Yurtseven Tekiner, la voix de la communauté kurde d’Alsace

REVUE DE PRESSE
Yurtseven Tekiner, la voix de la communauté kurde d’Alsace

Les Kurdes d’Alsace sont plutôt actifs. Ils défendent une identité et
un mouvement, le PKK, considéré comme terroriste par l’Union
européenne. À leur tête, souvent, une jeune femme : après avoir rêvé
de devenir chanteuse, Yurtseven Tekiner a choisi d’exprimer la «
douleur » des siens. Un jour gris d’hiver. Le consulat turc de
Strasbourg garde prudemment ses volets baissés. De l’autre côté de
l’avenue des Vosges, derrière une petite haie de policiers, une
centaine de Kurdes manifestent. Au milieu d’eux, une grande jeune
femme, aux longs cheveux bouclés. C’est elle qui dirige la man`uvre.
Elle qui empoigne le mégaphone, qui lance « Halte aux massacres ! »,
dénonce la « guerre du gouvernement turc contre ses citoyens kurdes »,
compare la situation des siens au génocide arménien. Elle qui a décidé
d’organiser cette manifestation, après des bombardements turcs sur un
village kurde. Et cette petite foule, où se mêlent jeunes et moins
jeunes, femmes et hommes, filles et garçons, semble lui faire
entièrement confiance.

Depuis deux ans, Yurtseven Tekiner, 31 ans, est la porte-parole
officieuse de la communauté kurde d’Alsace. Elle ne se dit « pas
militante, mais sympathisante » du PKK, le parti des travailleurs du
Kurdistan, organisation considérée comme terroriste par (entre autres)
la Turquie, l’Union européenne et les États-Unis. « Les Occidentaux
disent “terroriste” parce que ça les arrange. Moi, je dis que c’est
un mouvement populaire. Ce sont des gens qui résistent à une
répression. Bien sûr qu’il y a des morts, parce que c’est une guerre.
Mais le PKK, c’est le peuple, et on ne peut avoir de doutes sur le
peuple ».

Dans l’Histoire, les appels mystiques au peuple n’ont pas laissé que
de bons souvenirs… Pasionaria exaltée ? Dangereuse révolutionnaire ?
En tout cas, quand elle s’exprime, là, dans le tête-à-tête d’un café
strasbourgeois, Yurtseven n’est pas fanatique, mais douce. Convaincue,
déterminée, mais tranquille. Volontiers séductrice. « Est-ce que j’ai
l’air d’une terroriste ?… Je suis patriote, c’est tout. La
communauté m’a choisie comme porte-parole naturellement, parce que je
suis intégrée et que je maîtrise la langue. Quand il y avait une
manif, on me disait toujours : “Parle, prend le micro !” Eux, ce
sont en majorité des réfugiés politiques, ils ont une sorte de
complexe. Mon père, qui est un grand monsieur et a de grandes idées, a
encore des difficultés pour bien parler en français. Manifester me
permet d’évacuer les choses. Quand je crie “Liberté au peuple
kurde”, j’essaye de mettre des mots sur leur douleur. La souffrance
de mes parents et de milliers de Kurdes, c’est ce qui me motive. J’ai
l’impression d’être leur voix… »

Yurtseven a ainsi trouvé sa voie en devenant la voix de sa communauté.
Mais pour y parvenir, il lui a fallu passer par une série de
révélations. Son histoire, au fond, c’est celle d’une petite fille qui
se demandait pourquoi ses parents étaient toujours tristes. « Pourquoi
maman pleurait tous les jours, pourquoi papa avait cette amertume dans
les yeux, pourquoi on ne partait pas en vacances comme les autres… »

Longtemps, elle a porté leur histoire sans vraiment la connaître.
Yurtseven arrive en France en 1983, quand elle a moins de deux ans.
Instituteur dans la région de Dersim, en Turquie, son papa a reçu «
une balle dans le bras, parce qu’il revendiquait son identité ». Il
devient réfugié politique, « comme plus de 700 000 Kurdes en Europe ».
La France l’accueille plutôt bien, mais il a la bougeotte. Il
multiplie métiers (bûcheron, marchand forain, restaurateur…) et
déménagements : Lorraine, Champagne-Ardenne, Territoire-de-Belfort et
enfin Alsace.

Yurtseven garde un excellent souvenir de Delle, où elle a passé une
partie de son enfance et de son adolescence. Notamment de Raymond
Forni, maire socialiste de la petite ville et personnalité politique
d’envergure nationale. « Il m’aimait bien, monsieur Forni… J’avais
fait un discours lors d’une manifestation patriotique, au lycée, et il
était venu me voir pour me dire que j’avais une voix. Il me voyait
devenir avocate, chanteuse ou comédienne ! »

Elle essaiera les trois… Elle a arrêté le droit en deuxième année de
Deug, et est montée à Paris, à 22 ans. Elle y a suivi des cours de
thétre, rencontré quelques producteurs. Ça n’est pas allé plus loin.
Peut-être parce qu’elle portait autant de bonheur que de douleur.
Parce que, dit-elle aujourd’hui, « je voulais exprimer des choses,
mais je ne savais pas encore lesquelles. J’avais un problème
identitaire profond, un poids en moi… Je me sentais inexistante.
Mais je ne voulais pas ouvrir le truc, car je savais que ce serait
difficile… »

Elle l’a « ouvert » il y a quatre ans seulement, lors de son retour
auprès de ses parents, alors installés à Mulhouse. « J’étais prête à
affronter le récit ». Elle s’imprègne de la fin tragique de son
arrière-grand-mère, victime du massacre de Dersim, des galères de ses
parents et de celles de ses oncles, proies de passeurs mafieux. Elle
débute sa vocation de militante à plein temps en devenant bénévole au
centre culturel kurde. Elle réapprend sa langue maternelle. Et
parachève la découverte de son identité profonde en allant « là-bas »,
en août 2010. « Mon père, je l’ai compris au Kurdistan, dans la maison
de son enfance. Je pleurais, parce qu’il n’était pas là alors que
c’était sa place, mais je comprenais tellement de choses… Je
m’attendais à voir un paradis, et j’ai vu un paradis ! Mes
grands-parents cultivaient leur jardin, je trouvais ça génial ! Mes
parents, eux, ne pouvaient pas le faire : il faut être en harmonie
pour prendre le temps de faire pousser des fleurs… »

dimanche 12 août 2012,
Stéphane ©armenews.com

http://www.lalsace.fr/bas-rhin/2012/08/06/un-jour-gris-d-hiver