : aidez-nous à nouer un
dialogue bilatéral. Nous ne changerons pas l’histoire, mais si on ne
résout pas ce problème, il perdurera et s’étendra à tout le Caucase,
ce qui compliquera encore la situation.

Si nous en sommes là, c’est parce que le droit n’a pas été appliqué.
Si nous respectons le droit international, nous pourrons résoudre le
problème, sur le fondement du droit.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Díaz Tejera.

M. DÍAZ TEJERA (Espagne)* – Le non-respect des résolutions
internationales est injustifiable. Mais le crime atroce dont nous
parlons est tout simplement horrible. La description qu’en a faite M.
Chope donne la chair de poule. C’est un acte de barbarie perpétré par
un être humain contre un autre être humain sans défense. L’acte
concret nous fait justement horreur, mais le contexte plus général ne
doit pas nous rendre plus indulgents. Aucune circonstance atténuante
ne saurait être accordée à l’individu qui a commis ce crime.

Jamais M. Chope n’a été aussi pondéré qu’aujourd’hui. Aucun des
intervenants qui lui a succédé n’a apporté d’élément nouveau. Après
avoir exposé le cas concret et son contexte, il a conclu par une
proposition. Voici ce que nous devons en effet nous demander : que
pouvons-nous faire, nous, parlementaires, pour que cela ne se
reproduise jamais ?

Du point de vue juridique et technique, il y a eu fraude au droit,
nous indique le personnel hautement qualifié de l’Assemblée. Il faut
donc étudier le moyen juridique d’annuler ou de révoquer cet acte.
Mais l’essentiel est d’empêcher que cela ne se reproduise. Car si le
texte actuellement en vigueur a rendu cela possible, rien ne garantit
que cela n’arrivera pas de nouveau.

Du point de vue politique, je fonde donc de grands espoirs sur
l’initiative que vous avez prise, Monsieur le Président, de faire
venir les deux représentants dans votre bureau. Nous verrons alors si
leur volonté de négociation est réelle, et nous n’aurons plus honte de
ne pas avoir fait ce qu’il fallait. Merci d’avoir pris la situation en
main.

LE PRÉSIDENT – Merci, Monsieur.

La parole est à M. Seyidov.

M. SEYIDOV (Azerbaïdjan)* – Une tragédie est survenue. Cette tragédie
vient de faire l’objet d’une manipulation politique de la part de
certains cercles. « Que penseraient les Azerbaïdjanais », a demandé
l’honorable Lord Anderson, « si des Arméniens faisaient la même chose
? » Je veux lui répondre.

En 1992, trois Arméniens ont tué Salatin Askerova, une journaliste
azérie. Deux ans plus tard, le gouvernement d’Azerbaïdjan les a
transférés vers l’Arménie. Qu’a fait l’Arménie ? Elle les a
immédiatement relchés.

En 1996, Kamo Saakov, condamné à mort pour un attentat à la bombe dans
le métro de Bakou, a été à son tour transféré en Arménie, qui l’a lui
aussi relché.

En 2001, au moment où l’Arménie devenait membre à part entière du
Conseil de l’Europe, la France lui a transféré le terroriste
Garbidjian, responsable de l’attentat d’Orly, lequel a fait huit morts
; il a été relché, glorifié, on lui a donné un appartement et il a
été reçu par de hauts responsables à Erevan.

Le saviez-vous, mes chers collègues ?

Quand nous parlons de cette tragédie, n’oublions pas qu’il y a une
guerre entre deux nations. Nous discutons de l’affaire Safarov, mais
Khodjali ? On n’en parle jamais ici ! 716 femmes, enfants et personnes
gées ont été tués par les forces arméniennes au Haut-Karabakh. Alors
pourquoi le président arménien s’est-il glorifié d’avoir participé à
la guerre du Haut-Karabakh ? Pourquoi l’ancien président Kotcharian
a-t-il évoqué une incompatibilité entre les deux nations ? Parlons non
seulement de l’affaire Safarov, mais aussi du Haut-Karabakh, de
Khodjali, de mon frère, tué par un Arménien. Malgré tout, nous voulons
la paix ; voilà pourquoi nous sommes ici.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Renato Farina.

M. Renato FARINA (Italie)* – Prenons garde que la vérité des faits ne
devienne pas un moyen de retarder la paix. Pour que la paix triomphe,
la botte du plus fort ne doit pas écraser le vaincu. Il faut
reconnaître la vérité.

Il ne s’agit pas ici de faire l’histoire du conflit du Haut-Karabakh,
mais de porter un jugement serein sur deux faits. Le premier est cet
homicide : un militaire en a tué un autre qui travaillait avec lui.
C’est un assassinat sournois et prémédité. C’est d’ailleurs un pur
hasard si un autre Arménien n’a pas été tué lui aussi. Dans
l’Antiquité, on aurait parlé d’un homicide avec circonstance
aggravante, un acte impie car contraire au principe de l’hospitalité
et de la trêve sacrée. Tout cela, sous les auspices de l’Otan.

Voilà pourquoi j’ai éprouvé un grand malaise à Paris lorsque j’ai
entendu un collègue d’Azerbaïdjan en commission des droits de l’homme
justifier cet homicide en affirmant qu’il y avait toute une série de
circonstances atténuantes.

En l’occurrence, l’homicide a été récompensé. Après tout, pourquoi,
sous le couvert de notre drapeau étoilé, un parlementaire n’en
tuerait-il pas un autre ? C’est inconcevable, on ne peut justifier un
tel acte !

L’autre aspect de la question est le fait qu’un assassin qui reconnaît
ses crimes ait été mis sur un piédestal dans son pays. Ce n’est plus
une grce ou un pardon, c’est une exaltation, une glorification – et
tout cela en profitant d’une convention du Conseil de l’Europe
destinée à protéger la dignité humaine, et non les meurtriers. C’est
comme si l’on tuait quelqu’un avec les Tables de la loi sur lesquelles
est inscrit « Tu ne tueras point ».

Il faut vraiment que le groupe de Minsk se mobilise. Il faut mettre un
terme à cette inertie inacceptable, en évitant toutefois que cet acte
gravissime puisse être le motif de souffrances supplémentaires. Comme
le disait aussi M. Díaz Tejera, il faut absolument se mobiliser pour
arriver à un accord, aussi improbable soit-il.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Huseynov.

M. HUSEYNOV (Azerbaïdjan)* – Tout d’abord, l’incident Safarov est lié
à l’agression arménienne et l’occupation du territoire d’Azerbaïdjan.
Ces deux faits ne peuvent être séparés.

Chers collègues, le souci de l’autre est une qualité qui devrait
toujours être observée par les organisations internationales ainsi que
par les personnes ayant l’autorité et des positions politiques de haut
niveau. Cette absence de souci de l’autre génère l’indifférence et un
grand nombre de problèmes restent sans solution pendant des années, ce
qui soumet des millions d’êtres humains à des souffrances terribles.

Or les récents développements m’amènent à penser que la plupart des
gens, y compris au Conseil de l’Europe, perdent ce souci de l’autre,
car l’occupation de 20 % du territoire azerbaïdjanais par l’Arménie ne
suscite que l’indifférence. Néanmoins, les récentes déclarations du
Président de l’Assemblée et d’autres organisations internationales qui
reflètent leur préoccupation face à l’affaire Safarov m’étonnent, et
me réjouissent, car elles montrent que ces personnes qui font ces
déclarations n’ont pas perdu le souci d’autrui, même s’il peut être
assez surprenant d’entendre des déclarations aussi précipitées alors
que nous savons que le fait de relcher Safarov est tout à fait juste
du point de vue juridique et que les organisations internationales
n’ont pas réagi face à l’occupation du territoire azerbaïdjanais et
aux milliers de personnes déplacées.

J’aimerais donc poser quelques questions.

Comment peut-on justifier que les tribunaux allemands aient relché un
meurtrier arménien qui avait assassiné un Turc à Berlin ? Comment
expliquer que les autorités françaises aient gracié deux terroristes
arméniens qui avaient été condamnés, l’un pour attentat à Orly,
l’autre pour avoir tué des diplomates turcs ? Aujourd’hui, ils sont
considérés comme des héros en Arménie.

En graciant Safarov, le président d’Azerbaïdjan était tout à fait dans
son droit et il exprimait la volonté du million d’Azerbaïdjanais
réfugiés et déplacés. Notre préoccupation porte plutôt sur la non
application de la Résolution 1416 relative à l’occupation par
l’Arménie du territoire de l’Azerbaïdjan.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Rustamyan.

M. RUSTAMYAN (Arménie)* – Malheureusement, nos collègues azéris
continuent à falsifier la réalité et nous sommes témoins d’une
nouvelle étape dans cette falsification. Tous les exemples cités n’ont
rien à voir avec la réalité actuelle.

En effet, l’affaire Safarov n’est pas simplement un problème qui
oppose l’Arménie à l’Azerbaïdjan. Pas du tout ! L’affaire Safarov
représente un vrai défi pour les valeurs que nous défendons partout en
Europe. Surtout, quand un instrument juridique du Conseil de l’Europe
développé à des fins humanistes est utilisé pour gracier un criminel,
qui a sauvagement assassiné un autre collègue pour la seule raison
qu’il était arménien. Cette grce présidentielle scandaleuse est
complètement contraire à l’esprit de l’accord international négocié
pour permettre aux personnes qui ont été condamnées sur le territoire
d’un Etat d’être transférées pour purger le restant de leur peine sur
le territoire d’un autre Etat.

Il est tout à fait évident que la punition d’un assassin doit être
inéluctable et, en permettant qu’un tel assassin soit libéré, nous
piétinons la justice. Donc, le vrai défi pour nous aujourd’hui est de
voir comment rétablir la justice et prévenir la récidive d’une telle
violation de nos principes et valeurs communes. Les Azéris et tous les
promoteurs des intérêts de l’Azerbaïdjan font tout pour transformer le
vrai problème et justifier la position de ce pays. On ne peut tolérer
que l’atmosphère glorification régnant autour d’un assassin en
Azerbaïdjan se voit justifiée au sein de notre Organisation.

Visant cet objectif, la position de l’Azerbaïdjan se fonde
principalement sur les deux thèses suivantes : le verdict n’était pas
juste et le dossier doit être examiné dans le contexte du conflit du
Haut-Karabakh.

L’absence de progrès notable dans le processus de paix au
Haut-Karabakh ne peut en aucun cas justifier des actes de vengeance ou
de provocation qui aggravent une situation déjà tendue et précaire.

La cour pénale de Budapest a examiné de façon approfondie toutes les
versions possibles, tous les aspects et les circonstances de ce crime
odieux. Le verdict a été rendu par le tribunal d’un Etat membre de
l’Union européenne. J’espère donc qu’à part les Azéris, personne n’a
le moindre doute sur le fait que ce verdict soit objectif ou que le
tribunal hongrois soit compétent.

Chers collègues, il faut absolument que notre Assemblée réagisse vite,
car le scénario proposé par l’Azerbaïdjan ne cherche qu’à encourager
et propager l’impunité, la vengeance, l’hostilité et le racisme.

LE PRÉSIDENT – En l’absence de M. Nessa, inscrit dans le débat, la
parole est maintenant à M. Szabó.

M. SZABÓ (Hongrie)* – La raison de notre débat est le crime commis à
Budapest en 2004 : un Azerbaïdjanais a assassiné un Arménien. A
l’époque déjà, il était clair qu’il ne s’agissait pas seulement d’un
crime grave, compte tenu du fait que c’était pour la raison de sa
nationalité que la victime avait été assassinée. On savait aussi à
l’époque que ce crime ne serait pas puni par la loi en Azerbaïdjan et
qu’en Arménie la peine de mort serait appliquée. A l’époque, le
gouvernement socio-libéral a mené des consultations tripartites,
négociant tant avec la partie azerbaïdjanaise qu’avec le gouvernement
arménien.

Les négociations ont abouti à un compromis accepté par toutes les
parties : l’assassin serait traduit en justice en Hongrie et il y
purgerait également sa peine. Il a été condamné à la perpétuité. Le
gouvernement actuel de la Hongrie a rouvert le dossier cette année et
a transféré Ramil Safarov fin août en Azerbaïdjan, où il a été
immédiatement gracié par le président azerbaïdjanais et accueilli en
héros.

Le traitement réservé à ce dossier par le nouveau gouvernement est
tout à fait différent de celui du gouvernement précédent. Les
négociations ont été, non pas tripartites, mais bipartites. La partie
arménienne n’a été ni contactée ni informée, pas plus d’ailleurs que
le Conseil de l’Europe. Le gouvernement hongrois n’a demandé à
l’Azerbaïdjan aucune garantie sur la question de savoir si Safarov
purgerait effectivement sa peine.

La question est de savoir pourquoi les choses se sont déroulées ainsi.
Or nous n’avons toujours pas de réponse. On entend souvent dire que
l’accord bilatéral sur le transfèrement des condamnés et le pardon
présidentiel sont tout à fait conformes au droit international. C’est
peut-être vrai quant à la lettre, mais certainement pas quant à
l’esprit !

Les sociaux-démocrates hongrois ne sont pas d’accord avec la décision
prise par le gouvernement actuel, ni avec le pardon accordé. Nous
considérons que son attitude est irresponsable. Nous souhaitons de
bonnes relations entre la Hongrie et l’Azerbaïdjan, mais à la
différence du gouvernement actuel, c’est nous, l’opposition, qui avons
demandé pardon au peuple arménien.

Ici, au Conseil de l’Europe, nous devons approfondir la réflexion et
chercher à savoir si les règles internationales en matière de
transfèrement s’appliquent lorsque la condamnation est liée à un crime
commis à raison de la nationalité, de la religion, de l’appartenance
politique ou de la couleur de la peau. A mon avis, ce n’est pas le
cas. Nous avons donc déposé une proposition que nous vous demandons de
soutenir, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Ahmet Kutalmiþ Türkeþ.

M. Ahmet Kutalmiþ TÜRKEÞ (Turquie)* – Les relations entre
l’Azerbaïdjan et l’Arménie sont troublées depuis des décennies par le
conflit au Haut-Karabakh et l’escalade vers une véritable guerre reste
possible. Malgré la gravité de la situation, on n’a pas encore trouvé
de solution pacifique.

L’affaire Safarov a remis la région sous les feux de l’actualité. Les
menaces des officiels arméniens et la question de la reconnaissance de
la souveraineté de la région sont des éléments essentiels. Malgré la
légalité de l’extradition de Safarov par la Hongrie, il ne faut ni
minimiser ni exagérer les répercussions politiques de cet événement.

L’impossibilité de parvenir à une solution pacifique du conflit est en
grande partie liée à l’attitude des Arméniens, qui se considèrent
comme les vainqueurs et continuent à menacer d’une agression. Cela
entretient la haine, avec pour seul résultat d’allonger la liste des
victimes et des personnes déplacées, d’un côté comme de l’autre.

Le meurtre commis par Ramil Safarov ne doit pas détourner l’attention
de la tragédie humaine que connaît toujours la région. Or il est
évident ce conflit ne profite à personne, et certainement pas, en tout
cas, aux Arméniens et aux Azéris. La communauté internationale doit
aider les deux parties à résoudre le conflit.

De 1973 à 1987, des organisations terroristes arméniennes ont commis –
y compris en France – 170 attentats, qui ont tué 31 diplomates turcs,
causé la mort de 39 civils et fait plus de 500 blessés. Or nous
n’avons jamais entendu le moindre Arménien – officiel, parlementaire
ou citoyen – condamner ces assassinats de diplomates turcs. Au
contraire, ceux-ci ont été glorifiés et récompensés. Voici maintenant
que nos collègues arméniens sont blessés à leur tour ; maintenant, ils
comprennent à quel point cela fait mal. Je leur demande donc de ne
plus instrumentaliser cette affaire et de s’asseoir autour d’une table
avec leurs collègues azéris pour résoudre leurs différends.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Toshev.

M. TOSHEV (Bulgarie)* – Le 28 juin 2000, nous étions tous en fête
quand notre Assemblée donna le feu vert à l’adhésion de l’Arménie et
de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe. Les représentants des deux
pays s’embrassèrent même lors de la proclamation de notre décision.
Nous croyions alors que le conflit du Haut-Karabakh serait résolu et
qu’il y aurait désormais une vraie volonté de coopération sur cette
question. Nous avions d’ailleurs explicitement écrit que cette double
adhésion donnerait un nouvel élan à la coopération au Sud Caucase,
conformément d’ailleurs à l’article 3 su Statut du Conseil.

Entre-temps, nous avons adopté la résolution 1525/2006 et la
recommandation 1771/2006. Malheureusement, le Comité des Ministres n’a
pas soutenu les idées que nous y développions. Depuis, nous avons
produit un nouveau rapport sur la coopération au Sud Caucase.
L’affaire Safarov a engendré une nouvelle flambée de haine entre les
deux pays. Safarov a été condamné à perpétuité pour l’assassinat de
Gurgen Markarian à l’Académie militaire de Budapest en 2004. Je
rappelle à cet égard que nous avons abordé la question des crimes
d’honneur à travers la recommandation 1881/2009 et la résolution
1681/2009.

Les agissements de l’Azerbaïdjan justifient de tels crimes. Le
comportement inacceptable de ce pays a des répercussions sur
l’ensemble de la région. De son côté, l’Arménie a déclaré qu’elle ne
souhaitait pas la guerre, mais qu’elle était prête à se battre si
nécessaire et à remporter le combat.

J’espère pour ma part que la réconciliation est possible. J’admire le
geste de notre Président, qui a invité les deux délégations pour faire
avancer les choses ; mais cela ne suffit pas. Je demande donc que l’on
organise une réunion de haut niveau sur ce conflit pour essayer
d’avancer vers une solution. Seuls, ces deux pays n’y parviendront
pas. Le Conseil de l’Europe devrait donc assumer ses responsabilités.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Zourabian.

M. ZOURABIAN (Arménie)* – Même si j’appartiens à la délégation
arménienne, j’aimerais que la question que nous examinons soit
extraite des discussions brûlantes entre mon pays et l’Azerbaïdjan sur
les responsabilités morales et historiques des uns et des autres dans
le conflit du Haut-Karabakh. Je ne souhaite pas non plus examiner ici
la question de savoir si la glorification d’un assassin, quelle que
soit la nation par laquelle il a été condamné, peut être considérée
comme un comportement acceptable. Je ne me demanderai pas davantage si
le fait que des négociations soient au point mort puisse justifier des
violences brutales. En effet, toutes les réponses à ces questions vont
de soi pour la majorité de ceux qui nous écoutent.

En revanche, ce qui est en jeu à l’heure actuelle, c’est la destinée
de nos deux peuples et celle du Haut-Karabakh ; c’est l’avenir de la
paix dans le Sud Caucase et la stabilité de l’ensemble de la région.

En mai 1994, un cessez-le-feu a été instauré entre les parties au
conflit du Haut-Karbakh. Depuis, les négociations dans le cadre du
Groupe de Minsk de l’OSCE ont tenté de trouver une solution durable au
conflit pour apporter la paix aux Arméniens et aux Azerbaïdjanais. Ces
négociations sont difficiles, parfois frustrantes. Néanmoins, c’est la
seule solution à une guerre régionale destructive à grande échelle.

Soyons réalistes, l’acte de l’Azerbaïdjan et, dans une moindre mesure,
de la Hongrie était en somme une extradition, une libération, une
glorification d’un meurtre, qui a porté un coup sérieux au processus
de négociations, sapant la perspective de renforcement de la confiance
entre les parties dans un proche avenir. Il y a trop de crises, de
tensions dans cette région : la Syrie, l’Irak, les positions prises
par l’Iran. Dans un tel contexte, il convient de tout faire pour
préserver un processus de négociation fragile et cela afin de résoudre
le problème du Haut-Karabakh. Voilà la priorité de la communauté
internationale !

En tant que principale opposition dans le pays, nous avons demandé
devant l’Assemblée nationale arménienne que le gouvernement arménien
n’apporte pas une réponse destructrice aux actions agressives de
l’Azerbaïdjan, c’est à la communauté internationale de réagir
fortement. Elle doit envoyer un message clair aux leaders de la région
: les responsables ne peuvent pas obtenir ce qu’ils cherchent en
attisant le sentiment nationaliste ; au contraire, ils doivent
contribuer à la résolution du conflit sur un mode pacifique. Toute
action en sens contraire ne ferait qu’alimenter les tensions dans le
sud Caucase et saper un cessez-le-feu fragile et des négociations de
paix difficiles.

LE PRÉSIDENT – M. Beneyto, inscrit, dans le débat, étant absent de
l’hémicycle, la parole est maintenant à Mme Gafarova.

Mme GAFAROVA (Azerbaïdjan )* – Nous parlons du transfèrement de Ramil
Safarov. Il s’agit d’une procédure judiciaire. A aucun moment, les
conditions juridiques n’ont été violées. Ces mécanismes juridiques
existent et le transfèrement ne constitue pas une violation du droit.

Je reviens sur certains événements évoqués par mes collègues. En avril
2001, un terroriste arménien, qui avait été condamné à la prison pour
avoir commis un attentat à Orly, a été transféré en Arménie alors même
qu’il n’était pas citoyen arménien. De hauts responsables arméniens
l’ont accueilli à l’aéroport en héros. L’Arménie était alors membre de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et pourtant personne
dans notre Assemblée n’a réagi ni n’en a débattu ici. On critique
l’Azerbaïdjan aujourd’hui, pourquoi est-on resté muet à cette époque ?

Nous discutons aujourd’hui du cas d’un citoyen azerbaïdjanais qui a
déjà purgé huit ans de prison et qui a été gracié, certes, mais non
innocenté. Si nous évoquons l’affaire Safarov, il convient également
d’évoquer les raisons tues, mais réelles de ce crime qui trouve son
origine dans la situation d’occupation. Il faut replacer cette affaire
dans le contexte du conflit du Haut-Karabakh. Les membres de la
famille de Safarov ont été tués sous ses yeux. Nous reconnaissons son
crime, mais n’a-t-il pas été condamné pour cela ?

Si nous discutons de l’affaire Safarov, pourquoi ne pas évoquer
l’assassinat d’Azerbaïdjanais en Arménie car on semble oublier que de
nombreux crimes ont été commis durant l’occupation des territoires
azerbaïdjanais par les Arméniens ? Pourquoi ne parlons-nous pas du
Président Sarkisyan qui a déclaré qu’il était à Khodjali à l’époque de
ces massacres ? L’occupation du territoire azerbaïdjanais est illégale
et le Conseil de sécurité l’a confirmé en 1993.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Salles.

M. SALLES (France)* – Chers collègues, la libération et la
glorification de M. Ramil Safarov ont soulevé, à juste titre, de très
vives protestations. Accueillir en héros un homme qui a commis un acte
aussi odieux est indigne d’un pays membre du Conseil de l’Europe.

Je ne reviendrai pas sur les faits, mais la préméditation et la
brutalité de ce crime sont des circonstances aggravantes. Sa
motivation, la haine des Arméniens et l’absence totale de remords de
M. Safarov aussi.

C’est pourquoi la grce et la promotion accordées à M. Safarov par le
Président de l’Azerbaïdjan suite à son extradition et à l’occasion de
son retour dans son pays portent atteinte d’autant plus à nos valeurs,
au respect élémentaire de la vie de l’autre, quel qu’il soit.

Un troisième pays membre de notre Assemblée est impliqué : celui où
s’est produit ce massacre et qui a autorisé l’extradition vers
l’Azerbaïdjan : la Hongrie. Car cette affaire pose aussi la question
de l’application de la Convention européenne sur le transfèrement des
personnes condamnées, une convention du Conseil de l’Europe.

Bien sûr, d’un point de vue purement technique, la convention a été
suivie à la lettre. Bien sûr, son article 12 prévoit que les Etats
peuvent user de leur droit de grce. Mais la condamnation de Ramil
Safarov prononcée par un juge hongrois avait fait l’unanimité contre
elle en Azerbaïdjan ; l’Arménie avait demandé à la Hongrie de ne pas
extrader ce meurtrier. Alors pourquoi cette décision a-t-elle été
prise si rapidement, sans prévenir la partie arménienne ?

Au-delà du texte et des procédures juridiques, il y a aussi l’esprit
de la convention : elle a pour objet principal de favoriser la
réinsertion sociale des personnes condamnées en permettant à un
étranger privé de sa liberté à la suite d’une infraction pénale de
purger sa peine dans son pays d’origine. Oui, purger sa peine !

La gravité de l’acte – rappelons que M. Margarian a été massacré de 16
coups de hache pendant son sommeil – la sévérité justifiée de la
condamnation, la perpétuité, pour un homme reconnu responsable de ses
actes par les experts, y compris azerbaïdjanais, la situation des
relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, tous ces éléments auraient
dû conduire la Hongrie à plus de prudence et de retenue dans
l’application de la convention.

L’attitude de l’Azerbaïdjan est quant à elle intolérable et doit être
condamnée. En libérant cet homme, ce pays a encore une fois éloigné
toute perspective de règlement pacifique du conflit du Haut-Karabakh
et remis en cause le processus de Minsk. En le transformant en héros
national, ce pays, membre du Conseil de l’Europe, a fait honte à notre
institution.

Il faut donc que l’Azerbaïdjan prenne ses responsabilités et respecte
ses engagements : pour cela, Ramil Safarov doit retourner en prison et
purger sa peine.

Je me tourne maintenant vers mes collègues azerbaïdjanais pour leur
dire que ce ne sont pas des arguments que nous avons entendus cet
après-midi, c’est de la propagande ! L’amalgame avec le Haut-Karabakh
était totalement insupportable. Les déclarations des représentants de
votre délégation cet après-midi la déshonorent dans cette enceinte,
qui est le temple des droits de l’homme en Europe. Si l’Azerbaïdjan
persiste dans cette attitude, cette affaire restera comme une tache
indélébile, que ce pays devra un jour ou l’autre effacer. Dans
l’immédiat, je m’interroge sur la légitimité de l’Azerbaïdjan à siéger
au sein du Conseil de l’Europe.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Gaudi Nagy, dernier orateur inscrit
dans ce débat.

M. GAUDI NAGY (Hongrie)* – Je suis triste pour les victimes de ce
conflit qui ont toutes des liens particuliers avec la Hongrie –
arméniennes comme azerbaïdjanaises. Mais j’ai le sentiment que nous ne
voyons, ici, que la partie émergée de l’iceberg. Evitons de tomber
dans le piège du « deux poids deux mesures » !

Les organisations internationales doivent se mobiliser pour tenter de
résoudre le conflit et se pencher sur la convention du Conseil de
l’Europe relative au transfert des prisonniers.

La question qui se pose est simple : les autorités d’un pays
peuvent-elles, oui ou non, prévoir la grce de ses condamnés ? D’un
point de vue juridique, ce principe est incontestable. Mais dans le
cas qui nous concerne, nous devons avoir une vue globale des choses,
et notamment du conflit du Haut-Karabakh. Nous devons faire en sorte
que les Arméniens et les Azerbaïdjanais puissent vivre en bonne
intelligence, dans le respect des normes européennes. Il ne s’agit pas
ici de jeter l’anathème sur la Hongrie, l’Arménie ou l’Azerbaïdjan !
Il est clair que les conflits gelés doivent être réglés sur la base du
principe de l’autodétermination.

On pourrait rappeler d’autres crimes, comme celui de cet Irlandais qui
a assassiné des enfants hongrois et qui n’a jamais été condamné ! Il y
a des problèmes partout, ne montons pas ces actes cruels en épingle à
des fins politiques.

LE PRÉSIDENT – La liste des orateurs est épuisée.

Monsieur Chope voulez-vous intervenir ?

M. CHOPE (Royaume-Uni)* – Monsieur le Président, je ne m’attendais pas
à reprendre la parole.

Je veux simplement remercier toutes celles et tous ceux qui sont
intervenus. Si cet hémicycle a pu tenir un débat civilisé sur une
question aussi émotionnelle, c’est déjà un bon exemple à suivre.
J’espère que nous n’aurons plus à gérer ce type d’incident à l’avenir.

LE PRÉSIDENT – Je vous rappelle qu’à l’issue du débat d’actualité,
l’Assemblée n’est pas appelée à voter. Ce débat aura néanmoins permis
un échange de vues intéressant entre les membres de l’Assemblée. Votre
conclusion, monsieur Chope, est effectivement celle que l’on peut
tirer de ce débat. Le Bureau peut, à un stade ultérieur, proposer que
la question traitée soit éventuellement renvoyée à la commission
compétente pour rapport, et c’est, je crois, ce qu’a suggéré Anne
Brasseur. Le Bureau évoquera certainement cette éventualité dès demain
matin.

samedi 6 octobre 2012,
Stéphane ©armenews.com

http://www.armenews.com/article.php3?id_article=83282