French articles – 1

* Vers un « oui mais… » de Bruxelles à Ankara;
* Leila Zana a demandé à l’Union européenne d’accueillir la Turquie
* L’obsession de Jacques Chirac; Éditorial
* Michel Barnier n’a pas employé de lui-même le mot “génocide”, selon Paris
* Les eurodéputés disent oui aux négociations d’adhésion avec la Turquie
* Turquie: Dupont-Aignan et Myard “implorent” Chirac de dire non à l’adhésion
* Arménie/Turquie: le débat doit porter sur le “devoir de mémoire”, selon Copé
* L’Union européenne prête à entrebailler ses portes à la Turquie (PAPIER BALAI)
* Barroso: c’est le moment de dire oui à la Turquie
* Les Turcs déçus par l’attitude de la France
* Dossier. L’élargissement de l’Europe. Paroles de religieux…
* L’Europe est prête à ouvrir ses portes à la Turquie ;
* « Vivre sous le ciel de l’Union européenne » ;
* Lettre ouverte à Jacques Chirac;
* L’argumentaire antiturc passé au crible;
* La Turquie maintient sa pression sur l’Union européenne
* Les Turcs attendent le verdict de Bruxelles
* Les Arméniens de Turquie en quête de reconnaissance;
* Moscovici : « L’objectif, c’est l’adhésion »;
* Turquie : l’autre division des socialistes;
* Les parlementaires français continuent d’exprimer leurs réticences
* Pour ou contre la candidature turque : les arguments de chaque camp
* Sommet de l’UE sur la Turquie Chirac dit un oui conditionnel à l’entrée d’Ankara
* Des Arméniens de France s’indignent des propos de Michel Barnier
* L’adoption d’une loi sur le “génocide arménien” par le parlement français (ENCADRE)
* Le massacre des Arméniens: reconnu comme génocide par peu de pays européens (ENCADRE)
* Train spécial Marseille-Bruxelles affrété par des organisations arméniennes
* La communauté arménienne se mobilise contre l’adhésion de la Turquie à l’UE (PAPIER D’ANGLE)
* Michel Barnier relance la question du génocide arménien (ECLAIRAGE)
* Erevan remercie Paris d’avoir évoqué la reconnaissance du génocide arménien
* Barnier: nous poserons à la Turquie la question “du génocide arménien”
* Turquie/UE: les protestants demandent à Chirac d’être l’avocat des minorités religieuses
* Tragédie des Arméniens: “une blessure qui ne cicatrise pas” (Barnier)
* La communauté turque de France souffre d’isolement et de “méconnaissance” (PAPIER D’ANGLE)
* Turquie: Hollande rappelle la ligne du PS

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Vers un « oui mais… » de Bruxelles à Ankara;

L’Humanité
16 décembre 2004

Union européenne. Le sommet des chefs d’État qui débute aujourd’hui
doit décider de l’ouverture des négociations d’adhésion avec la
Turquie.

par Paul Falzon

Sept mois après son élargissement vers l’Est, l’Union européenne va
ouvrir aujourd’hui et demain à Bruxelles une nouvelle page de son
histoire. Les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Cinq vont
décider d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie. Reste à
savoir quand et sous quelles conditions. Acquise sur le principe – le
président en exercice de l’Union, Jan-Peter Balkenende, a confirmé
hier que le Conseil européen « s’achemine vers un oui » – l’adhésion
d’Ankara devrait être soumise à des critères qui, au final, pourrait
compromettre ses chances de réussite. Plusieurs chefs d’État, dont
Jacques Chirac (voir ci-dessous), ont parlé d’étaler les négociations
sur dix ou quinze ans. Le président français a aussi souhaité
repousser au maximum le début des discussions, vers la fin 2005,
alors que la Turquie réclame une ouverture des discussions « sans
délais », comme le stipulait le sommet de Copenhague en 2002.
Surtout, les Vingt-Cinq devraient se laisser la possibilité de créer,
sous prétexte d’instaurer un « processus ouvert », une « troisième
voie » entre l’adhésion et le rejet, sous la forme d’un « partenariat
privilégié » qui a les faveurs des opposants à la candidature turque.
« la Turquie n’hésitera
pas à dire non »
À Ankara, la pilule passe mal. « Nous ne dirons pas oui à tout prix
», a souligné le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gul,
en rejetant toute idée de « dérogations » spécifiques à son pays.
Tandis que le premier ministre Recep Erdogan a déclaré à des
diplomates européens que « la Turquie n’hésitera pas à dire non » si
le Conseil européen ne lui propose pas une perspective d’adhésion
pleine et entière à l’UE, et dans un délai raisonnable.
Le ton devrait évidemment être plus consensuel aujourd’hui à
Bruxelles. Mais le débat devrait très vite resurgir au sein des pays
les plus réticents à l’adhésion d’Ankara. C’est particulièrement vrai
pour l’Autriche, la France et l’Allemagne. Dans ces deux derniers
pays, la droite (l’UMP et la CDU) plaide pour un « partenariat
privilégié », avec d’évidentes arrière-pensées électoralistes puisque
ce sont aussi deux des États où l’opinion publique est la plus
frileuse vis-à-vis de la Turquie – le reste de l’Europe restant, il
faut le souligner, très favorable à l’adhésion de ce pays. Ces enjeux
intérieurs expliquent le net recul de Jacques Chirac qui, chaud
partisan de l’adhésion turque il y a quelques semaines encore, se
montre aujourd’hui plus circonspect. Le président français tente
aussi d’éviter la confusion entre ce dossier et la celui de la
constitution européenne, à l’approche d’un référendum qui s’annonce
serré.
Car les sujets sensibles sont nombreux concernant la Turquie, pays
peuplé de 70 millions de musulmans face à à une Europe de plus en
plus marquée par l’islamophobie. Ces derniers jours, la polémique
s’est concentrée sur la reconnaissance du génocide arménien, qui a
fait plus d’un million de morts entre 1915 et 1917. Ankara refuse
toujours de reconnaître sa responsabilité dans le massacre. De même,
la question de Chypre reste problématique. La Turquie doit encore
signer l’extension aux dix nouveaux membres de l’UE de l’accord
commercial qui la lie depuis 1995 à l’Union. Parmi ces pays figure la
République de Chypre, en conflit avec la Turquie depuis la partition
de l’île en 1974. Ankara refuse toujours de reconnaître Nicosie.
Paul Falzon

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Leila Zana a demandé à l’Union européenne d’accueillir la Turquie

L’Humanité
16 décembre 2004

Avant de se rendre au Parlement européen, la militante kurde,
ex-députée, a été faite citoyenne d’honneur de la Ville de Paris par
Bertrand Delanoë.

Leila Zana, ex-députée kurde, a été faite citoyenne d’honneur de la
Ville de Paris par le maire de la capitale, Bertrand Delanoë, au
cours d’une brève cérémonie dans les salons de l’Hôtel de Ville en
présence d’une quarantaine de personnalités en majorité kurdes.
C’était sa première visite en France depuis sa libération en mai
dernier. Un emploi du temps chargé puisqu’elle doit se rendre au
Parlement européen de Strasbourg, rencontrer des dirigeants des
partis socialistes et des Verts avant une dernière visite au siège du
PCF, où elle sera reçue vendredi par Marie-George Buffet. Visiblement
émue par l’accueil, elle a pris la parole en langue kurde à la suite
d’une brève intervention du maire de Paris, accompagnée d’un de ses
adjoints, Khédidja Boucart. Leila Zana a tenu à remercier Danielle
Mitterrand, présente à la cérémonie, et tous ceux – partis
politiques, organisations sociales et personnalités – en France qui
se sont mobilisés pour sa libération et celle de ses deux codétenus
condamnés avec elle en 1994 à de très lourdes peines de prison.
L’ex-députée kurde a lancé un appel à la France afin qu’elle prenne
en compte les évolutions intervenues en Turquie et pour que son pays
intègre rapidement l’UE.
Quant au maire de Paris, il a tenu à rendre un vibrant hommage au «
courage » de la militante kurde pour son combat en faveur des
libertés, de la démocratie et de l’identité kurde, la qualifiant au
passage de « résistante ». La question de l’adhésion de la Turquie à
l’UE a été également évoquée par le maire de Paris. S’exprimant « à
titre personnel », a-t-il précisé, Bertrand Delanoë a émis le souhait
de voir la Turquie faire partie de l’UE, parce qu’elle est «
européenne », et cela dès lors qu’elle aura satisfait à toutes les
conditions requises – démocratie, pluralisme, reconnaissance des
droits culturels des minorités kurdes et des droits de la femme… Il
a demandé à « la Turquie démocratique » de faire un geste en
reconnaissant le génocide arménien.
H. Z

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L’obsession de Jacques Chirac; Éditorial
par Claude Cabanes

L’Humanité
16 décembre 2004

* Le président de la République va-t-il sacrifier l’entrée de la
Turquie dans l’Union européenne à la victoire du « oui » au
référendum sur la constitution européenne, ou défendre ses
convictions ? *

Hier soir à la télévision, le président de la République a, en
quelque sorte, ouvert avec 24 heures d’avance les travaux du sommet
européen qui se réunit à Bruxelles. Quand ces lignes sont écrites sa
prestation télévisée n’a pas encore été présentée sur TF1 : mais tout
laissait à penser qu’il développerait son point de vue sur le dossier
de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
On dit Jacques Chirac « obsédé » par le « oui » au futur référendum
sur la Constitution européenne : le mot est de l’un des ministres les
plus proches de l’Élysée. On dit même qu’il fait de la victoire du «
oui » une grande affaire et qu’il en fait son affaire. Il serait
donc, après la phase d’intense satisfaction des résultats du
référendum interne au Parti socialiste, très tracassé, sinon inquiet,
de la montée en puissance du « non » dans le pays. Il serait prêt à
tout pour lui barrer la route. Serait-il même prêt à sacrifier ses
propres convictions favorables à la négociation avec Ankara pour
qu’elle devienne l’un des États membres de l’Union ? C’est la
question que l’on se posait hier soir…
Il faut bien dire de ce point de vue que la lumière ne viendra pas de
son propre camp. L’équipe qu’il a installée à l’Hôtel Matignon est à
bout de souffle et fait le dos rond. Le premier ministre avait
fâcheusement laissé deviner son opinion il y a quelque temps en
déclarant : « Voulons-nous que le fleuve de l’islam rejoigne le lit
de la laïcité ? » Ce n’était pas très encourageant pour la Turquie,
c’est le moins que l’on puisse dire. Depuis, M. Raffarin a baissé
d’un ton et fait le discret. Quant au nouveau chef de l’UMP, M.
Sarkozy, qui accomplit paraît-il un voyage triomphal en Israël où il
flatte la politique de M. Sharon, il a toujours eu du mal à cacher
son opinion favorable à l’intervention militaire américaine en Irak,
et ne cache plus son hostilité à l’adhésion de la Turquie à l’Europe.
Ainsi donc, à droite, M. Chirac se sent un peu seul sur ce dossier.
Il est d’ailleurs saisissant de noter, de ce côté-là, que certains
argumentaires qui tendent à rejeter la Turquie ont un fort
désagréable parfum d’empire colonial d’autrefois. Il est certes tout
à fait légitime de demander à la Turquie de solder ses comptes avec
sa propre histoire, qui a parfois porté l’empreinte de la férocité
génocidaire à l’égard du peuple arménien notamment… Pourtant les
redresseurs de tort vêtus de probité candide et de lin blanc ont
quelquefois la mémoire qui flanche : c’est au coeur de l’Europe
chrétienne, à l’apogée de son règne si brillant, qu’a été commis le
massacre, unique dans l’histoire, connu sous le nom de « Shoah »…
Cela devrait rendre humble.
Naturellement, l’examen du dossier turc mérite une attention
sérieuse, sereine et généreuse. Aucun des chapitres en débat n’est à
rejeter d’un revers de main : la situation géographique du pays,
l’importance de sa population, la forte imprégnation de l’islam, la
situation des droits de l’homme en général et de la femme en
particulier, le caractère laïque de l’État, la puissance historique
de l’armée et de ses chefs, sont évidemment à prendre en
considération. Mais au fond l’essentiel tient à la vision politique
profonde de l’avenir qu’auront les uns et les autres au cours de la
négociation.
En définitive, la seule question qui vaille est simple : Quelle
Europe ? La réponse de M. Tony Blair, par exemple, ne laisse aucune
ombre : il envisage avec enthousiasme l’entrée de la Turquie dans
l’Union, parce qu’elle est membre de l’OTAN, parce qu’elle est l’amie
d’Israël, et parce qu’elle sera le cheval de Troie de l’Occident pour
« remodeler » le monde arabe… Autrement dit, le destin de l’Europe
est d’être amarré sous le bouclier américain, et la nature de son
système économique ne se pose pas : il est capitaliste jusqu’à la fin
des temps…
C’est ce qu’accepte Jacques Chirac. Nous ne l’acceptons pas.

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Michel Barnier n’a pas employé de lui-même le mot “génocide”, selon Paris

Agence France Presse
15 décembre 2004 mercredi 12:56 PM GMT

PARIS 15 déc 2004 — Le ministre des Affaires étrangères, Michel
Barnier, n’a pas employé de lui-même le mot “génocide” arménien, ne
faisant que reprendre l’expression d’un député français, a indiqué
mercredi le Quai d’Orsay.

“Monsieur Barnier n’a pas employé de lui-même ce mot. Celui-ci n’est
venu dans sa bouche que pour reprendre les termes de la question que
lui posait un député”, a déclaré la porte-parole adjointe du
ministère des Affaires étrangères, Cécile Pozzo di Borgo, lors d’un
point de presse.

“Nous poserons toutes les questions, notamment celle du génocide
arménien, notamment celle de Chypre, au long de cette négociation”
d’adhésion de la Turquie, avait déclaré mardi M. Barnier à
l’Assemblée nationale.

C’était la première fois que le ministre employait ce terme alors
qu’il avait jusque-là pris soin d’utiliser le terme “tragédie”, terme
souvent employé par les autorités turques pour qualifier cette
question.

Le 18 janvier 2001, le Parlement français a adopté une loi,
promulguée le 29 janvier, qui dispose dans son article unique : “La
France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915”, sans
toutefois en désigner les responsables.

L’exécutif français ne s’est jamais prononcé.

A l’Elysée, on indiquait que la France “n’est pas qualifiée pour
employer ce terme car il n’a pas été défini juridiquement et
internationalement”.

Le génocide est juridiquement identifié par la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide adoptée par
l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948.

L’Elysée souligne que cette convention a été appliquée pour la Shoah,
le Rwanda et le Cambodge mais pas pour l’Arménie et qu’elle ne peut
être rétroactive puisqu’elle vise à punir les auteurs du génocide.

Le président Jacques Chirac avait estimé en avril que la question de
la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie était “un
problème qui concerne les relations entre la Turquie et l’Arménie”.

“J’observe avec satisfaction qu’il y a dans ce domaine une évolution
positive et je m’en réjouis. On ne peut pas non plus sur le plan
bilatéral juger de tout l’avenir en fonction exclusivement du passé”,
avait-il ajouté.

Les massacres et déportations d’Arméniens sous l’empire ottoman de
1915 à 1917 ont fait 1,5 million de morts selon les Arméniens, et
entre 300 et 500.000 selon les Turcs.

Ceux-ci rejettent catégoriquement la thèse d’un génocide, faisant
valoir qu’il s’agissait d’une répression dans un contexte de guerre
civile, dans un empire ottoman sur le déclin.

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Les eurodéputés disent oui aux négociations d’adhésion avec la Turquie

Agence France Presse
15 décembre 2004 mercredi

STRASBOURG (Parlement Européen) 15 déc 2004

Les eurodéputés se sont prononcés mercredi en faveur de l’ouverture
de négociations d’adhésion entre la Turquie et l’Union européenne,
par 407 voix contre 262 et 29 abstentions.

L’avis du Parlement européen (PE) est un message politique avant tout
symbolique car la décision appartient aux chefs d’Etat et de
gouvernement de l’UE qui se réuniront jeudi et vendredi à Bruxelles.

Le rapport adopté par le PE recommande l’ouverture “sans délai
inutile” des négociations avec Ankara et n’envisage pas, dès à
présent, d’alternative à l’adhésion, comme le “partenariat
privilégié” réclamé par les droites française et allemande.

Si l’objectif “est que la Turquie devienne membre de l’UE”, ces
négociations sont cependant “un processus ouvert qui ne conduit pas a
priori ni automatiquement à l’adhésion”, soulignent les eurodéputés,
qui énumèrent une série de conditions à remplir, dont “une tolérance
zéro” contre la torture.

Les eurodéputés ont également adopté un amendement par 332 voix
contre 325 appelant “la Commission européenne et le Conseil à exiger
des autorités turques la reconnaissance formelle de la réalité
historique du génocide des Arméniens en 1915 et l’ouverture dans un
délai rapide de la frontière entre la Turquie et l’Arménie”, sans en
faire cependant un préalable aux négociations.

Les eurodéputés appellent également au retrait des troupes turques du
nord de Chypre et notent que les négociations se dérouleront avec les
25 Etats membres de l’UE, ce qui, “à l’évidence, implique la
reconnaissance de Chypre par la Turquie”.

A la demande de députés conservateurs qui ont réuni le nombre de
signatures suffisant (un cinquième du PE), le vote final s’est
déroulé de manière secrète, au grand dam de nombreux députés.

Ceux-ci ont manifesté leur protestation en brandissant des bulletins
avec la mention “Evet” (oui en turc) ou Hayir (non) au moment
d’appuyer sur leur bouton électronique.

Le non était ouvertement défendu par les droites française (UMP et
UDF) et allemande (CDU), ainsi que les courants souverainiste ou
d’extrême-droite.

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Turquie: Dupont-Aignan et Myard “implorent” Chirac de dire non à l’adhésion

Agence France Presse
15 décembre 2004 mercredi

PARIS 15 déc 2004

Les députés UMP Nicolas Dupont-Aignan et Jacques Myard ont “imploré”
mercredi Jacques Chirac “d’avoir le courage de proposer” un
partenariat privilégié à la Turquie et non une adhésion, à la veille
du Conseil européen qui doit décider de l’ouverture de négociations
d’adhésion.

“Ce serait tellement simple d’avoir le courage de proposer” jeudi et
vendredi à la Turquie “un partenariat privilégié”, a estimé M.
Dupont-Aignan, président de Debout la République, ajoutant: “il vaut
mieux une crise salvatrice et préventive demain à Bruxelles plutôt
qu’un grand choc” dans quelques années.

Selon le député, “il vaut mieux avoir le courage de dire les choses
maintenant aux Turcs, en leur proposant de bâtir d’abord un
partenariat”, et de “voir dans cinq ans” pour l’ouverture de
négociations d’adhésion si la Turquie “reconnaît le génocide
arménien” et si elle s’est “retirée de Chypre”.

“L’enjeu n’est pas que Jacques Chirac fasse passer la pilule aux
Français, car cela ne serait pas responsable devant l’Histoire, mais
que le président fasse passer la pilule aux Turcs”, en expliquant aux
partenaires européens que la France “ne peut pas accepter cette
adhésion parce que la majorité des Français y sont hostiles, et parce
que c’est dangereux”, a poursuivi M. Dupont-Aignan.

Pour Jacques Myard, président de Nation et République, “on est en
train de désespérer les Français de la construction européenne” avec
“cette affaire turque”.

“Avec le traité constitutionnel, on nous propose de tous vivre dans
la même chambre à coucher, puisque on a soi-disant les mêmes valeurs,
et on pourra tous circuler d’Istanbul à Lisbonne”, a critiqué M.
Myard, jugeant que “tout cela était de la pure utopie”.

Le président Jacques Chirac doit s’exprimer mercredi dans le journal
de 20H00 de TF1.

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Arménie/Turquie: le débat doit porter sur le “devoir de mémoire”, selon Copé

Agence France Presse
15 décembre 2004 mercredi

PARIS 15 déc 2004

Le porte-parole du gouvernement Jean-François Copé a assuré mercredi
que le véritable débat concernant les massacres d’Arméniens perpétrés
sous l’Empire ottoman en 1915 devait porter sur le “devoir de
mémoire” de la Turquie.

Interrogé lors du compte-rendu du Conseil des ministres sur la
position du gouvernement sur cette question, M. Copé a répondu que
“la loi qui a été votée par le parlement à l’unanimité est tout à
fait claire sur ce sujet”.

“Il n’y a pas d’ambiguité”, a-t-il ajouté.

Le 18 janvier 2001, le Parlement français a adopté une loi,
promulguée le 29 janvier, qui dispose dans son article unique: “La
France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915” sans
toutefois en désigner les responsables.

Pour M. Copé, “ce serait une erreur de déplacer le débat. Le
véritable débat renvoie au devoir de mémoire pour ce qui concerne la
Turquie, c’est cela le sujet, il n’y en a pas d’autre”, a-t-il
affirmé.

Le ministre des Affaires étrangères Michel Barnier avait demandé
lundi que la Turquie reconnaisse “la tragédie” arménienne avant de
rejoindre l’Union européenne, un terme souvent utilisé par les
responsables turcs.

Mais mardi, devant l’Assemblée nationale, pressé par les députés, il
a prononcé pour la première fois le terme de “génocide”.

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L’Union européenne prête à entrebailler ses portes à la Turquie (PAPIER BALAI)
Par Bertrand PINON

Agence France Presse
15 décembre 2004 mercredi

BRUXELLES 15 déc

L’Union européenne s’apprête à dire oui à des négociations d’adhésion
avec la Turquie au sommet de Bruxelles qui s’ouvre jeudi soir, mais
la route sera tortueuse d’ici à une entrée d’Ankara loin d’être
garantie et qui n’interviendra pas avant dix ou quinze ans.

La rencontre devrait aussi fixer au printemps prochain l’ouverture de
discussions similaires avec la Croatie et la signature du traité
d’adhésion de la Roumanie et la Bulgarie, attendues toutes deux dans
l’UE dès 2007.

Selon des diplomates, les pourparlers avec la Turquie ont toutes les
chances de démarrer à l’automne 2005, à des conditions cependant très
strictes. Ils pourront notamment être suspendus en cours de route cas
de violation des principes fondamentaux de l’UE.

Les chefs d’Etat et de gouvernement devraient souligner que les
discussions seront longues et reprendre à leur compte la
recommandation de la Commission européenne en faveur d’un “processus
ouvert dont le résultat ne peut être garanti avant terme”.

Sauf rebondissement, ils ne s’avanceront pas en revanche sur une
alternative à l’intégration en cas d’échec et se contenteront
d’affirmer le “lien” que l’UE veut conserver “quoi qu’il arrive” avec
Ankara, selon les mêmes sources.

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé mardi que
son pays n’accepterait “aucune autre perspective qu’une adhésion
pleine”.

La Turquie aspire à s’arrimer à l’Europe depuis plus de 40 ans. Elle
dispose du statut officiel de candidat à l’UE depuis 1999 et une
large majorité des dirigeants européens voit dans la perspective de
son intégration le moyen de jeter un pont entre l’Occident et le
monde musulman.

Mais les opinions en appréhendent souvent l’impact. Ainsi, 67% des
Français s’y disent opposés. En Autriche, la proportion grimpe à plus
de 75%.

Les consultations entre Etats membres des dernières semaines ont
déminé les

questions les plus sensibles laissées au verdict des dirigeants.

La France, qui craint que le débat sur la Turquie n’interfère avec le
référendum attendu au printemps pour la ratification de la
Constitution européenne, devrait avoir gain de cause sur sa
revendication d’ouvrir les négociations d’adhésion “au plus tôt au
2ème semestre” de l’an prochain.

M. Erdogan réclamait le début 2005, mais le scénario de Paris tient
la corde. Septembre ou octobre sont les mois les plus évoqués en
coulisses. L’hypothèse convient au Royaume Uni, qui présidera alors
l’UE et est l’un des principaux partisans d’Ankara avec l’Espagne,
l’Allemagne et la Belgique.

Berlin a obtenu de sécuriser les futurs pourparlers, en réintégrant
au projet de conclusions du sommet qu’une interruption éventuelle
devra être demandée par au moins un tiers des Etats membres pour être
étudiée.

Britanniques, Allemands, Espagnols et Belges restent réticents sur
les “clauses de sauvegarde” envisagées pour limiter les migrations de
travailleurs turcs dans le reste de l’Union en cas d’adhésion, mais
sans vélléité d’en faire un casus belli.

La présidence néerlandaise ambitionne un sommet court. “Le plan A,
c’est qu’on se met d’accord jeudi soir. Vendredi, on finalise les
conclusions et on se réunit à 25 plus 4 (Ndlr, Turquie, Croatie,
Roumanie, Bulgarie) avec le champagne”, résume un diplomate européen.

“Reste à savoir comment on va gérer Chypre”, tempère-t-il toutefois,
en référence à la question toujours entière de l’île divisée depuis
1974, dont seule la partie grecque est entrée dans l’UE le 1er mai.

Le chef de la diplomatie de Nicosie, George Iacovou, a réclamé lundi
que la Turquie fasse d’ici mars des pas en direction d’une
“normalisation” avec la République de Chypre, qu’Ankara refuse de
reconnaître.

De son côté, la France souhaite que pendant le processus de
négociations, la Turquie reconnaisse le génocide arménien de 1915.

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Barroso: c’est le moment de dire oui à la Turquie

Agence France Presse
15 décembre 2004 mercredi

PARIS 15 déc 2004 — Le président de la Commission européenne José
Manuel Durao Barroso a estimé mercredi que le moment était venu de
dire oui à l’ouverture des négociations d’adhésion à la Turquie et
s’est prononcé contre l’option d’un partenariat privilégié.

“C’est le moment, on peut dire oui à l’ouverture des négociations
avec la Turquie qui a fait énormément d’efforts”, a déclaré M.
Barroso sur France 2.

Jeudi soir s’ouvrira le sommet de l’Union européenne qui doit décider
d’ouvrir ces négociations d’adhésion.

M. Barroso s’est prononcé contre l’inclusion, dans les conclusions de
ce sommet, de l’option d’un partenariat privilégié en cas d’échec du
processus d’adhésion. “Ce ne serait pas juste à l’égard des Turcs si,
dès le début, on disait qu’il y a une autre catégorie pour être
membre. Ce serait vraiment ressenti par la Turquie comme une
discrimination par rapport aux autres pays qui veulent nous
rejoindre”, a-t-il dit.

Evoquant les craintes des Français à l’égard d’une Turquie
européenne, il a souligné que la Turquie “posait des problèmes
spécifiques” et devait gagner “le coeur et l’esprit des Européens”.
Il a appelé les Turcs “à faire des efforts” pour rassurer l’opinion
publique européenne.

Interrogé sur le génocide arménien dont la France demande la
reconnaissance par la Turquie avant l’adhésion, il a appelé la
Turquie à “donner des signaux sur ses engagements démocratiques”. Il
a cependant mis en garde contre une “exploitation populiste” de cette
question en soulignant que ce sont “des blessures très profondes et
des problèmes très difficiles”.

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Les Turcs déçus par l’attitude de la France
By Hassane Zerrouky

L’Humanité
15 décembre 2004

L’opinion publique se sent trahie par les obstacles que Paris semble
vouloir ériger à l’adhésion.

Dans les rues d’Istanbul et d’Ankara, une large majorité de Turcs ne
comprennent pas les réticences exprimées, notamment en France et en
Allemagne, à l’endroit de l’adhésion de la Turquie à l’Union
européenne. Davantage que la question de la reconnaissance du
génocide arménien par la Turquie, c’est le sondage du Figaro faisant
état du refus exprimé par une majorité de Français à l’adhésion de la
Turquie qui a le plus surpris les Turcs. La France jouissait jusqu’à
récemment d’une certaine estime dans ce pays. « Est-ce parce que nous
sommes musulmans ? » s’éton- ne une étudiante turque. Beaucoup, à
Istanbul et Ankara, se plaisent à rappeler que la Turquie avait
déposé sa candidature d’adhésion au Marché commun en 1963, à une
époque où la Grande-Bretagne, par exemple, n’était pas membre d’une
Europe qui comprenait alors six pays. Mieux, d’aucuns rappellent que
c’est sous le règne du sultan Abdelmegîd (1839-1861) que furent
promulguées les « tanzimet » (réformes) d’inspiration napoléonienne,
instituant un État moderne, une Constitution, le droit et l’égalité
des personnes, avant que Mustapha Kemal ne fonde la Turquie moderne
largement inspirée du modèle d’État laïc français. En bref, pour
cette élite turque de gauche et de droite, la Turquie regarde vers
l’Europe depuis la fin du XIXe siècle.
« En vérité, c’est le 11 septembre 2001 qui a tout changé. Avant,
personne, au sein de l’UE, n’avait avancé le prétexte de l’islam pour
s’opposer à l’adhésion de la Turquie », faisait remarquer un
journaliste turc de passage à Paris. Pour lui, comme pour de nombreux
Turcs, « cette question de l’islam est un faux problème ». Dans les
colonnes de l’Humanité, Ahmet Insel, professeur d’économie de
l’université de Galatasaray, collaborateur de la revue turque de
gauche Radikal, faisait observer que la droite et certains milieux de
la social-démocratie française instrumentalisent la question d’une
Turquie où l’islam est la religion dominante et du danger d’une
immigratio turquen massive à des fins de politique interne. Les
mêmes, affirmait-il, qui s’étaient tus quand le régime militaire, au
début des années quatre-vingt, réprimait la gauche et les démocrates
turcs.
En Turquie, côté politique, de Deniz Baykal, leader du CHP (Parti
républicain du peuple), seule formation d’opposition siégeant au
Parlement, à Devlet Bahceli, du MHP (nationaliste), en passant par
Mehmet Agar, du DYP (Parti de la juste voie), tous sont montés au
créneau pour exiger que le Conseil européen du 17 décembre fixe, sans
autres conditions que celles exigées par les critères de Copenhague,
une date à l’ouverture des négociations d’adhésion. Abondant dans le
même sens, le Tusiad (patronat turc) a adressé avant-hier une lettre
à tous les chefs d’État et de gouvernement des 25 pays membres de
l’UE. Dans la société turque, les Kurdes – 12 millions de personnes –
sont acquis majoritairement à l’adhésion à l’UE. « L’Europe sans la
Turquie sera un projet inachevé », déclarait l’ex-députée kurde Leyla
Zana, en juin 2003, face aux juges, lors de la révision de son
procès. En effet, dans la perspective de l’ouverture des négociations
d’adhésion, parmi les réformes politiques adoptées par le Parlement
d’Ankara, l’une d’elle équivaut à une reconnaissance partielle des
droits culturels et linguistiques de la minorité kurde. L’usage de la
langue kurde n’est plus formellement interdit et elle peut même être
enseignée. Autre minorité qui souhaite cette adhésion, les 15
millions d’alévis, variante du chiisme, politiquement proches de la
gauche, et surtout profondément laïcs. Les alévis sont l’objet de
mesures discriminatoires non écrites restreignant l’accès des membres
issus de cette minorité aux plus hautes fonctions publiques. Pour ces
représentants d’un islam moderne, une Turquie intégrée à l’UE se
traduira par la fin des discriminations.
Plus généralement, selon un sondage rendu public par l’agence de
presse turque Anatolia, ils sont 75 % de Turcs à souhaiter que leur
pays fasse partie de l’UE, et seulement 17 % contre. Parmi les pour,
on compte des islamistes réformateurs et des laïcs de gauche et de
droite. « L’inclusion de la Turquie dans l’UE va démontrer que
réduire la relation interculturelle à la seule religion est une
erreur », affirme le politologue Ilter Turan, cité par l’AFP. « Le
développement le plus important en Turquie au cours des dernières
années c’est la transformation de certains cercles islamistes, qui ne
voient plus de contradiction entre l’identité musulmane et une
attitude pro-européenne », rétorque de son côté Ihsan Dagi,
professeur de relations internationales, à l’AFP. « Ceux qui se
définissent à travers leur identité religieuse ont réalisé que leurs
demandes pour plus de libertés correspondaient avec les réformes
démocratiques requises par l’UE », ajoute-t-il. Et parmi les contre,
on retrouve des islamistes radicaux, ceux du parti Refah, une partie
de l’extrême gauche et des souverainistes, pour qui l’adhésion de la
Turquie à l’UE signifie pour les uns la fin d’une issue islamiste à
la crise sociopolitique, la fin des privilèges liés au pouvoir pour
les partisans d’un régime autoritaire militaro-civil.
Hassane Zerrouky

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Dossier. L’élargissement de l’Europe. Paroles de religieux…

La Croix
15 décembre 2004

Interview. Mesrob II, patriarche arménien de Constantinople: “Des
maisons de prière sont nécessaires”. Luis Erin, membre de l’Église
syrienne-catholique: “Seule l’Union européenne peut provoquer le
changement”. Ishak Haleva, grand rabbin de Turquie: “Nous sommes
privilégiés d’être les fils de ce pays”.

PLOQUIN Jean-Christophe

Mesrob II

Patriarche arménien de Constantinople

“Notre pays est comme un musée à ciel ouvert de l’histoire des
religions, du mont Ararat, à l’est, jusqu’à Éphèse à l’ouest. Des
polythéismes païens et les trois religions monothéistes y ont laissé
leurs marques dans chaque recoin. Aujourd’hui, particulièrement dans
nos grandes villes, des maisons de prière sont nécessaires pour les
fidèles des trois monothéismes. Là où elles n’existent pas, il
faudrait soit restaurer des infrastructures historiques, soit en
ériger de nouvelles.”

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L’Europe est prête à ouvrir ses portes à la Turquie ;

Le Monde
15 décembre 2004

Plus aucun obstacle ne s’oppose à l’ouverture des négociations
d’adhésion avec Ankara que devront décider, lors d’un sommet à
Bruxelles, jeudi et vendredi, les dirigeants des 25 pays membres de
l’Union. La France, qui a prévu un référendum, réclame toutefois que
l’issue ne soit pas garantie

Arnaud Leparmentier

BRUXELLES de notre bureau européen

Le SOMMET de l’Union européenne, convoqué jeudi et vendredi à
Bruxelles, devrait décider l’ouverture de négociations d’adhésion
avec la Turquie en 2005. L’intégration de la Turquie n’est pas
envisagée avant la fin de la prochaine PROGRAMMATION financière
2007-2013. Les négociations se dérouleront selon un processus destiné
à garantir à chaque étape que les règles de l’Union soient
effectivement mises en oeuvre, ce qui n’a pas été le cas dans les
élargissements antérieurs. A la demande principalement de la FRANCE
et de l’ AUTRICHE, une formulation de compromis doit encore être
trouvée afin que l’issue du processus reste ouverte. Lundi, à
Bruxelles, MICHEL BARNIER a également demandé à Ankara, sans en faire
un préalable à l’ouverture des négociations, de reconnaître le
génocide arménien.

Sauf coup de théâtre, les chefs d’Etat et de gouvernement européens,
réunis jeudi et vendredi 17 décembre à Bruxelles, décideront d’ouvrir
des négociations d’adhésion avec la Turquie. A deux jours de leur
conseil, le dossier est largement décanté. La bataille ne devrait
porter que sur des détails, certes importants ou affectifs, mais
mineurs au regard de l’enjeu.

« Les Turcs nous ennuient en prétendant qu’ils n’auront pas ce qu’ils
demandent. Ils auront l’ouverture des négociations et une date »,
rappelle un ambassadeur. En dépit des réticences de certaines
populations européennes, en particulier des Français, tous les
dirigeants veulent aller de l’avant. Le plus réticent, le chancelier
autrichien Wolfgang Schüssel, défenseur du « partenariat privilégié »
plutôt que d’une adhésion pleine et entière, ne brandit aucune menace
de veto.

Suivant les recommandations de la Commission, qui a considéré fin
octobre que la Turquie respectait « suffisamment » les critères
démocratiques dits de Copenhague, les « 25 » vont fixer jeudi soir au
cours d’un dîner la date d’ouverture des négociations. L’idée d’avoir
un nouveau rendez-vous courant 2005, pour vérifier une dernière fois
que la Turquie reste sur la voie des réformes, a été abandonnée. Elle
aurait contribué à éterniser le débat sur une adhésion peu populaire
et créé une crise avec Ankara.

Les Européens avaient précisé en 2002 à Copenhague que les
négociations s’ouvriraient « sans délai » après le sommet du 17
décembre. Mais Jacques Chirac veut gagner du temps, pour que ce début
de négociations intervienne le plus tard possible après le référendum
français sur la Constitution, histoire d’éviter que les deux débats
ne se télescopent. Le contretemps devrait être bref. Après avoir
réclamé une ouverture fin 2005-début 2006, Michel Barnier ne parlait
plus, lundi à Bruxelles, où avait lieu une réunion préparatoire des
ministres des affaires étrangères, que d’une ouverture « au plus tôt
au deuxième semestre 2005 ». Les pourparlers s’ouvriraient donc sous
la présidence du Royaume-Uni, grand partisan de l’adhésion turque, ce
qui est aussi le voeu du chancelier allemand Gerhard Schröder.

Le deuxième sujet litigieux porte sur le caractère des négociations,
dont il est précisé que leur issue est « ouverte ». Il s’agit là de
sauver la face des Turcs, qui ne veulent rien envisager d’autre que
l’adhésion, mais aussi des Français et des Autrichiens, favorables à
l’évocation d’une troisième voie en cas d’échec des négociations. Les
diplomates sont à la recherche d’une formule de compromis,
volontairement vague, stipulant que la Turquie restera quoi qu’il
arrive ancrée à l’Europe. Mais il n’est pas question d’expliciter un
quelconque statut spécial, partenariat privilégié ou scénario
alternatif. Ce serait humilier le gouvernement turc, qui a averti
qu’il le refuserait ; et c’est inacceptable pour le chancelier
Schröder, parce que cela ferait le jeu de son opposition
chrétienne-démocrate.

Malgré une mobilisation intense de la diaspora arménienne, la
dernière réticence française, le génocide arménien, ne devrait pas
non plus être une pierre d’achoppement. Certes, Michel Barnier a
demandé sa reconnaissance par Ankara : « Je pense qu’un grand pays
comme la Turquie doit faire son devoir de mémoire », a déclaré à
Bruxelles le ministre français qui, en invoquant la réconciliation
franco-allemande, a estimé que la Turquie, qui nie le génocide
arménien, devait également faire la paix avec ses voisins. Mais
Michel Barnier n’en a nullement fait une condition préalable à
l’ouverture des négociations d’adhésion.

Reste Chypre, dont le Nord est occupé par les Turcs et dont le
gouvernement chypriote grec n’est pas reconnu par Ankara. Mais nul ne
croit à un veto des Chypriotes grecs. A Bruxelles, leur ministre des
affaires étrangères, George Iacovou, a déclaré souhaiter que la
Turquie manifeste sa volonté de normaliser ses relations avec Nicosie
avant le sommet européen de mars 2005, ce qui équivaut, selon les
exégètes, à renoncer à en faire un préalable à l’ouverture des
négociations le 17 décembre.

Les Chypriotes grecs sont isolés en Europe, depuis que, contrairement
aux Chypriotes turcs, ils ont rejeté par référendum au printemps le
plan de réunification de l’île sous l’égide des Nations unies et
qu’ils bloquent un projet visant à aider économiquement le nord de
l’île. Le soutien de la Grèce va faiblissant, ce pays ayant obtenu
dans le projet de conclusions finales les garanties nécessaires pour
le règlement de ses conflits frontaliers avec la Turquie et ayant
fait de son rapprochement avec Ankara un axe stratégique de sa
politique.

D’autres réticences ont, elles aussi, été levées. Les Danois, qui
craignent une arrivée massive d’immigrés turcs en vertu de la libre
circulation des personnes, ont obtenu que l’on évoque de possibles
clauses de sauvegarde permanentes. Les Britanniques, qui tentaient de
s’opposer à ces clauses, disant qu’elles empêchaient une pleine
adhésion turque, ont eu droit aux sourires narquois de leurs
collègues continentaux, qui leur ont rappelé le nombre de clauses
d’exemption dont bénéficie l’Albion. Dans ce contexte, les diplomates
tablent sur un accord au Conseil européen de Bruxelles.

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« Vivre sous le ciel de l’Union européenne » ;

Le Monde
15 décembre 2004

DOSSIER TURQUIE LES FRONTIERES ;
Voyage le long de ce qui pourrait devenir les nouvelles frontières de
l’union européenne : Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Iran, Irak et
Syrie

Marie Jégo

La route qui défile au coeur d’un paysage de montagnes au nord-est de
Kars s’interrompt brutalement, barrée en son milieu par un bloc de
pierre agrémenté du drapeau turc et d’une citation de Mustafa Kemal
Atatürk. Barbelés et miradors courent sur des kilomètres. En face, à
700 mètres à peine, c’est l’Arménie. A flanc de montagne au loin, on
aperçoit même Giumri, la première ville arménienne, qui abrite
aujourd’hui une importante base militaire russe. Mais, hormis
quelques rares bergers, personne, jamais, ne passe par ici car le
passage est fermé depuis des années. La voiture qui vient de faire
irruption dans ce cul-de-sac désolé à 2 000 mètres d’altitude a semé
l’émoi dans la petite garnison toute proche. Le soldat en faction se
précipite sur la route, un gradé vient à sa rescousse.

Après l’inéluctable « Qu’êtes-vous venus faire ici ? » suit une
invitation à pénétrer dans le cantonnement. Une fois les identités
vérifiées, une recrue apporte le thé, servi dans de petits verres qui
brûlent les doigts. L’endroit est douillet, bâti de neuf l’an
dernier, et la télévision grand écran aide sans doute à mieux
supporter les longues soirées d’hiver, quand la nuit tombe à 15
heures et qu’il fait – 35°C dehors. Peu habitués à voir du monde, les
soldats redoutent les questions. « Si vous avez aimé notre thé, nous
serions soulagés de vous voir partir », avoue le commandant. Son
empressement est d’autant plus grand que les inconscients buveurs de
thé, ignorants des usages, ne savent pas qu’ils se trouvent « en zone
numéro un, interdite aux étrangers », dont la seule évocation suffit
à faire rougir l’officier.

Désertée et battue par les vents, la frontière turco-arménienne,
vieille cicatrice de l’Histoire, en dit long sur les crispations
persistantes entre les deux Etats. La blessure des Arméniens, c’est
le massacre de 1,5 million des leurs entre 1915 et 1917, au moment de
la désintégration de l’empire ottoman. La Turquie, qui réfute ce
nombre et le terme de génocide, est, pour sa part, sensible au sort
des Azerbaïdjanais turcophones chassés de leurs terres par la guerre
(1988-1994) pour la conquête du Haut-Karabakh – un territoire
majoritairement peuplé d’Arméniens en Azerbaïdjan -, enjeu d’une
guerre de sept ans entre ces deux Etats de Transcaucasie.

C’est d’ailleurs en pleine guerre du Karabakh, en 1992, qu’Ankara
décida de clore la frontière, par solidarité avec les frères azéris
défaits. Malgré l’amorce, ces dernières années, d’un dialogue
turco-arménien, la réouverture se fait attendre. Et s’il est
possible, depuis deux ans, de gagner Erevan en empruntant un vol
direct depuis Istanbul, Kars, à l’extrême nord-est de la Turquie,
fait face à l’Arménie sans pouvoir l’atteindre. Située à une
soixantaine de kilomètres de la frontière, la ville (145 000
habitants) est privée des échanges transfrontaliers qui font le
bonheur de ses voisines.

FRONTIÈRE FERMÉE AVEC L’ARMÉNIE

En effet, à 200 kilomètres à l’est, Igdir ou Dogubeyazit prospèrent
grâce au commerce avec l’Iran et avec le Nakhitchevan (territoire
azerbaïdjanais situé entre l’Arménie, l’Iran et la Turquie). A 100
kilomètres plus au nord, Ardahan connaît beaucoup de passages du fait
de sa proximité avec le poste frontière de Possof, vers la Géorgie.
C’est par là que doit passer l’oléoduc Bakou (Azerbaïdjan) – Tbilissi
(Géorgie) – Ceyhan (Turquie) (BTC), appelé à transporter le brut de
la Caspienne vers la Méditerranée et les marchés mondiaux. En 2007,
son tracé sera doublé par un gazoduc.

Cette future manne énergétique réjouit Nevzat Turhan, le préfet de
Kars, qui y voit une solution aux problèmes de pollution locaux : «
Comme il fait très froid et qu’il n’y a pas de gaz naturel, les gens,
pour la plupart, se chauffent au charbon. » Selon lui, « la fermeture
de la frontière pèse sur l’économie de la région ».

Le jeune maire de Kars, Naif Alibeyoglu, a bon espoir : « La
frontière s’ouvrira », peut-être même « dès 2005 ». « Naif bey »,
comme on dit parfois ici, a deux priorités : l’ouverture de la
frontière et l’approfondissement des liens avec l’Union européenne. «
C’est la seule alternative possible à l’extrémisme de George Bush et
à la guerre totale déclarée par Oussama Ben Laden », aime-t-il à
répéter. Mais l’intégration de la Turquie dans l’UE ne passe-t-elle
pas par la réconciliation turco-arménienne ? « Le dialogue aidant,
tout finira par s’arranger », veut-il croire. Et puis, « l’Anatolie
n’est-elle pas pour la Transcaucasie la voie la plus courte vers
l’Europe ? ». Enfant du pays devenu homme d’affaires, et un maire
apprécié de ses administrés – il entame son second mandat -, Naif
Alibeyoglu est représentatif de cette nouvelle génération d’hommes
politiques turcs que la nébuleuse de l’AKP, le parti au pouvoir, a su
attirer autour de son projet européen et réformateur.

Mais, vue d’Akyaka, un petit bourg à 13 kilomètres de la frontière
arménienne, l’ouverture au monde a une autre saveur. La gargote des
Trois Grillades affiche au menu des poissons pêchés « au barrage » de
la centrale électrique d’Arpacay, la seule chose que Turcs et
Arméniens exploitent en commun depuis vingt-trois ans. « Ça pêche des
deux côtés », tient à préciser Mehmet Erdagi, tenancier du lieu.

Entre deux gorgées d’un thé noir et brûlant, il raconte que, quand
bien même la frontière a été ouverte de 1923 à 1992, « le passage à
pied n’a jamais été autorisé ». Durant son enfance, dans les années
1950, « on n’y laissait pas même un oiseau voler ». Il fallut
attendre le dégel gorbatchévien de la fin des années 1980 pour que
des trains passent. « Deux fois par semaine, des touristes arméniens
allaient à Kars, mais, pour nous, cela ne changeait rien puisque le
train ne s’arrêtait jamais ici », dit-il en haussant les épaules.

« L’EUROPE SEMBLE LOIN »

Au café d’à côté, cultivateurs et fonctionnaires de la
sous-préfecture – « les têtes pensantes d’Akyaka » – palabrent autour
d’un verre de thé, comme chaque fin de journée. Le thème de «
l’ouverture de la porte » fait mouche. Sont-ils pour ? « Pas tant que
l’Arménie occupera les territoires azerbaïdjanais autour du Karabakh.
A 70 %, les gens de la région sont originaires de l’Azerbaïdjan ;
alors, forcément, ça les touche », explique un homme au col de
fourrure, chargé des finances à la sous-préfecture. Un autre ajoute
que la frontière reste, depuis l’époque de l’URSS, gardée par des
militaires russes. Eray, policier chargé de rédiger les
procès-verbaux avec « l’autre côté », lors du passage inopiné de
bétail par exemple, acquiesce : « La Russie contrôle la frontière,
c’est elle qui est mentionnée dans les PV. Je préférerais avoir
affaire aux Arméniens. »

Et l’entrée de la Turquie dans l’UE ? « Difficile d’être contre »,
explique un consommateur. « Ça ne changera pas grand-chose ici »,
tempère Eray. Occupés essentiellement à l’élevage et à l’agriculture,
les gens d’Akyaka ont du travail quatre mois par an. L’hiver est
rude, les ressources limitées, et les petites parcelles ne suffisent
pas à faire vivre toute la famille. « Nous étions cinq frères, mon
père avait 20 hectares, pas assez pour nous nourrir tous, alors je
suis parti chercher du travail à Kars », explique Orhan, la
soixantaine. La réduction récente des subventions à l’élevage, voulue
par Ankara au nom de la marche du pays vers l’économie mondialisée,
n’est pas vue d’un bon oeil. « Ceux-là n’auront plus nos voix ! »,
fulmine un éleveur.

« Ce n’est pas l’Union européenne qui nous donnera à manger ! »
conclut un homme en complet veston et casquette, sans lever les yeux
de son journal. « L’Europe semble loin », lâche le garçon de café. «
Pas pour moi ! » s’exclame le jeune Murat, fort de ses quatre années
passées à Berlin, où il a travaillé « dans une disco, et aussi à
vendre des fleurs ». Et de raconter son séjour en prison en
Allemagne, pour défaut de papiers. « Leurs prisons sont dix fois
pires qu’ici ! », assure-t-il avec l’assentiment du public. Gêné,
Mehmet Erdagi, le patron du petit restaurant d’à côté, glisse : «
Excusez Murat, il n’a pas toute sa tête… » Derrière lui, le garçon
porte une bouteille imaginaire à ses lèvres et chuchote, d’un air
entendu : « Il boit ! » Dans le brouhaha général, une voix se fait
entendre : « La vérité, c’est qu’on n’entrera pas ; ils ne veulent
pas de nous, ils ne veulent pas de musulmans ! » Suit un murmure
d’approbation.

A près de 300 kilomètres de là, autour d’Igdir, l’activité
transfrontalière est visible. Les camions iraniens sont nombreux, la
ville regorge de petits hôtels, et ses habitants ne sont pas les
derniers à se rendre en Iran, « où les produits sont moins chers ».
Le poste frontière avec le Nakhitchevan, situé au fond d’un étroit
corridor entre l’Arménie et l’Iran appelé Dilucu – « le bout de la
langue » – voit pas mal de passages, « surtout au moment des fêtes »,
confie un douanier. C’est jour de marché, et des paysans
nakhitchevanais en guenilles attendent le feu vert pour passer. Le
contrôle n’en finit plus. Les plus nantis, des chauffeurs de vieilles
Mercedes garées le long du poste, patientent eux aussi. « Des
trafiquants d’essence », chuchote un paysan.

« ONT-ILS LE CHOIX ? »

Essence, fioul et brut sont le nerf du commerce transfrontalier pour
tout l’est et le sud de la Turquie. A 550 kilomètres au sud d’Igdir,
Silopi, principal point de passage à la frontière turco-irakienne, ne
désemplit pas. Les camions-citernes qui y font la queue sur une
dizaine de kilomètres vont chercher du brut qu’ils transporteront
ensuite jusqu’à la raffinerie d’Iskenderun. Une fois raffiné, le
pétrole retourne en Irak. « Pour les besoins des Américains »,
précise Bedi, la cinquantaine, propriétaire d’une petite entreprise
de transport. Ses affaires « marchaient bien » jusqu’à l’intervention
américaine. Depuis, tout va à vau-l’eau. Un de ses chauffeurs a été
assassiné, un autre a disparu, deux camions ont été détruits. «
Puisque le pétrole est acheté par les Américains, ils sont
responsables. Ils doivent nous indemniser ! » insiste-t-il.

Hamide Tekin et ses six enfants, sans ressources depuis la mort du
père, Veysi, tué le 14 novembre dans une embuscade à Beyci, non loin
de Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, cherchent en vain à qui
s’adresser. Originaire du village d’Ömerli, près de la frontière
syrienne, Hamide avait l’habitude de faire le trajet pour améliorer
l’ordinaire de la famille. Aujourd’hui, tout le village le pleure.
Mais, comme si sa mort ne suffisait pas, la famille s’est lourdement
endettée pour pouvoir récupérer le corps. Le beau-père du défunt a
erré des jours durant en Irak à la recherche de la dépouille mortelle
: « Rien que pour accéder à la morgue, j’ai dû payer 100 dollars. »
Le vieil homme poursuit : « Si tu savais le chaos qui règne en Irak !
Les gens sont prêts à te vendre au premier venu pour quelques sous !
De ce côté-ci, les choses changent en mieux, là-bas… »

Partis dans l’espoir de gagner quelque 200 euros, ces camionneurs,
enlevés, attaqués ou victimes de balles perdues, paient un lourd
tribut à la guerre. Ils sont 66 chauffeurs de poids lourds, pour la
plupart originaires des régions kurdes jouxtant la frontière, à avoir
trouvé la mort en Irak. Le ministre turc des affaires étrangères,
Abdullah Gül, a bien parlé de constituer un fonds d’assurances pour
les familles endeuillées, mais rien n’est encore venu. A Silopi,
avertissement dérisoire, on a affiché une carte d’Irak montrant les «
zones à risques ».

« Nos gars savent bien que leur vie est en jeu, mais ont-ils le choix
? Toute la région est occupée au transport routier. Avant, les
paysans naissaient la bêche à la main ; à présent, tout est dans le
volant. Sans camion, point de salut », explique Servet Cemiloglu,
maire d’Ömerli. Depuis des millénaires, les populations syriaques
(chrétiens d’Orient) cultivaient la vigne et faisaient leur vin. La
plupart sont parties récemment, comme les paysans kurdes, poussés par
la destruction de près de 3 000 villages au moment de la guerre entre
l’armée et les séparatistes du PKK (Parti des travailleurs du
Kurdistan) entre 1984 et 1998.

Depuis la normalisation – l’état d’urgence a été aboli, l’armée et
les forces spéciales sont moins visibles, les contrôles rares, les
accrochages aussi -, l’atmosphère s’est détendue, le retour dans les
villages se fait au compte-gouttes. A Ömerli, la municipalité a
récemment restauré une vénérable église « grâce à l’aide des
syriaques réfugiés en Suède ». « N’allez pas penser qu’on a fait ça
pour de l’argent ! » s’empresse d’ajouter le maire. Partisan de « la
tolérance entre les peuples », il dit souhaiter le retour des
syriaques et regrette la décision de la municipalité, il y a vingt
ans, de refuser l’installation d’une cave viticole, pour des motifs
religieux. Deux camionneurs, Selim et Mehmet, acquiescent. Ils ne
veulent plus repartir en Irak, c’est trop risqué, et se demandent ce
qu’ils pourraient bien faire.

UN VENT DE LIBERTÉ

Depuis deux ans, des touristes étrangers, attirés par les trésors
archéologiques que recèle la région, ont fait leur apparition. A
Mardin, superbe ville ancienne aux pierres couleur de miel à flanc de
colline, chaque été désormais « le grand hôtel affiche complet »,
s’enorgueillit son jeune directeur, Bedrettin Gündes. Le vent de
liberté qui souffle sur ces régions, tout juste sorties de
l’engrenage de la guerre, doit beaucoup à la perspective
d’intégration de la Turquie à l’UE, chacun en a bien conscience.

« Nous voyons l’adhésion de la Turquie comme la meilleure garantie de
notre sécurité, confie Bedrettin. Pendant des années, on a dit aux
gens d’ici : «Vous n’existez pas !» Obtenir leurs droits, comme celui
d’enseigner le kurde ou de s’organiser, y compris sur le plan
politique, est devenu pour eux une question de dignité. » Réfutant le
scénario du séparatisme, il est persuadé que « Turcs et Kurdes
continueront de vivre sous le même toit », mais, de préférence, «
sous le ciel de l’Union européenne ».

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Lettre ouverte à Jacques Chirac;
La reconnaissance du génocide arménien
par Ara TORANIAN

Le Figaro
15 décembre 2004

Monsieur le Président de la République,

Vous allez parler au nom de la France au sommet des chefs d’Etat qui
devra statuer le 17 décembre à Bruxelles sur l’ouverture des
négociations en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Or, le principe d’une adhésion, qui semble bénéficier de votre
soutien, crée un grand climat d’inquiétude parmi les 450 000 Français
d’origine arménienne, qui sont tous des descendants des rescapés du
génocide de 1915.

Cette appréhension n’est pas une manifestation d’intolérance. Elle
n’est pas non plus dictée par un quelconque sectarisme d’ordre
religieux ou de civilisation : les communautés arméniennes dispersées
aux quatre coins du monde vivent en effet en parfaite harmonie avec
l’ensemble de leurs congénères, quelles que soient leurs races ou
confessions.

Elle ne saurait exprimer non plus on ne sait quelle fixation morbide
sur un passé tragique que les Arméniens seraient incapables de
dépasser.

Ce sentiment légitime de crainte et d’indignation qui habitent ceux
dont je me fais aujourd’hui l’interprète est d’une tout autre portée.
Il est en effet provoqué et entretenu par l’attitude de la Turquie
dont la politique actuelle continue de témoigner d’une forme de
complicité face à l’extermination des Arméniens dans ce pays.

Après avoir refoulé cet événement pendant des décennies, les
autorités turques successives sont en effet entrées dans une phase
active de négationnisme, avec force moyens budgétaires, à l’intérieur
de leur frontière et partout dans le monde. Il ne s’agit plus
seulement pour elles de se « voiler la face », de dissimuler les
faits, mais de les réviser, de les dénaturer. Voire d’en empêcher
partout dans le monde la relation. La France a été confrontée au
moment de la reconnaissance parlementaire du génocide arménien (lois
du 28 janvier 2001) à ces manoeuvres extravagantes qui se sont
traduites par une sorte de chantage politico-économique à son égard.
Des pressions comparables ont également été exercées avec constance
et force sur toutes les institutions notamment aux Parlements suisse
et canadien en 2004 qui ont eu à un moment ou un autre le courage de
dire la vérité sur le sujet, d’exprimer leur compassion envers les
victimes, d’accomplir leur devoir de mémoire.

En Turquie, la communauté arménienne 60 000 personnes aujourd’hui,
contre environ 2,2 millions au début du siècle dernier n’a ni le
droit de commémorer cet événement ni d’y faire référence, encore
moins de le qualifier. Pis, des monuments et des rues portent le nom
des instigateurs et responsables du génocide. Jusqu’à aujourd’hui,
des intellectuels turcs, qui, au péril de leur intégrité, s’opposent
à cette politique, continuent à être censurés ou réprimés. Dans le
nouveau Code pénal adopté le 26 septembre dernier, l’exposé des
motifs de l’article 305 prévoit quinze années de prison pour tous
ceux qui feront état dans la presse du génocide arménien.

Monsieur le Président,

Comment de tels faits pourraient-ils laisser de marbre les rescapés
du génocide et leurs enfants, quand bien même ceux-ci sont-ils
devenus depuis des citoyens français à part entière ?

La non-reconnaissance du génocide entrave le travail de deuil. Il
interdit la cicatrisation des plaies. Nos amis juifs le savent bien :
le négationnisme, véritable pendant politique du génocide, en attise
les brûlures, perpétue les souffrances. Outrage à la mémoire des
victimes, ce déni est aussi un défi à la conscience humaine et à ce
titre il hypothèque l’indispensable entente entre les peuples.
Perpétuant l’ignorance et la confusion, il encourage le fanatisme
dans certaines franges de la population turque. L’agression
antiarménienne commise à Valence le 27 novembre dernier ainsi que
divers actes racistes qui nous ont été rapportés témoignent des
risques que ferait courir l’entrée d’une Turquie qui continuerait à
s’enferrer dans la négation et l’arménophobie.

A l’heure où l’ouverture des négociations avec la Turquie est
annoncée partout comme inéluctable, le Conseil de coordination des
organisations arméniennes de France se tourne vers vous, en tant que
dernier rempart contre une fatalité dont personne en France ne veut
(la quasi-unanimité des partis politiques est en effet contre
l’entrée de la Turquie, et les plus favorables à Ankara, comme le PS,
conditionnent l’ouverture des négociations à la reconnaissance turque
du génocide arménien).

Monsieur le président, nous vous demandons d’être le 17 décembre à
Bruxelles la voix qui dira non à l’ouverture des négociations avec un
Etat qui, ne fût-ce qu’en raison de son attitude envers le génocide
arménien ou de son blocus exercé contre l’Arménie, est indigne des
valeurs de l’Europe.

Nous vous demandons de protéger les Français d’origine arménienne des
menaces que fait peser la perspective d’adhésion à l’Europe d’un Etat
qui, par son négationnisme actif, se fait le complice du génocide
dont leurs parents ont été les victimes directes.

Nous vous demandons de dire que cette reconnaissance par la Turquie
ne saurait entrer dans le cadre des discussions qui s’annoncent,
devenant ainsi l’objet d’une sorte de marchandage indécent, mais
qu’elle doit être le préalable à toute discussion sur une éventuelle
adhésion. Nous vous demandons de rester le garant des principes qui
font la force de notre cohésion nationale française.

Nous vous demandons de dire la justice en même temps que le droit, et
dans un mouvement qui répondrait également aux attentes des forces
véritablement démocratiques et européennes de Turquie, d’affirmer
avec elles que, non, définitivement non, l’Europe ne saurait vivre
avec dans sa cave le cadavre d’un peuple assassiné.

* Président du Conseil de coordination des organisations arméniennes
de France (CCAF).

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L’argumentaire antiturc passé au crible;
UNION EUROPÉENNE Devant la montée des réticences à l’entrée d’Ankara
par Alexandre ADLER

Le Figaro
15 décembre 2004

On ne parlera plus bientôt de la candidature turque en Europe. En
bien ou en mal. Si, le 17 décembre, une date officielle est fixée
pour le début des négociations avec Ankara, commencera alors un long
et fastidieux processus qui n’aboutira, en toute hypothèse, à une
entrée de la Turquie dans l’Europe que dans une décennie. Si, au
contraire, des manoeuvres ultimes doivent aboutir à faire dérailler
la négociation à la dernière minute, la Turquie tournera
définitivement le dos à sa séculaire tentation européenne pour
chercher fortune ailleurs. Qu’il me soit permis donc de revenir sur
quelques éléments de la controverse et d’apporter un éclaircissement
indispensable.

Les adversaires de la candidature turque ont apporté au débat des
arguments de valeurs très inégales ; on doit à la vérité de dire que
les partisans de l’adhésion turque ont eu parfois le même problème.
Déjà au début des années 30 le grand dirigeant communiste italien
Antonio Gramsci, qui écrivait depuis les profondeurs de sa prison,
estimait que, dans les controverses politiques, il ne faut jamais
s’en prendre aux idées faibles, mais aux idées fortes de
l’adversaire. C’est ce que je vais entreprendre ici. J’ai retenu pour
ma part quatre objections décisives ; aucune ne me semble dirimante.

Première objection : il faut avant toute demande d’adhésion de la
Turquie que celle-ci règle au préalable ses contentieux avec la Grèce
Chypre et avec le peuple arménien le génocide de 1915. Ceux qui
avancent aujourd’hui cette exigence bien tardive ne font que créer
les conditions pour rendre cette affaire insoluble demain. La
Turquie, en effet, a accepté cette année même le compromis élaboré à
l’ONU par son secrétaire général, Kofi Annan. Alors que les Turcs de
Chypre ont dit oui au compromis, les Grecs de l’île, encouragés en
sous-main par la droite chrétienne démocrate allemande, ont répondu
massivement non. On peut à l’évidence reprendre le dossier et le
faire aboutir dans le cadre de la négociation ultérieure avec la
Turquie. Mais, à l’évidence, la balle est à présent dans le camp
gréco-chypriote, et c’est lorsque de nouvelles propositions auront
été posées sur la table que l’on pourra obtenir facilement la
reconnaissance de la République de Chypre par Ankara.

Plus délicat et aussi plus tragique, le dossier arménien. En réalité,
un gouvernement turc a déjà reconnu par le passé la honte des
massacres de 1915 qu’on n’appelait pas encore un « génocide ».
C’était hélas le gouvernement du dernier sultan qui connaissait là
ses spasmes ultimes. Il est hors de doute que la Turquie doit aborder
de front cette question. Il faut commencer, dans un climat de
sympathie envers la Turquie, à obtenir des réunions d’historiens où
chacun pourra exposer son point de vue et aboutir peu à peu à une
version commune de l’histoire qui pourrait être exemplaire.

Il n’est pas étonnant que la thématique du génocide ressorte avec
d’autant plus de force que la situation arménienne d’aujourd’hui est
imprésentable. Alors que la démocratie turque montre tous les jours
sa vigueur et son enracinement populaire, l’Arménie vit avec un
président élu par les mêmes méthodes qui échouent en ce moment en
Ukraine, la fraude électorale généralisée. Cet État arménien en
faillite a d’autant moins de leçons à donner que le premier président
de l’Arménie indépendante, le sympathique et honnête Levon
Ter-Petrossian, avait, lui, accepté un plan de paix global avec
l’Azerbaïdjan présenté par la Turquie, et souhaitait arriver à une
réconciliation sans préalable avant d’aborder le problème du
génocide.

Il faut enfin ajouter qu’un examen complet du contentieux arméno-turc
ne pourra se dispenser non plus de l’ouverture des dossiers du KGB
arménien des années 70 et du rôle central qu’il a joué dans
l’entreprise de déstabilisation de la Turquie menée par l’Union
soviétique et ses alliés syrien, bulgare et, de facto, grec. Mais
sans conteste, le dossier du génocide arménien devra être ouvert,
dans le cadre général d’une négociation sincère et complète avec la
Turquie. La Turquie serait-elle mise à la porte de l’Europe ce
vendredi qu’elle devrait encore le faire.

Deuxième argument, celui-là beaucoup plus sérieux, la pauvreté
turque. Les disparités sont aujourd’hui énormes entre Istanbul et la
façade égéenne, d’une part, l’intérieur du pays, de l’autre. Si l’on
considère la dynamique, néanmoins, on observera que le moteur
stambouliote est aujourd’hui aussi puissant que l’est le moteur
shanghaïen à l’échelle de la Chine. Personne ne demandera jamais aux
contribuables européens d’assurer par leurs subsides le développement
de l’Anatolie. En revanche, on doit observer que l’union douanière de
la Turquie et de l’Europe fonctionne déjà depuis plusieurs années ;
qu’elle a entraîné un choc de productivité dans l’économie turque qui
a mis en difficulté beaucoup de PME incapables de faire face à la
compétition de l’Europe de l’Ouest.

Mais troisième argument un « partenariat privilégié » ne
répondrait-il pas à ces légitimes attentes de la Turquie sans pour
autant l’introduire au coeur des institutions européennes ? Nous
observerons que jamais au grand jamais ce partenariat privilégié n’a
été proposé à la Turquie dans aucun domaine avant que cette dernière
ne présente sa candidature en bonne et due forme. Nous avons plutôt
été frappés par l’hostilité latente de plusieurs États européens à la
politique turque, au manque de solidarité devant le terrorisme kurde,
à l’incompréhension de son alliance avec Israël, au mépris pour son
prétendu atlantisme et à l’avarice en matière d’aide au
développement. Un partenariat privilégié, qui est en réalité le refus
d’accorder certains privilèges modestes qui vont avec l’adhésion à
l’Europe, ne représenterait en toute hypothèse qu’une pluie de mots
apaisants et melliflus accompagnés peut-être de quelques pourboires
humiliants qu’il n’est pas dans l’esprit turc d’accepter en se
prosternant. Comme le général Kilinc l’a déjà déclaré, la Turquie
peut aussi explorer d’autres politiques avec la Russie, l’Iran,
Israël et, avant tout, avec les États-Unis, qui exigeront moins
d’elle et lui donneront en définitive peut-être davantage en termes
de sécurité et d’accès aux marchés.

Quatrième argument : la Turquie, dans l’état actuel de transformation
extrêmement délicate de l’Europe, ne va-t-elle pas définitivement
perturber un équilibre déjà instable ? Ceux-là mêmes qui avancent ce
genre d’arguments ne semblent nullement inquiets de l’arrivée
imminente de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Croatie. Ce sont
aussi les mêmes qui exultent devant le basculement de l’Ukraine sans
même considérer un seul instant les problèmes qu’un tel élargissement
nous crée instantanément avec la Russie si rien n’est fait en
parallèle avec Moscou.

C’est ici véritablement que l’on se moque du monde. Car aussi
nécessaire que soit l’adoption de la Constitution Giscard d’Estaing
pour apporter un semblant d’ordre à cette étonnante structure qu’est
l’UE, personne ne peut croire qu’elle va fonctionner sérieusement.

Ceux qui ne se payent pas de mots savent que d’autres opérations
chirurgicales seront encore nécessaires pour que l’Europe parvienne à
se développer normalement. Les négociations avec la Turquie se
dérouleront donc en réalité durant ce long et difficile processus.
Beaucoup se disent qu’entre-temps la Turquie aura dérapé et la
nécessité de l’intégrer ne se présentera plus. Je n’exclus pas pour
ma part le scénario inverse où le sujet européen qui engage les
pourparlers avec Ankara ne sera plus tout à fait le même entre le
début et la fin de la négociation, si toutefois on permet à cette
négociation d’avoir lieu. Ce n’est pas la Turquie qui empêche
aujourd’hui la France et l’Allemagne de prendre la tête d’une
structure européenne plus ramassée, dotée d’une stratégie à long
terme capable de peser sur les destinées du monde. Ce n’est pas la
Turquie qui nous oblige à conserver nos 35 heures et nos rigidités
structurelles en tout genre. Ce n’est pas la Turquie qui empêchera la
Lituanie ou la Slovaquie de poser de lourds problèmes de
compatibilité au noyau européen. Ce n’est pas la Turquie non plus qui
pousse l’Angleterre ou la Suède à refuser obstinément l’euro. En
revanche, en rompant enfin avec les complaisances et les inepties
d’une politique arabe qui n’a mené à rien, l’Europe apporterait la
preuve de sa capacité stratégique au lieu de se rétracter sans fin
sur sa prospérité vieillissante et craquelante.

Je n’ai pas ici évoqué le problème de notre incompatibilité de
valeurs. Cette question, en effet, m’a toujours semblé absurde. Je
n’ai pas les mêmes valeurs qu’un fils de gestapiste allemand, ou
qu’un gauchiste espagnol, et pourtant nous sommes bien tous ensemble
en Europe. En revanche, je sais ce que les émigrés antinazis
d’Allemagne et d’Autriche, les enfants juifs de Bulgarie, tel le
grand pianiste Alexis Weissenberg, doivent à ces libéraux turcs qui,
malgré les pressions constantes du fascisme abattu sur l’Europe
entière, n’ont pas cédé devant l’horreur. Avec ces hommes et ces
femmes, je partage en effet les mêmes valeurs, et ce m’est une raison
supplémentaire, mais non décisive, je le reconnais bien volontiers,
de vouloir que la Turquie soit à nos côtés en Europe.

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La Turquie maintient sa pression sur l’Union européenne

Le Figaro
15 décembre 2004

A deux jours de l’ouverture du sommet de Bruxelles, qui doit décider
de l’ouverture de négociations avec la Turquie, le premier ministre
Recep Tayyip Erdogan a lancé hier un vibrant appel aux dirigeants
européens, pour leur rappeler que son objectif à terme était l’«
adhésion pleine » à l’Union européenne (UE), et rien d’autre. Le chef
du gouvernement turc n’a pas relâché la pression, ajoutant qu’Ankara
n’hésiterait pas à retirer sa candidature si l’Union européenne lui
posait des conditions inacceptables.

A Bruxelles, demain soir et vendredi, les chefs d’Etat et de
gouvernement de l’UE devraient donner un feu vert au lancement de ces
négociations en assortissant toutefois leur décision de conditions
strictes et en précisant que les pourparlers dureront une dizaine
d’années. La date d’octobre 2005 circulait hier dans les coulisses
bruxelloises pour l’ouverture de ces discussions.

Ce soir, Jacques Chirac devrait réaffirmer dans une allocution
télévisée son « souhait » de voir les Turcs rejoindre l’UE, tout en
rassurant l’opinion française sur les futures négociations qui ne
déboucheront pas automatiquement sur une adhésion.

Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a déclaré hier
devant les députés que la France poserait « toutes les questions,
notamment celle du génocide arménien », lors des négociations. «
C’est une blessure qui ne cicatrise pas », a-t-il estimé en déclarant
toutefois que la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie «
n’est pas une condition » pour l’ouverture des négociations
d’adhésion.

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Les Turcs attendent le verdict de Bruxelles

Le Figaro
15 décembre 2004

UNION EUROPÉENNE A deux jours de l’ouverture du sommet de Bruxelles,
le premier ministre turc s’est dit persuadé hier que les Vingt-Cinq
accepteraient d’ouvrir avec Ankara des pourparlers d’adhésion.
Contrairement à la diaspora arménienne, notamment en France, qui
considère qu’un mea-culpa d’Ankara est un préalable.

– Deux jours avant le début du sommet de l’Union européenne qui doit
décider de l’ouverture de négociations avec la Turquie, le premier
ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a lancé hier un vibrant appel
aux dirigeants européens, rappelant que l’objectif à terme d’Ankara
était l’« adhésion pleine » à l’UE et rien d’autre. « J’espère que
l’UE ne signera pas une erreur historique qui affaiblirait ses
propres fondations », a-t-il ajouté.

– Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE devraient donner un feu
vert au lancement de ces négociations mais assortir leur décision de
conditions strictes, tout en précisant que les pourparlers dureront
probablement plus d’une décennie. La question de la date d’ouverture
des pourparlers sera tranchée au dernier moment, mais dans les
coulisses bruxelloises, la date d’octobre 2005 circule avec
insistance.

– Le président Jacques Chirac devrait réaffirmer aujourd’hui dans une
allocution télévisée son « souhait » de voir les Turcs rejoindre
l’UE, tout en rassurant une opinion française majoritairement
hostile, sur le fait que l’ouverture de négociations ne débouchera
pas automatiquement sur une adhésion, si la Turquie dévie de la route
de la démocratisation.

– Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a déclaré hier
devant les députés que la France poserait « toutes les questions,
notamment celle du génocide arménien » lors des négociations. « C’est
une blessure qui ne cicatrise pas », a-t-il estimé, ajoutant que «
cette question est au coeur même du projet européen qui est fondé sur
la réconciliation ». Mais la reconnaissance du génocide arménien par
la Turquie « n’est pas une condition que nous posons pour l’ouverture
des négociations », a précisé le ministre.

– Le premier ministre britannique, Tony Blair, qui dînait hier soir
avec le chancelier allemand, Gerhard Schröder, avant le Conseil
européen, pourrait proposer des concessions à la France et à
l’Allemagne pour apaiser leurs appréhensions. Il serait prêt à
retarder au deuxième semestre 2005 l’ouverture des négociations,
après le référendum attendu en France sur la Constitution. Il
pourrait accepter aussi une clause de « sortie » des négociations,
qui laisserait la possibilité de refuser l’entrée au candidat.

– Le numéro deux du Parti socialiste, Laurent Fabius, a réaffirmé
hier son opposition à une adhésion de la Turquie à l’Union
européenne, en soulignant que « la meilleure solution » était « un
partenariat privilégié » entre l’UE et Ankara. « La population ne
souhaite pas l’adhésion, le Parlement ne souhaite pas l’adhésion, et
l’adhésion n’est pas de l’intérêt de l’Europe et de la France, c’est
le partenariat qui est la bonne solution », a déclaré Laurent Fabius.

– Le coprésident du groupe des Verts au Parlement européen, Daniel
Cohn-Bendit, a au contraire regretté hier « une folie ambiante »
autour du débat en France et en Allemagne sur la Turquie. « Pourquoi
devrions-nous rassurer Mme Merkel (leader de la CDU allemande) et M.
Sarkozy (leader de l’UMP française) ? Ils n’ont qu’à gagner les
prochaines élections et ils mèneront les négociations », a-t-il
ajouté, rappelant que celles avec le Royaume-Uni « avaient duré dix
ans avec deux veto (français) et deux interruptions ».

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Les Arméniens de Turquie en quête de reconnaissance;

Le Figaro
15 décembre 2004

UNION EUROPÉENNE A deux jours de l’ouverture du sommet de Bruxelles,
le premier ministre turc s’est dit persuadé hier que les Vingt-Cinq
accepteraient d’ouvrir avec Ankara des pourparlers d’adhésion.
Contrairement à la diaspora arménienne, notamment en France, qui
considère qu’un mea-culpa d’Ankara est un préalable

Marie-Michèle MARTINET, Alain BARLUET

Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a relancé hier
la question du génocide arménien de 1915, précisant que Paris n’en
faisait pas un préalable pour l’ouverture des négociations d’adhésion
de la Turquie à l’UE mais assurant qu’elle serait posée. « C’est une
blessure qui ne cicatrice pas » et « c’est une question que la France
va poser, car nous voulons une réponse », a-t-il déclaré hier à
l’Assemblée nationale française.

Dans son bureau du journal arménien Agos, dont il est le rédacteur en
chef, Hrant Dink s’énerve de cette tension qui monte, en France, à
propos de l’Arménie et du génocide. Il y a quinze jours, il était à
Marseille où il a rencontré les principaux responsables de la
diaspora arménienne de France, ainsi que de nombreux élus. Il soupire
: « J’ai passé ma vie en Turquie ; j’y ai vécu mon enfance. Je ne
crois pas au rapport de force, mais plutôt au dialogue. Laissons
d’abord s’ouvrir les négociations d’adhésion : c’est le meilleur
moyen de développer la démocratie en Turquie. »

La position de Hrant Dink est diamétralement opposée à celle de la
diaspora de France qui considère que la reconnaissance par Ankara du
génocide perpétré, en 1915, par l’Empire ottoman, constitue un
préalable à toute négociation. Selon Michel Guévidian, président du
Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, les
chefs d’Etat européens commettront une « gaffe monumentale » s’ils
acceptent demain de donner le feu vert à l’ouverture des négociations
d’adhésion.

Le quotidien Agos est publié à Istanbul en arménien et en turc. A son
retour de France, au début du mois, Hrant Dink a voulu rappeler les
Arméniens de France à la raison : « Ils sont devenus aveugles et
n’agissent qu’en fonction de leurs émotions. Ils croient que la
Turquie est incapable de changer… mais tout peut changer dans le
monde ! Et ce n’est pas en fermant la porte que l’on règle les
problèmes, bien au contraire. »

Au passage, il tente de convaincre l’opinion publique française de se
montrer moins frileuse : « Les Français ne me semblent pas prêts à
accepter, sur le fond, le principe de la diversité culturelle. Dans
leurs relations avec le monde musulman, on dirait que l’histoire
s’est arrêtée, pour eux, avec la guerre d’Algérie… »

Au sein de la minorité chrétienne vivant en Turquie, les Arméniens,
qui comptaient 2 millions de personnes à la fin du XIXe siècle, ne
sont plus que près de 70 000 aujourd’hui. Leur statut, fixé en 1923
par le traité de Lausanne, fait partie des tabous de la société
turque, où nombreux sont ceux qui, notamment parmi les nationalistes
radicaux, considèrent que la notion de minorité est synonyme de
menace pour l’intégrité du pays.

La présentation, à l’automne dernier, d’un rapport sur les droits des
minorités, élaboré à la demande du gouvernement, a été ainsi
l’occasion de mesurer les limites que certains voudraient imposer à
l’exercice de la démocratie : au moment où le président de la
commission prenait la parole pour rendre compte des observations de
son groupe de réflexion, proposant notamment que des amendements
constitutionnels et législatifs en faveur des minorités, un
syndicaliste nationaliste lui a arraché son texte des mains et l’a
déchiré devant les caméras de télévision en hurlant : « Ce rapport a
été fabriqué de toutes pièces ! » Quelques jours après l’incident, le
ministre de la Justice, Cemil Cicek, précisait que « la Turquie et
l’Union européenne ne parlent pas la même langue » quand il s’agit
des minorités et qu’il n’était pas question d’engager « un débat qui
mettrait en cause l’unité du pays ».

Il n’empêche. En dépit de multiples résistances, la glace a commencé
à fondre entre l’Etat turc et les communautés minoritaires sous
l’influence de l’UE et des associations de défense des droits de
l’homme. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, vient lui-même de
lever un immense tabou : il a été le premier homme politique turc à
évoquer récemment le génocide de 1915 sans l’englober, comme c’était
jusqu’à maintenant l’usage, dans la formule turque consacrée de «
soi-disant génocide de 1915 ».

La communauté arménienne a bien enregistré le message : « Les choses
changent, souligne Hrant Dink. Prenons un exemple : depuis deux ou
trois ans, quand il s’agit de restaurer une église, on attend moins
longtemps pour obtenir les autorisations obligatoires avant d’engager
des travaux. Les démarches bureaucratiques sont moins lourdes. » Ce
qui n’est pas une mince affaire puisque la Turquie compte encore plus
d’une cinquantaine d’églises arméniennes sur son territoire ; et à
peu près autant d’écoles.

Les relations diplomatiques, officiellement au point mort entre la
Turquie et l’Arménie, avancent discrètement. « Il suffirait d’un
geste de bonne volonté de la Turquie pour que les Arméniens acceptent
de tourner la page. Les deux pays sont prêts à la réconciliation »,
observe Anne-Birgitte Albrectsen, qui représente l’UNFPA, la mission
des Nations unies en Azerbaïdjan, Géorgie et Arménie. Hrant Dink
reste cependant inquiet. Il veut encore une fois rappeler l’enjeu
capital du sommet de Bruxelles. Un refus pourrait, selon lui,
provoquer un recul catastrophique : « Ce serait une grande défaite
pour les démocrates de Turquie ; et pour la démocratie en général. Et
quelles seraient les conséquences pour l’Arménie d’une Turquie
repliée sur elle-même ? » M.-M. M.

Droits de l’homme : encore des efforts à faire

Pour adhérer à l’Union européenne, tout pays candidat doit remplir
les « critères de Copenhague », définis lors d’un Conseil européen
qui s’est tenu au Danemark, en juin 1993. Les premières conditions
sont politiques. Le pays candidat doit être doté d’« institutions
stables » garantissant « la démocratie, la primauté du droit, les
droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ». Le
respect de ces critères de base permet d’ouvrir les négociations
d’adhésion. Le 6 octobre, la Commission européenne a estimé que la
Turquie remplissait « suffisamment » ces conditions politiques pour
entamer les pourparlers d’adhésion. Vendredi, le Conseil européen
suivra sa recommandation à la lettre, saluant les progrès réalisés
par Ankara dans son processus de réformes. Il soulignera les efforts
qui restent à faire pour éliminer sur le terrain toute pratique « de
torture et de mauvais traitement ». Enfin, pour clôturer les
négociations, et signer le traité d’adhésion, le pays candidat doit
également remplir les « critères économiques » de Copenhague.A. B.

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Moscovici : « L’objectif, c’est l’adhésion »;

Le Figaro
15 décembre 2004

Le député européen estime que l’Union ne doit pas être « hypocrite »

Nicolas BAROTTE

Pierre Moscovici est député européen socialiste et vice-président du
Parlement européen.

LE FIGARO. Vous êtes favorable à l’adhésion de la Turquie à l’Union.
Quand les négociations doivent-elles s’ouvrir, selon vous, et à
quelle échéance doivent-elles se terminer ?

Pierre MOSCOVICI. Je suis un partisan raisonné de l’adhésion.
L’entrée de la Turquie dans l’Union européenne peut être une chance
pour une présence plus forte vis-à-vis du Moyen-Orient, pour garantir
la sécurité dans l’Union élargie, pour jouer réellement le dialogue
des civilisations. Le Conseil européen doit décider d’ouvrir les
négociations sans évoquer d’autre hypothèse que l’adhésion. Si on
souhaite qu’elles s’ouvrent en 2005 après le référendum sur la
Constitution européenne, je n’y vois pas d’obstacle. Les négociations
seront longues, elles ne pourront pas être conclues avant 2014, après
le vote du budget européen pour la période 2013-2020. Mais l’adhésion
n’est pas automatique. Les négociations seront longues et difficiles.
Elles peuvent déboucher sur autre chose.

Que pensez-vous de l’idée d’un partenariat privilégié ?

Les conditions que la Turquie doit remplir sont importantes :
démocratie, respect des minorités, laïcité, égalité homme-femme,
reconnaissance du génocide arménien… Il y a du chemin à parcourir.
Si ces conditions ne sont pas remplies, une troisième voie peut être
imaginée. Mais elle ne doit pas être souhaitée. L’UE a une parole.
L’objectif des négociations d’adhésion, c’est l’adhésion. Pas
d’hypocrisie là-dessus.

L’adhésion de la Turquie ne modifierait-elle pas le projet européen ?

L’entrée de la Turquie ne représente pas un changement de nature de
l’Europe. L’Europe aujourd’hui intègre des pays libéraux, d’autres
qui le sont moins, des pays atlantistes, d’autres qui le sont
moins… L’Europe est très diverse depuis l’entrée de la
Grande-Bretagne. La Turquie ajouterait à cette diversité, elle ne la
créerait pas.

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Turquie : l’autre division des socialistes;

Le Figaro
15 décembre 2004

OPPOSITION La question de l’adhésion d’Ankara à l’Union embarrasse le
PS, qui a déjà mis au jour ses contradictions sur la Constitution
européenne

Nicolas BAROTTE

La question de l’entrée de la Turquie à l’Union européenne trouble la
gauche. Le PS est partagé entre partisans de l’adhésion ou du
partenariat privilégié. Le Parti communiste, les Verts, le MRC et
l’extrême gauche sont plutôt favorables, mais certains émettent des
conditions.

Divisé sur la Constitution européenne, le PS l’est aussi sur la
question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Mais,
cette fois, le parti de François Hollande a choisi de ne pas
trancher. « Nous prenons des précautions », concède le porte-parole
du PS, Julien Dray. Le bureau national du PS a adopté le 12 octobre,
à l’unanimité, une position a minima : pour l’ouverture de
négociations sans préjuger de leur issue. Pourtant, en juin dernier,
le PS affirmait encore être « favorable au principe de l’entrée de la
Turquie dans l’Union européenne ».

Aujourd’hui, le parti a donc choisi la prudence. « Toutes les options
doivent être ouvertes », a déclaré François Hollande, le 9 décembre
sur France 2. « L’adhésion si les garanties sont données, le
partenariat privilégié, même si aujourd’hui personne ne sait
exactement ce que c’est, ou le refus de l’adhésion. » Et, pour le
premier secrétaire, tout nouvel élargissement de l’Union européenne
doit être soumis à référendum.

Le clivage au sein du PS ne reprend pas les lignes du débat sur la
Constitution. Laurent Fabius, ses amis et Manuel Valls, qui sont
contre la Constitution, sont aussi opposés à l’adhésion de la
Turquie. Mais ils sont rejoints sur cette position par certains
tenants du oui comme la présidente de la région Poitou-Charentes,
Ségolène Royal, le député européen Bernard Poignant ou le sénateur
Robert Badinter. Pour eux, l’entrée de la Turquie changerait le
projet européen. L’adhésion est synonyme de « fuite en avant
territoriale qui mène vers l’Europe diluée et impotente », estime le
député européen Henri Weber. Comme Laurent Fabius, il défend l’idée
d’un partenariat privilégié. Hier, Ségolène Royal, souhaitant
souligner les lacunes de la démocratie turque, s’est ostensiblement
affichée avec l’ex-député kurde Leyla Zana, emprisonnée pendant dix
ans pour avoir milité en faveur des droits des Kurdes en Turquie.

A l’inverse, partisans de la Constitution, Pierre Moscovici, Harlem
Désir ou Elisabeth Guigou se sont clairement prononcés pour
l’adhésion de la Turquie. Certains tenants du non aussi, notamment
Vincent Peillon, du courant minoritaire du Nouveau Parti socialiste.
Pour eux, l’Union européenne doit tenir ses promesses. « Les Turcs
ont fait évoluer leur société dans cette perspective, l’adhésion à
l’Union européenne a été le moteur de leur réforme. On ne peut pas
jouer avec les engagements envers les peuples », explique le député
européen Harlem Désir.

Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Jean-Marc
Ayrault, a demandé hier de la pédagogie au président de la
République, qui doit s’exprimer ce soir sur TF 1. Il faut expliquer
aux Français « pourquoi le problème de la Turquie se pose », a-t-il
souhaité. « Il faut en parler sans jouer sur les peurs. »

Au PS, la gêne est perceptible. « La Turquie n’est pas n’importe quel
pays », explique le député de l’Essonne, Julien Dray. Outre son poids
démographique, son histoire, sa situation, le porte-parole du PS
évoque le problème de la non-reconnaissance du génocide arménien,
l’occupation du nord de Chypre par l’armée turque, le respect des
droits de l’homme… « Ces questions existent, on ne peut pas les
balayer », estime-t-il.

Les hésitations du PS s’expliquent aussi par les réticences de
l’opinion et de l’électorat de gauche. Pour Julien Dray, « si on se
prononçait en l’état, les peuples diraient non ». Si les
sympathisants socialistes sont favorables à 61 % à l’ouverture de
négociations, ils sont opposés à l’entrée de la Turquie dans l’Union
européenne à 61 %, selon le sondage Ifop paru dans Le Figaro lundi.

Mais pour l’ancien commissaire européen socialiste Pascal Lamy, la
question, pour ou contre l’adhésion, a déjà été tranchée. « On a déjà
dit que la Turquie avait vocation à rejoindre l’Union »,
explique-t-il. Pour lui, le processus est entré dans une deuxième
phase : les négociations. « Il s’agit du temps qu’il faut à un pays
comme la Turquie pour prendre les engagements qu’un nouvel Etat
membre doit respecter par rapport à l’acquis communautaire »,
explique-t-il. La troisième et dernière étape étant la ratification.

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Les parlementaires français continuent d’exprimer leurs réticences

Les Echos
15 décembre 2004

Les dés sont probablement jetés. Le ministre des Affaires étrangères,
Michel Barnier, ne l’a pas caché hier. « La négociation avec la
Turquie va sans doute s’ouvrir », a-t-il indiqué à l’Assemblée
nationale, et la France va y apporter son soutien. Il n’empêche : à
la veille du sommet de Bruxelles qui devrait, demain et vendredi,
engager le processus d’adhésion d’Ankara, l’exécutif français fait
face à une nouvelle fronde de la part des responsables politiques
français, de gauche comme de droite, qui restent majoritairement
hostiles à une Turquie européenne. Les efforts déployés par le
gouvernement pour rassurer les Français – majoritairement « contre »
eux aussi – et leurs représentants, n’ont pas suffi : Michel Barnier
a promis qu’il consulterait le Parlement régulièrement ; il a affirmé
qu’il « poserait la question de la tragédie arménienne et de Chypre
». Quant à Jacques Chirac, il intervient ce soir sur TF1 pour
rappeler qu’en tout état de cause, ce sont les Français qui
décideront, par référendum, de l’adhésion ou non de la Turquie.

Demandes de garanties

Las, de nombreux leaders politiques, y compris à l’UMP, sont montés
au créneau pour regretter que l’exécutif n’ait pas réussi à obtenir
des garanties pour que les négociations n’aboutissent pas «
automatiquement » à l’adhésion. Ces derniers jours, ils misaient sur
d’autres options comme celles d’un « partenariat privilégié ». « Mais
manifestement, dans les dernières heures, cette option a été
abandonnée », a vivement regretté hier François Bayrou, le président
de l’UDF. « Jacques Chirac doit dire oui au partenariat et non à
l’adhésion », a de son côté affirmé Laurent Fabius. Jean-Marc
Ayrault, le président du groupe PS à l’Assemblée, fait, lui, de « la
reconnaissance du génocide arménien une condition préalable », et
demande à Jacques Chirac de peser pour obtenir « des progrès d’Ankara
en matière de droits de l’homme, de gestion de l’économie et de
transparence ».

Quant aux députés européens de l’UMP, ils ont purement et simplement
voté « contre » l’ouverture des négociations, hier soir à Strasbourg.

S’ils ne peuvent plus s’opposer à l’ouverture des négociations, les
anti-Turquie veulent au moins signifier qu’ils ne baissent pas les
bras et qu’ils resteront très vigilants à toutes les étapes du
processus.

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Pour ou contre la candidature turque : les arguments de chaque camp
By YANN ROUSSEAU

Les Echos
15 décembre 2004

En France, la candidature d’Ankara divise les partis et bouleverse le
traditionnel clivage droite-gauche. Si les partis de droite (UMP,
UDF) se sont massivement prononcés contre l’entrée de la Turquie dans
l’Union, plusieurs personnalités de droite militent, elles, pour cet
élargissement. A l’inverse, si le PS est plutôt favorable à cette
entrée, plusieurs figures socialistes s’y opposent vigoureusement.
Revue des arguments.

POUR

Une Europe plus sûre. « L’entrée de la Turquie est une assurance-vie
pour l’Union », martèle l’ancien Premier ministre Michel Rocard. «
Dire «non» à ce grand pays musulman laïcisé, stable et puissant,
c’est prendre le risque de le rejeter vers un extrémisme dangereux »,
ajoute-t-il, rappelant que l’Union s’est déjà prononcée sur la «
vocation » européenne de la Turquie. Un rejet risquerait de pousser
la Turquie « à constituer avec l’Irak et la Syrie un ensemble
menaçant à ses frontières », complète Dominique Strauss-Kahn. «
Peut-on prendre le risque qu’Ankara choisisse un autre modèle que
l’Europe ? », s’interroge aussi Michel Barnier, le ministre des
Affaires étrangères. « La vocation première de la construction
européenne, c’est élargir sans cesse la zone de paix afin de rendre
impossible le retour de la guerre en Europe », rappelle de son côté
l’UMP Pierre Lellouche.

De nouveaux marchés. « La Turquie, par son influence régionale, peut
ouvrir d’immenses perspectives économiques, notamment en matière
pétrolière », pointe Michel Rocard. Son intégration permettrait
notamment à l’Union de peser plus fortement dans les zones
stratégiques du Proche-Orient et de la Caspienne. Les partisans de la
candidature d’Ankara rappellent enfin que la Turquie est depuis neuf
ans déjà dans l’Union douanière.

Une Europe puissance. Pour peser dans un monde qui sera à terme
organisé en « grands blocs », l’Union européenne doit, « si elle veut
rayonner », avoir la vocation de regrouper tous les territoires qui
entourent les rives de la Méditerranée, assure Dominique Strauss-Kahn
(PS). « Si la Turquie adhère à l’ensemble des valeurs qui sont les
nôtres, c’est une chance extraordinaire pour l’Europe de se
renforcer. A tous égards nous avons intérêt à ce que la Turquie nous
rejoigne… Nous sommes tous des enfants de Byzance », a récemment
estimé Jacques Chirac.

CONTRE

Une intégration trop coûteuse. « Le poids de la Turquie au sein de
l’Union européenne serait considérable. Sa modernisation
représenterait un coût d’environ 25 milliards par an », estime
Edouard Balladur, qui rappelle les très coûteux efforts déjà induits
par l’élargissement à 25 membres.

Le poids de la géographie. « La frontière de l’Union européenne,
c’est la frontière nord de la Turquie », argumente le député européen
Jean-Louis Bourlanges (UDF), qui souligne que moins de 10 % du
territoire turc sont européens. « C’est comme si la France demandait
d’adhérer à l’Union africaine ! », s’étonne l’ancien ministre Hubert
Védrine.

Un projet européen malmené « Ça serait la fin de l’Europe », lance
Valéry Giscard d’Estaing. « L’adhésion de la Turquie est un pas non
vers l’unité de l’Europe, mais vers sa dispersion, à tous les points
de vue », résume François Bayrou.

Des institutions européennes bouleversées. « Le poids de population
turque représenterait 20 % de droits de vote de plus que la France »
au sein des institutions de l’Union, a calculé Laurent Fabius. La
Turquie aurait, à terme, « plus de députés que la France », affirme
de son côté Philippe de Villiers

La difficile intégration de l’islam. « Voulons-nous que le fleuve de
l’islam rejoigne le lit de la laïcité ? », s’est notamment interrogé
Jean-Pierre Raffarin dans une interview au « Wall Street Journal ».
Les centristes pointent, eux, « une identité historique chrétienne »
à laquelle la Turquie est « étrangère ».

La question des droits de l’homme. « La Turquie ne remplit pas tous
les critères démocratiques ; elle n’a pas reconnu le génocide
arménien ; elle traite mal un certain nombre de minorités », avance
Laurent Fabius. François Bayrou évoque des massacres au Kurdistan. Le
peu d’entrain d’Ankara à reconnaître Chypre est aussi montré du
doigt.

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Sommet de l’UE sur la Turquie Chirac dit un oui conditionnel à l’entrée d’Ankara

Schweizerische Depeschenagentur AG (SDA)
SDA – Service de base français
15 décembre 2004

Paris (ats/afp) Le président français Jacques Chirac a confirmé avec
force mercredi qu’il était favorable à l’adhésion de la Turquie à
l’Union européenne. Mais il l’a soumise à la satisfaction de “toutes
les conditions” à cet effet, dans “l’intérêt” de la France et de
l’Europe.

“La question qu’il faut se poser, c’est ‘est-ce que l’Europe, et
notamment la France, ont ou non intérêt à ce que la Turquie les
rejoigne?’ Ma réponse est oui, si…”, a déclaré M. Chirac à la
télévision privée TF1, à la veille du Conseil européen de Bruxelles.
La rencontre doit décider de l’ouverture de négociations d’adhésion
de l’UE avec Ankara.

“Oui, si la Turquie remplit naturellement la totalité des conditions
qui s’imposent à tout candidat à notre union”, a ajouté M. Chirac. Il
a rejeté l’idée d’un “partenariat privilégié” avec ce pays.

Il a expliqué que “l’Union européenne, c’est d’abord un projet pour
la paix et la stabilité”, c’est “l’enracinement de la démocratie” et
le “développement économique et social”.

“Effort de mémoire”

“Au regard de ces trois critères, je crois que nous avons intérêt à
avoir la Turquie, si elle remplit toutes les conditions”, a-t-il
affirmé. Un rejet de la Turquie représenterait “certainement un
risque d’instabilité, d’insécurité à nos frontières”, a-t-il dit.

M. Chirac a précisé également que “la Turquie est un pays laïc”
depuis 1923. Il a souligné que ces négociations “vont durer 10 ans,
15 ans, 20 ans” pour permettre à la Turquie de reprendre “l’acquis
communautaire”.

Interrogé sur le génocide arménien de 1915, le président français a
demandé à la Turquie de faire “un effort de mémoire important”. Mais
il n’a pas fait de cette question un préalable pour les négociations.

Il a rappelé toutefois le vote d’une loi en France reconnaissant le
génocide. “Nous sommes en France un pays de droit. Il y a une loi qui
a été votée, d’ailleurs presque à l’unanimité aussi bien du Sénat que
de l’Assemblée nationale, qui parle de génocide. Par conséquent,
c’est la loi”, a-t-il dit.

“D’Etat à Etat”

M. Chirac a affirmé que la réforme constitutionnnelle, rendue
nécessaire pour l’adoption de la future Constitution européenne,
prévoirait que “toute nouvelle adhésion devra être sanctionnée (…),
pas par la voie parlementaire, mais obligatoirement par la voie
référendaire”.

“Ce qui veut dire en clair qu’en toute hypothèse, chaque Française et
chaque Français conserve son droit à s’exprimer et que les Français
auront (…) le dernier mot”, a-t-il dit.

M. Chirac a aussi rappelé que la négociation qui devrait s’engager
avec Ankara serait “une négociation d’Etat à Etat”, ce qui signifie
que “chaque nation, et notamment la France, conserve depuis le début
des négociations jusqu’à leur fin, c’est-à-dire pendant les dix ans,
quinze ans, vingt ans qui seront nécessaires, le droit de tout
arrêter”.

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Des Arméniens de France s’indignent des propos de Michel Barnier

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi 7:33 PM GMT

PARIS 14 déc 2004

Le Comité de défense de la cause arménienne (CDCA) en France s’est
indigné mardi soir des propos tenus le jour même à propos du génocide
arménien par le chef de la diplomatie française Michel Barnier devant
les députés.

“Les circonvolutions de Michel Barnier autour du mot génocide sont
pathétiques.

Le génocide arménien n’est pas une tragédie dont la reconnaissance
n’a été effectuée que de façon solennelle par le Parlement
(français). Il s’agit d’une loi, signée par le président de la
République Jacques Chirac”, a déclaré dans un communiqué Harout
Mardirossian, président du CDCA.

Michel Barnier, interrogé à l’Assemblée nationale sur la
reconnaissance du génocide par la Turquie lors des négociations en
vue de son adhésion à l’UE, avait utilisé le terme “tragédie”, mot
souvent utilisé par les responsables turcs pour évoquer cette
question, avant d’employer finalement le mot “génocide”, pressé par
les députés lors de la traditionnelle séance des questions
hebdomadaires au gouvernement.

Pour sa part, Mourad Papazian du Parti socialiste arménien a rappelé
que “le président de la République avait été interpellé sur cette
question” et que “la Turquie avait eu 17 ans pour se conformer aux
décisions de la résolution du Parlement Européen du 18 juin 1987 qui
exigeait (..) la reconnaissance du génocide arménien”.

M. Barnier a déclaré mardi que la reconnaissance du génocide arménien
par la Turquie “n’était pas une condition” à l’ouverture des
négociations d’adhésion d’Ankara à l’Union européenne mais a assuré
que la question serait posée.

Les organisations arméniennes (CDCA, Parti socialiste) appellent à
une manifestation vendredi 17 décembre à Bruxelles devant le Conseil
Européen où, disent-elles, 10.000 Européens d’origine arménienne sont
attendus.

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L’adoption d’une loi sur le “génocide arménien” par le parlement français (ENCADRE)

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

PARIS 14 déc 2004

La France a reconnu en 2001 comme un “génocide” les massacres
d’Arméniens perpétrés sous l’Empire ottoman en 1915.

Le 18 janvier 2001, le Parlement français a adopté une loi,
promulguée le 29 janvier, qui dispose dans son article unique: “La
France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915” sans
toutefois en désigner les responsables.

Cette loi est l’aboutissement d’un processus parlementaire entamé le
29 mai 1998 avec l’adoption par l’Assemblée nationale, à l’unanimité,
d’une proposition de loi du groupe socialiste.

Ce vote, qui constitue une réponse à une revendication constante du
peuple arménien et de la communauté arménienne de France, est
accueilli par de longs applaudissements dans l’hémicycle.

Des sénateurs favorables au texte tentent alors de faire inscrire la
proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat, mais ils se heurtent à
l’hostilité du gouvernement et de la commission des Affaires
étrangères de la Haute Assemblée.

Finalement, après l’échec de plusieurs tentatives, le Sénat approuve
un texte identique à celui de l’Assemblée nationale le 8 novembre
2000, à l’initiative notamment de Jean-Claude Gaudin (DL,
Bouches-du-Rhône). Le vote est acquis par 164 voix contre 40 et 4
abstentions.

Le vote du Sénat français intervient moins d’un mois après que le
Congrès américain eut retiré un projet de loi reconnaissant également
le génocide arménien.

La reconnaissance par le Sénat provoque aussitôt le mécontentement de
la Turquie qui convoque l’ambassadeur de France le 8 novembre. “Nous
rejetons et condamnons cette initiative absolument erronée et
regrettable” déclare le ministère turque des Affaires étrangères.

Toutefois, la validation définitive par le Parlement du texte doit
encore attendre. En effet, si la proposition Gaudin est identique sur
le fond, elle n’est juridiquement pas la même que celle adoptée en
mai 1998 par les députés et il faut un nouvel examen par l’Assemblée.

Le gouvernement déclare alors “s’en remettre à l’initiative
parlementaire” pour l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée.
C’est finalement le groupe UDF qui s’en charge, en utilisant son
ordre du jour réservé.

Le 18 janvier 2001, le Parlement français reconnaît publiquement par
un ultime vote unanime de l’Assemblée nationale le génocide arménien
malgré les réserves du gouvernement français. La loi est promulguée
le 29 janvier par le président Jacques Chirac.

Le lendemain, le Premier ministre turc Bulent Ecevit annonce que son
pays révisera ses “relations économiques et politiques avec la
France”. Ankara rappelle ainsi son ambassadeur à Paris, ce dernier ne
regagnant la capitale française que cinq mois plus tard.

Si l’adoption de cette loi a eu des répercussions négatives pour les
entreprises françaises en Turquie (appel au boycott, annulation de
contrats etc.), elle n’empêche pas la France de se placer parmi les
principaux partenaires économiques de ce pays.

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Le massacre des Arméniens: reconnu comme génocide par peu de pays européens (ENCADRE)

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

La France est devenue en janvier 2001 le premier grand pays européen
à reconnaître comme un génocide le massacre des Arméniens perpétré
dans les dernières années de l’Empire ottoman.

Le Parlement français a voté le 18 janvier 2001 une loi affirmant que
“la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915”, sans
d’ailleurs en désigner explicitement les Turcs comme responsables.

La France a rejoint ainsi au sein de l’Union européenne la Belgique
et la Grèce. La Grèce, aux relations complexes et conflictuelles avec
la Turquie, a toujours parlé de “génocide” lorsqu’elle se référait au
massacre d’Arméniens. Le parlement grec a décrété en 1996, le 24
avril “jour de la mémoire du génocide des Arméniens par le régime
turc”. Le sénat belge a explicitement reconnu en mars 1998 le
génocide arménien.

En Suisse, le Conseil national, chambre basse du parlement, a reconnu
en décembre 2003 le génocide des Arméniens contre l’avis du
gouvernement suisse.

Le Parlement européen avait ouvert la voie dès 1987. Dans une
résolution, il déclarait être d’avis que “les événements tragiques
qui se sont déroulés en 1915-1917 contre les Arméniens établis sur le
territoire ottoman constituent un génocide au sens de la Convention
pour la répression du crime de génocide, adpotée par l’Assemblée
générale de l’ONU le 9 décembre 1948”.

Dans les autres pays européens, les processus de reconnaissance,
souvent sous l’impulsion des communautés arméniennes, en sont à des
stades divers.

En Italie, la Chambre des députés a adopté en novembre 2000 une
résolution invitant le gouvernement italien à demander à la Turquie
de reconnaître le génocide arménien dans la perspective d’une
intégration rapide à l’Union européenne.

L’Allemagne, qui compte une très forte communauté turque de plus de
deux millions de membres, n’a jamais reconnu le génocide, pas plus
que l’Espagne. Les Britanniques sont extrêmement prudents et se
refusent à utiliser le terme de génocide.

La Turquie reconnaît aujourd’hui que des massacres ont été perpétrés
et que de nombreux Arméniens sont morts lors de leur déportation.
Mais elle fait valoir qu’il s’agissait d’une répression contre une
population coupable de collaboration avec l’ennemi russe pendant la
première guerre mondiale, et que des dizaines de milliers de Turcs
ont été tués par les Arméniens.

Les massacres et les déportations d’Arméniens, de 1915 à 1917, ont
fait entre 1,2 et 1,3 million de morts selon les Arméniens (entre
250.000 et 300.000, selon les Turcs). Environ quatre millions et demi
d’Arméniens vivent dans le monde aujourd’hui dont 3.200.000 en
Arménie et 45.000 en Turquie.

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Train spécial Marseille-Bruxelles affrété par des organisations arméniennes

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

MARSEILLE 14 déc 2004

Un train affrété par des organisations arméniennes quittera Marseille
jeudi soir pour Bruxelles, où une manifestation est prévue vendredi à
l’occasion du Conseil européen sur l’ouverture de négociations en vue
de l’adhésion de la Turquie à l’UE, a-t-on appris mardi auprès des
organisateurs.

Ce train, qui prendra également des passagers à Valence et Lyon
notamment, est complet, avec 608 places réservées, selon la FRA
Dachnaktsoutiun, l’Organisation arménienne démocrate libérale
ADL-Ramgavar et le Comité de défense de la cause arménienne (CDCA).

Ces associations réclament la reconnaissance par Ankara du génocide
arménien de 1915-1917, en préalable à l’ouverture de négociations
avec l’UE.

Avec 80.000 membres sur un total de 350.000, la communauté arménienne
de Marseille est la deuxième de France.

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La communauté arménienne se mobilise contre l’adhésion de la Turquie à l’UE (PAPIER D’ANGLE)

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

PARIS 14 déc 2004

Les 350.000 Arméniens de France, la plus importante communauté de la
diaspora européenne, ne veulent pas, dans leur immense majorité,
entendre parler d’une adhésion de la Turquie à l’UE sans
reconnaissance préalable du génocide arménien.

“Nous sommes inquiets, déclare Ara Toranian, président du Conseil de
Coordination des Organisations Arméniennes de France (CCAF), et notre
inquiétude se fonde sur le fait que non seulement la Turquie ne
reconnaît pas le génocide de 1915 mais qu’en plus, elle pratique un
négationisme actif. Ce négationisme, ajoute-t-il, c’est la
continuation du génocide par d’autres moyens”.

Les massacres et déportations d’Arméniens sous l’Empire ottoman de
1915 à 1917 ont fait 1,5 million de morts, selon les Arméniens. Le
Parlement français a reconnu officiellement en 2001 qu’il s’agissait
bien d’un génocide.

La diaspora arménienne en France, citée souvent comme un modèle
d’intégration, est la deuxième au monde après celle des Etats-Unis
(900.000 personnes). Elle est constituée pour l’essentiel, remarque
Claire Mouradian, chercheuse au CNRS, de rescapés du génocide et de
leurs descendants.

A la veille du sommet européen de Buxelles qui doit décider d’engager
ou non des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE, la
communauté arménienne de France se mobilise et organise une grande
manifestation le 17 décembre à Bruxelles. Le Comité de défense de la
cause arménienne (CDCA) a ainsi affrété un train à partir de la
région de Marseille où vivent quelque 80.000 Arméniens. Au moins
quinze autobus et de nombreuses voitures partiront par ailleurs de la
région parisienne avec ce leitmotiv: “Non à l’entrée dans l’UE d’une
Turquie négationiste!”

L’unanimisme dans l’exigence de la reconnaissance du génocide par la
Turquie est bien réel, confirme Jean-Claude Kebabdjian, président du
Centre de recherches sur la diaspora arménienne, qui reconnaît
appartenir à une minorité souhaitant privilégier le dialogue avec la
Turquie. “La reconnaissance du génocide, a-t-il déclaré à l’AFP, est
un préalable souhaitable mais, en même temps, il faut travailler sur
le long terme. On n’aura pas de résultats miraculeux si on leur met
le couteau sous la gorge”.

Mais, dit-il, le peuple turc ne peut rien construire “avec le cadavre
d’un peuple dans sa cave”.

En juin 1987, le Parlement européen avait adopté une résolution
faisant de la reconnaissance du génocide arménien une des conditions
de l’entrée de la Turquie en Europe. En revanche, cette exigence n’a
pas été retenue dans les critères de Copenhague qui fixent les
conditions d’ouverture de négociations avec la Turquie.

Le ministre des Affaires étrangères Michel Barnier a souligné mardi
que la France “posera toutes les questions, notamment celle du
génocide arménien (…), au long de cette négociation”. “Je pense que
le moment venu, la Turquie devra faire ce travail de mémoire”, a-t-il
ajouté.

M. Kebabdjian, qui estime que le ministre français a posé là “une
clause morale de salubrité publique”, affirme également qu'”il faut
laisser aux Turcs le temps de digérer leur histoire”. “Les Arméniens
développent une pathologie de victimes, les Turcs une pathologie de
bourreaux. Il faudra bien guérir un jour ensemble”, lance-t-il.

“Illusoire”, répond Ara Toranian, pour lequel “en 90 ans, les Turcs
ont eu tout le temps de digérer”.

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Michel Barnier relance la question du génocide arménien (ECLAIRAGE)
Par Suzette BLOCH

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

PARIS 14 déc 2004

Le chef de la diplomatie française Michel Barnier a relancé mardi la
question du génocide arménien précisant que Paris n’en faisait pas un
préalable pour l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie
à l’UE mais assurant qu’elle serait posée.

“C’est une blessure qui ne cicatrice pas” et “c’est une question que
la France va poser, car nous voulons une réponse”, a déclaré mardi M.
Barnier à l’Assemblée nationale française.

Michel Barnier a néanmoins pris grand soin d’utiliser le terme
“tragédie”, mot souvent utilisé par les responsables turcs pour
évoquer cette question, avant d’employer finalement le mot
“génocide”, pressé par les députés, lors de la traditionnelle séance
des questions hebdomadaires au gouvernement.

“Nous poserons toutes les questions, notamment celle du génocide
arménien, notamment celle de Chypre, au long de cette négociation”
d’adhésion de la Turquie, a-t-il dit.

Le Parlement français, l’un des premiers en Europe, avait voté en
janvier 2001 la reconnaissance du génocide sous forme d’une loi dotée
d’un article unique stipulant: “La France reconnaît publiquement le
génocide arménien de 1915”.

Ce vote avait suscité une vive tension entre Paris et Ankara qui
avait rappelé son ambassadeur en consultation et évoqué des mesures
de rétorsion notamment commerciales.

“Je n’oublie pas que votre assemblée à l’unanimité a qualifié cette
tragédie de génocide en 2001”, a également lancé mardi M. Barnier aux
députés en rappelant que la Turquie avait “martyrisé des centaines de
milliers d’Arméniens”.

La France compte une communauté d’origine arménienne importante,
forte d’environ 450 000 personnes et très active dans le monde
politique par l’intermédiaire de nombreuses associations.

Ces associations ont multiplié des manifestations et des appels
dirigés vers le président Jacques Chirac s’indignant que l’Union
européenne puisse ouvrir des négociations sans que la Turquie
reconnaisse sa responsabilité dans le génocide.

Un ministre de Jacques Chirac, Patrick Devedjian (Industrie) et
d’origine arménienne a posé la même exigence cette semaine. Le Parti
Socialiste généralement favorable à une Turquie européenne a depuis
de longs mois posé cette reconnaissance comme préalable à l’adhésion
turque.

Lors d’un vote symbolique organisé en novembre à l’initiative de
plusieurs organisations arméniennes, plus de 250 députés de toutes
tendances politiques s’étaient prononcés contre l’ouverture
immédiates des négociations tant que le génocide ne serait pas
reconnu par Ankara.

M. Barnier était intervenu une première fois mercredi devant la
presse à Bruxelles annonçant que la France déposerait officiellement
une demande à la Turquie sur la “tragédie” arménienne pendant la
période de négociation d’adhésion.

De source diplomatique, on indiquait mardi que la France voulait
signifier avec diplomatie à la Turquie qu’elle ne pourrait échapper à
un devoir de mémoire.

“La France veut tenir un langage de vérité à l’égard de ce pays”, a
insisté M. Barnier. “Toutes les questions seront posées, tous les
problèmes seront soulevés et c’est le cas en particulier de cette
tragédie”, a-t-il ajouté.

“Cette question est au coeur même du projet européen qui est fondé
sur la reconciliation”, a-t-il relevé.

Les massacres et déportations d’Arméniens sous l’empire Ottoman, de
1915 à 1917 ont fait 1,5 million de morts selon les Arméniens, et
entre 300 et 500.000 selon les Turcs.

Ceux-ci rejettent catégoriquement la thèse d’un génocide, faisant
valoir qu’il s’agissait d’une répression dans un contexte de guerre
civile, dans un empire ottoman sur le déclin.

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Erevan remercie Paris d’avoir évoqué la reconnaissance du génocide arménien

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

EREVAN 14 déc

L’Arménie s’est félicitée mardi de ce que Paris ait incité Ankara à
reconnaître comme “génocide” la tragédie des Arméniens en Turquie en
1915, après l’intervention du ministre des Affaires étrangères Michel
Barnier devant les députés.

M. Barnier a indiqué avoir “posé la question de la reconnaissance de
cette tragédie” par Ankara, en référence aux négociations d’adhésion
à l’Union européenne de la Turquie.

“C’est une déclaration méritoire qui montre que la question de la
reconnaissance du génocide a dépassé le cadre de l’Arménie et de son
peuple”, a indiqué le ministre arménien des Affaires étrangères
Vardan Oskanian.

“Il est difficile de dire quel tournant cette question prendra lors
des négociations avec la Turquie” sur son adhésion à l’UE, a-t-il
ajouté cependant.

Paris a précisé que la reconnaissance du génocide arménien “n’était
pas une condition” pour l’ouverture des négociations d’adhésion
d’Ankara à l’UE. “Juridiquement, ce ne serait pas possible”, selon M.
Barnier.

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Barnier: nous poserons à la Turquie la question “du génocide arménien”

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

PARIS 14 déc

Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a déclaré mardi
devant les députés que la France poserait “toutes les questions,
notamment celle du génocide arménien” lors des négociations pour une
adhésion de la Turquie à l’UE, prononçant pour la première fois le
terme de “génocide”.

“Nous poserons toutes les questions, notamment celle du génocide
arménien, notamment celle de Chypre, au long de cette négociation”
d’adhésion de la Turquie, a déclaré M. Barnier.

Le ministre avait jusqu’ici utilisé le terme de “tragédie”, à propos
de cette page d’histoire.

Interrogé auparavant par un autre parlementaire, M. Barnier a
souligné que “la France veut tenir un langage de vérité à l’égard de
ce pays” (la Turquie, ndlr). “Toutes les questions seront posées,
tous les problèmes seront soulevés et c’est le cas en particulier de
cette tragédie”, a-t-il dit.

Le ministre a souligné qu’il “n’oubliait pas que votre assemblée à
l’unanimité a qualifié cette tragédie de génocide en 2001”, en
rappelant que la Turquie avait “martyrisé des centaines de milliers
d’Arméniens”.

“Nous avons donc posé la question de la reconnaissance de cette
tragédie”, a poursuivi M. Barnier. “C’est une blessure qui ne
cicatrise pas”, a-t-il estimé, ajoutant: “cette question est au coeur
même du projet européen qui est fondé sur la reconciliation”.

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Turquie/UE: les protestants demandent à Chirac d’être l’avocat des minorités religieuses

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

PARIS 14 déc 2004

La Fédération protestante de France (FPF) a demandé mardi au
président Jacques Chirac de se faire “l’avocat du droit des minorités
religieuses” au Conseil européen sur la Turquie, soulignant les
“mesures vexatoires” subies par le patriarcat oecuménique orthodoxe
d’Istanbul.

Dans une lettre, le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la
FPF et également de la Conférence des Eglises européennes (KEK)
regroupant 125 Eglises anglicanes, protestantes et orthodoxes, évoque
“des inquiétants échos arrivés du Patriarcat oecuménique de
Constantinople (Istanbul) qui subit des mesures vexatoires”.

“La KEK fera dans la semaine un rapport circonstancié”, après l’envoi
d’une mission en Turquie à une date non encore précisée, selon la
FPF.

M. de Clermont rappelle que si “les Eglises n’ont pas à se prononcer
sur le cadre juridique et les conditions fixées par le Conseil
européen”, elles doivent “insister sur le fait qu’il leur semblerait
incompréhensible que la liberté de religion, le droit des minorités,
comme la reconnaissance du génocide arménien ne soient clairement
énoncés comme des exigences intangibles liées à la demande
d’adhésion”.

La Turquie interdit au patriarche oecuménique orthodoxe d’Istanbul,
Mgr Bartholomée, qui exerce une primature d’honneur sur les
orthodoxes dans le monde, d’utiliser le titre oecuménique, lui
refusant tout rôle politique et administratif. Les orthodoxes
réclament également la réouverture de leur séminaire de Halki, une
île dans le Bosphore.

En octobre, la KEK avait soulevé la “question très préoccupante de la
situation des minorités chrétiennes” en Turquie tout en estimant que
l’entrée de ce pays dans l’UE pourrait avoir “des répercussions
positives sur la bonne évolution des relations entre les diverses
religions et cultures en Europe et pourrait constituer la pierre
d’angle d’un pont entre les mondes chrétien et musulman”.

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Tragédie des Arméniens: “une blessure qui ne cicatrise pas” (Barnier)

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

PARIS 14 déc 2004

La “tragédie” des Arméniens en Turquie est “une blessure qui ne
cicatrise pas”, a déclaré mardi devant les députés le ministre des
Affaires étrangères Michel Barnier, en rappelant que l’assemblée
nationale l’avait qualifiée de “génocide” en 2001.

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La communauté turque de France souffre d’isolement et de “méconnaissance” (PAPIER D’ANGLE)

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

Par Martine VERON

PARIS 14 déc 2004

Les Turcs de France, à l’avant-veille du sommet européen qui doit se
prononcer sur l’ouverture des négociations sur l’entrée de la turquie
dans l’UE, ne comprennent pas les réserves de la France et se sentent
incompris, tout en reconnaissant une intégration difficile.

Président du centre culturel Anatolie, à Paris, Fitrat Onger témoigne
d’un sentiment d'”injustice”, d'”incompréhension”, dans la communauté
turque.

“Les Français ne nous connaissent pas et nous confondent avec les
Arabes, et beaucoup sont sensibles au lobby arménien”, dit-il,
reconnaissant que la diversité de l’immigration turque et sa
“difficile intégration” ne facilitent pas les choses.

“C’est vrai, nous sommes très dispersés”, dit-il, évoquant les sept
lieux de prière différents à Paris, appartenant chacun à une tendance
différente.

“Les Turcs sont intégrés économiquement, mais ils restent refermés
sur eux-mêmes”, reconnaît-il, un repli nationaliste plus que
religieux.

Ils sont environ 380.000 en France, sur 3 millions au sein de l’UE,
dont la moitié en Ile-de-France, selon le démographe Stéphane de
Tapia. Parmi eux, les Kurdes, dont l’immigration est plus récente,
sont environ 150.000.

La majorité est sunnite mais une forte minorité alevi, turque ou
kurde, joue un rôle important. “Ils ont intégré l’idée républicaine
et la laïcité et jouent le rôle d’intermédiaire avec la société
française, comme syndicalistes, médiateurs scolaires, interprètes”,
dit le chercheur.

Sans oublier une minorité chrétienne assyro-chaldéenne, en
Seine-Saint-Denis, et une minorité de juifs.

La réputation de “bosseurs”, ne rechignant pas à la mobilité, est
méritée. Lorsqu’un secteur, comme la confection, leur est grignoté
par les Chinois, ils se recyclent dans la retoucherie. On compte
aujourd’hui 4.200 retoucheries turques en Ile-de-France, 7.200 points
de restauration rapide, le reste se concentrant sur le bâtiment,
selon Fitrat Onger.

Immigration essentiellement rurale, le nombre d’étudiants reste
faible (2.000 environ).

Mais l’origine rurale n’explique pas seule le repli culturel et
identitaire des Turcs de France. “La Turquie a changé, les enfants de
la campagne turque sont souvent plus +avancés+ que les enfants turcs
des banlieues défavorisées”, affirme Stéphane de Tapia, ce qui
provoque des malentendus souvent dramatiques lors des mariages
arrangés entre familles originaires du même village.

“De plus en plus de filles ou garçons turcs renâclent, mais en
France, le mariage arrangé reste pour les parents le dernier rempart
contre l’assimilation”, dit-il.

Pour Fitrat Onger, les mariages arrangés, dont l’objectif est souvent
de permettre à un parent de venir en France, “deviennent une vraie
catastrophe”, “60% se terminent par un divorce dans les 18 mois”.

Un “non” de l’UE vendredi provoquerait une “blessure symbolique
grave” chez les jeunes, affirme Gaye Petek, directrice de
l’association Elele. “Ils risquent de se sentir victimes et donc
aigris vis-à-vis de la France, ce qu’ils n’ont jamais été, à la
différence des jeunes Beurs”.

Ils pourraient avoir la tentation de retourner en Turquie, dit-elle,
comme certains le font depuis peu, pour échapper au contrôle des
parents, tout en les rassurant.

“Cela sera plus difficile pour nous, qui essayons de leur montrer
qu’on peut être critique par rapport à la culture des parents, sans
être coupable de trahison, et être Français”, dit-elle.

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Turquie: Hollande rappelle la ligne du PS

Agence France Presse
14 décembre 2004 mardi

PARIS 14 déc 2004

François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste (PS) a
rappelé, mardi, la ligne du parti sur la Turquie et l’Europe votée à
l’unanimité en bureau national : oui à l’ouverture des négociations
sans préjuger du résultat, a indiqué le porte-parole Julien Dray.

Au cours du dernier bureau national (BN) de l’année, et alors que la
question de l’adhésion de la Turquie à l’UE est au menu vendredi du
sommet européen de Bruxelles, le numéro 1 du PS a rappelé que le
parti “n’a pas changé” depuis la position “prise à l’unanimité lors
du bureau national du 12 octobre : oui à l’ouverture des négociations
sans préjuger du résultat”, a précisé M. Dray.

Ce rappel à l’ordre intervient alors que plusieurs personnalités
socialistes, y compris parmi celles siégeant au BN, ont pris position
contre l’adhésion de la Turquie à l’UE, dont le numéro deux du parti
Laurent Fabius, l’ancien président du Conseil constitutionnel Robert
Badinter, Bernard Poignant, chef de la délégation des socialistes
français au Parlement européen ou encore le chef de file du courant
minoritaire Nouveau Monde, Henri Emmanuelli.

Dans le document du 12 octobre, le BN avait posé trois “préalables” à
une éventuelle adhésion turque : le renforcement de l’Europe
politique, l’augmentation du budget européen pour pouvoir financer
cet élargissement, enfin “des dispositifs clairs pour favoriser
l’harmonisation fiscale et sociale”.

Parmi d’autres objections, le PS soulève l’absence de reconnaissance
du génocide arménien par Ankara et l’occupation de la partie nord de
Chypre, pays membre de l’UE, par des troupes turques depuis 1974.

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This compilation was contributed to by:
Katia Peltekian

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