La nuit d’un genocide

L’Humanite, France
30 mars 2006

La nuit d’un genocide

par: Roger Martin

histoire . L’historien Philippe Videlier livre ici une oeuvre
noirissime qui ne laisse aucun doute sur la politique d’extermination
du peuple armenien.

Nuit turque,
de Philippe Videlier,
Gallimard, 11 euros.
Bien que Nuit turque soit publie sous la couverture blanche de la
NRF, avec la mention ” recit ” et que l’auteur ait fait le choix
d’une narration dont le ton emprunte autant a Voltaire qu’aux Mille
et Une Nuits, les faits rapportes par Philippe Videlier, historien et
chercheur au CNRS, ne relèvent en rien du domaine de la fiction et
font de son ouvrage une oeuvre noirissime.

Le genocide armenien, si souvent – et si superficiellement – evoque a
l’occasion de la candidature de la Turquie a l’Union europeenne, est
ici disseque, passe au crible de l’histoire et de la recherche, avec
une rigueur et une clarte scientifiques impeccables, qui ne laissent
aucun doute a ceux qui en auraient encore, sur la mise en oeuvre dès
1915 d’une authentique politique d’extermination du peuple armenien
et, dans une moindre mesure, des juifs et des Grecs qui vivaient dans
l’Empire ottoman. Les chambres a gaz n’ayant pas encore ete
experimentees, les massacres se firent avec des moyens plus
artisanaux, mais on egorgea, pendit, fusilla, noya par centaines de
mille. À ce jour, nulle reconnaissance officielle du genocide n’est
encore intervenue. Quelques vagues declarations de circonstance ne
peuvent cacher une sinistre realite : la classe politique turque,
dans sa presque totalite, de l’AKP, le parti islamophile au pouvoir,
au Parti des travailleurs proche de l’extreme gauche, en passant par
le Parti republicain du peuple, membre de l’Internationale
socialiste, fait front commun pour crier a la diffamation et au ”
grand mensonge ” et nier des faits pourtant irrefutables. L’honneur,
une fois encore, est du côte des poètes qui denoncèrent l’ignominie.
Un mort celèbre, Nazim Hikmet, jete en prison puis banni avant d’etre
raye des registres de l’etat civil a titre posthume (!) et, plus près
de nous, Orhan Pamuk, traite de ” miserable creature ” par une presse
dechaînee.
C’est dire si Nuit turque, qui repose sur une documentation
impressionnante et parfois rare, qui vaut aussi pour sa composition
remarquable et une langue particulièrement savoureuse où ironie et
antiphrase permettent de poursuivre la lecture malgre l’horreur
omnipresente, est un ouvrage indispensable a tous ceux qui, ne se
contentant pas d’une connaissance approximative des faits, voudront
apprendre les fondements et l’execution d’une entreprise vouee a
l’extermination d’un peuple au nom de la race, qui ne resta helas pas
unique dans les annales de l’histoire !

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