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Le Figaro, France
10 décembre 2004

Ankara refuse toute nouvelle condition imposée par Bruxelles

UNION EUROPÉENNE Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan est
arrivé en Belgique hier, alors que l’UE étrenne sa nouvelle politique
de voisinage

Istanbul : Marie-Michèle Martinet

Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan est aujourd’hui à
Bruxelles pour d’ultimes discussions avant une décision des
dirigeants de l’Union européenne sur l’ouverture de négociations
d’adhésion avec Ankara. Erdogan a énuméré trois demandes, qu’il
entend présenter aux Vingt-Cinq avant le sommet européen des 16 et 17
décembre, au cours duquel sera évaluée la candidature turque. « La
première est notre demande définitive pour l’adhésion, car il ne
reste rien à accomplir » en ce qui concerne les critères politiques –
les critères dits de Copenhague – que la Turquie doit remplir pour
commencer les négociations d’adhésion, a-t-il déclaré. Il a ensuite
cité la volonté de la Turquie d’obtenir le 17 décembre une date ferme
pour le lancement des pourparlers, plaidant pour l’ouverture de
négociations d’adhésion « dans la première moitié de 2005 » .
Troisième point, Ankara ne se pliera à aucune nouvelle condition
politique imposée par l’UE avant le début des négociations, a-t-il
affirmé.

Déçus, mais pas abattus. Ainsi pourrait se résumer l’état d’esprit de
la Turquie, à huit jours du sommet des 16 et 17 décembre qui doit
sceller le sort de la candidature d’Ankara à l’adhésion européenne.
L’annonce par Bruxelles au début de cette semaine de nouvelles
conditions pour l’ouverture des négociations a été perçue à Ankara
comme une rebuffade. Mais la Turquie s’est vite ressaisie, se
raidissant à son tour pour formuler certains refus aux allures de
défi : non aux conditions supplémentaires imposées par Bruxelles, non
à toute formule alternative à l’adhésion complète, non à la
reconnaissance préalable de Chypre… Ankara veut reprendre la main
et fixer elle-même les limites d’un jeu, dont elle se dit prête à se
retirer plutôt que de perdre la face. La Turquie resserre les rangs,
mettant provisoirement de côté les rivalités de partis pour tirer à
boulets rouges sur le comportement jugé inadmissible de l’Europe.
Deniz Baykal, le chef du CHP, principal parti d’opposition, déclare
qu’il considérerait comme une «grave insulte» toute proposition
d’ouverture de négociations susceptibles d’être interrompues en cours
de route. Quant à Mehmet Agar, du parti DYP de la Juste Voie, il juge
«incroyable» que l’Europe se conduise avec la Turquie «comme avec un
pays qui viendrait s’asseoir à la table de négociation après avoir
perdu la guerre». La Turquie se sent donc rabaissée ; voire trahie.
Sur ce point, l’appel qui vient d’être lancé à l’opinion et
communiqué à la presse française par des intellectuels turcs en dit
long sur les liens très passionnels qui unissent la Turquie et
l’Europe, et tout particulièrement à la France : «Nous, les
signataires, avons deux choses en commun, précise le texte, écrit en
français.

La première c’est que nous nous sommes battus pour une démocratie de
plus en plus libérale et humaine en Turquie. Notre second
dénominateur commun est la connaissance de la langue et de la culture
française». Ces précisions étant données, les intellectuels
francophones expriment leur déception face à la «campagne de
dénigrement» menée, selon eux, en France. Ils sont universitaires,
journalistes, artistes, écrivains, anciens ministres, chefs
d’entreprise de renom… et s’inquiètent d’un «discours qui frise la
xénophobie». Ils expriment leur «incapacité totale à comprendre les
raisons de cette lame de fond antiturque, et à saisir les motivations
réelles de certaines voix de la France, qui prennent la tête d’un
mouvement visant à exiger de la Turquie plus qu’il n’exige de tout
autre candidat». Parmi les signataires, certaines personnalités de
renommée internationale, tels le romancier Yachar Kemal ou le
photographe Ara Güler se sont vu décerner par la France la Légion
d’honneur. Hervé Giraud porte également la rosette à sa boutonnière.
Il doit son nom français à l’histoire de sa famille, qui vit dans ce
pays depuis la fin du XVIII e siècle. Lui non plus ne comprend pas
que la candidature de la Turquie pose tant de problèmes : «L’Union
européenne ne peut trouver que des avantages à accueillir ce pays»,
assure ce grand patron de l’industrie textile. «Et puis,
comprenez-moi : avec la vie que j’ai vécue, moi qui suis né ici,
quand j’entends dire qu’Ankara n’est pas en Europe, je ne peux
m’empêcher de penser que c’est une blague !» L’éditorialiste Mehmet
Ali Birand a également inscrit son nom parmi les signataires de
l’appel. Dans son dernier billet, il tente d’analyser les motivations
de l’opinion publique française, dont l’attitude, «très nerveuse à
propos de la Turquie», est selon lui «sans commune mesure avec
n’importe quel autre pays». Le journaliste tente de faire
l’inventaire des griefs français à l’égard de son pays : l’Arménie,
Chypre, la torture… autant de raisons qui amèneraient les Français
à considérer que «la Turquie représente tout ce qui peut exister de
mal». Cette impression d’être mal compris par ses interlocuteurs, le
premier ministre lui-même a tenté de l’exprimer : selon Recep Tayyip
Erdogan, «le vrai problème est qu’une partie de l’opinion publique ne
connaît pas la Turquie».