Le negationnisme, une infraction

Point de vue
Le n?Ã?©gationnisme, une infraction
LE MONDE | 09.10.06 | 14h41 ?¢ Mis ?Ã?  jour le 09.10.06 | 14h41

Il n’appartient pas au Parlement d’?Ã?©crire l’Histoire." A la faveur de
cette formule a priori convaincante, certains historiens demandent
l’abrogation de la loi dite Gayssot, sanctionnant p?Ã?©nalement la
contestation de la Shoah et s’opposent au vote par l’Assembl?Ã?©e
nationale d’une proposition de loi p?Ã?©nalisant la n?Ã?©gation du
g?Ã?©nocide arm?Ã?©nien.

Le d?Ã?©bat est l?Ã?©gitime et nous interpelle. Mais la formule, aussi
s?Ã?©duisante soit-elle, trouve ses limites en ce qu’elle occulte la
grande sp?Ã?©cificit?Ã?© du ph?Ã?©nom?Ã?¨ne g?Ã?©nocidaire. Un g?Ã?©nocide n’est
pas qu’un seul fait historique. C’est ?Ã?©galement, et avant tout, un
crime politique se traduisant par l’extermination d’un peuple et son
identit?Ã?©. Sa n?Ã?©gation appelle donc ?Ã?©galement une r?Ã?©ponse
politique, et juridique. A vouloir le rel?Ã?©guer au rang d’une simple
opinion historique, on oublie que le n?Ã?©gationnisme a ?Ã?©t?Ã?© pens?Ã?©,
?Ã?©labor?Ã?&#x A9; et mis en oeuvre d?Ã?¨s l’ex?Ã?©cution du g?Ã?©nocide. Il ne
s’agit que d’une rh?Ã?©torique perverse, concomitante et associ?Ã?©e au
crime de g?Ã?©nocide, n?Ã?©e avec lui pour mieux en effacer la trace et
que nous n’h?Ã?©siterons pas ?Ã?  qualifier d’infraction jumelle.

Les historiens sont pourtant bien plac?Ã?©s pour savoir que la
composition d’arguments mensongers destin?Ã?©s ?Ã?  masquer le crime,
voire parfois ?Ã?  en justifier les pr?Ã?©mices, est un ?Ã?©l?Ã?©ment
constitutif du crime de g?Ã?©nocide. Chacun garde ?Ã?  l’esprit
l’inscription figurant au fronton du camp d’Auschwitz "Arbeit macht
frei", destin?Ã?©e ?Ã?  faire croire que les camps de la mort n’?Ã?©taient
qu’un centre d’accueil o?Ã?¹ les d?Ã?©port?Ã?©s s’?Ã?©manciperaient par le
travail.

L’ordre officiel de "d?Ã?©portation hors des zones de guerre" des
populations arm?Ã?©niennes de l’Empire ottoman dissimulait quant ?Ã?  lui
une politique d’extermination par l’assassinat imm?Ã?©diat des
Arm?Ã?©niens valides et la marche forc?Ã?©e jusqu’?Ã?  leur mort des femmes,
enfants et vieillards dans les d?Ã?©serts de Syrie. Cette dissimulation
du crime voire sa r?Ã?©futation par anticipation participe activement ?Ã? 
son ex?Ã?©cution.

Juristes, nous voyons dans le n?Ã?©gationnisme un ?Ã?©l?Ã?©ment constitutif
de la volont?Ã?© g?Ã?©nocidaire. Il est ?Ã?  la fois l’un des ?Ã?©l?Ã?©ments
mat?Ã?&#xA 9;riels du crime, puisque participant ?Ã?  sa mise en sc?Ã?¨ne, mais
aussi une preuve suppl?Ã?©mentaire de sa pr?Ã?©m?Ã?©ditation et de
l’intention criminelle. Notre syst?Ã?¨me p?Ã?©nal ne peut ?Ã?  la fois
sanctionner les crimes contre l’humanit?Ã?©, dont le g?Ã?©nocide est
consid?Ã?©r?Ã?© comme le plus grave et faire le choix de ne pas incriminer
l’infraction qui lui est connexe et qui vise ?Ã?  le disqualifier.

Une telle connexit?Ã?© d’infractions n’est pas ?Ã?©trang?Ã?¨re ?Ã?  notre
droit positif et nous rappellerons utilement que les entraves
permettant ?Ã?  un criminel de fuir ses responsabilit?Ã?©s ou le fait de
faire obstacle ?Ã?  la manifestation de la v?Ã?©rit?Ã?© sont des d?Ã?©lits. La
gravit?Ã?© du n?Ã?©gationnisme se r?Ã?©v?Ã?¨le donc autant dans le propos
lui-m?Ã?ªme – particuli?Ã?¨rement outrageant pour les victimes et leurs
descendants – que dans sa finalit?Ã?© criminelle et son atteinte ?Ã? 
l’humanit?Ã?© qui le placent non pas dans le domaine sp?Ã?©cial du droit
de la presse mais dans celui du droit commun p?Ã?©nal, non pas dans le
domaine de l’"expression d’id?Ã?©es" ou celui de l’"?Ã?©criture"… de
l’Histoire mais dans celui d’actes mat?Ã?©riels destin?Ã?©s ?Ã?  entraver
l’action de la justice.

D?Ã?©fendre comme une valeur absolue "la libert?Ã?© pour l’Histoire" en
autorisant le n?Ã?©gationnisme nous conduirait ?Ã?  tol?Ã?©rer une
v?Ã?©ritable infraction, source d’un trouble profond ?Ã?  l’ordre public
et dont la port?Ã?©e d?Ã?©passe largement les seuls int?Ã?©r?Ã?ªts des
communaut?Ã?©s concern?Ã?©es en premier chef. Nous, avocats, souhaitons
que, ?Ã?  l’occasion de l’examen d’une proposition de loi sur la
n?Ã?©gation du g?Ã?©nocide arm?Ã?©nien, l’Assembl?Ã?©e nationale prolonge le
d?Ã?©bat et son analyse juridique sur le n?Ã?©gationnisme en le
reconnaissant pour ce qu’il est r?Ã?©ellement : une infraction connexe
au g?Ã?©nocide, une entrave ?Ã?  la justice.

Car, s’il n’appartient pas au Parlement d’?Ã?©crire l’Histoire, il lui
revient de qualifier juridiquement une infraction qui prend racine
dans l’acte g?Ã?©nocidaire pour mieux en assurer l’efficacit?Ã?©
politique. Il s’agit d’une question de courage et d’un besoin de
justice.

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Didier Bru?Ã?¨re Dawson, Christian Charri?Ã?¨re-Bournazel, Alexandre
Couyoumdjian, Lef Forster, Alain Jakubowicz, Bernard Jouanneau,
Charles Korman, Jean-Louis Lagarde, Pierre Mairat, Mario Stasi,
G?Ã?©rard Tcholakian.Tous les signataires sont avocats.

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