L’Alliance =?UNKNOWN?Q?fran=E7aise=2C?= c’est aussi une entreprise

Le Figaro, France
11 octobre 2004

L’Alliance française, c’est aussi une entreprise

par Mélanie DELATTRE

ON LA SURNOMME « la vieille dame ». Même si à 120 ans, l’Alliance
française n’a pas pris une ride. Au contraire, depuis sa création en
1884, la vénérable institution n’a cessé de réinventer la défense de
la langue et de la culture française à l’étranger son statut
d’association à but non lucratif lui laissant une liberté que le
Goethe Institut ou l’Instituto Cervantes n’ont pas. « En tant que
vendeurs de français, nous sommes en concurrence avec les écoles de
langues et les universités locales, remarque Jean-Claude Jacq,
secrétaire général de l’Alliance de Paris. À nous de trouver les
ressources financières et pédagogiques qui nous permettront de rester
compétitifs sur le marché. » D’autant que les subventions publiques
ne représentent que 5 % de ses dépenses.

En se choisissant en juillet un nouveau président venu du monde des
affaires Jean-Pierre de Launoit est président d’Axa Belgium
l’organisation confirme sa volonté de ne pas se couper des réalités
économiques. Sous son impulsion, l’Alliance Bruxelles-Europe a par
exemple mis en place des cours ciblés à l’attention des
fonctionnaires européens, qui ont connu un très large succès. Pendant
ce temps, l’Alliance d’Ahmedabad, en Inde, testait le tarif « heures
creuses » destiné aux femmes au foyer tandis que celle de New York
inaugurait un cours d’anglais juridique destiné aux interprètes et
aux avocats de Manhattan. Pour garder une longueur d’avance sur le
créneau de plus en plus disputé des cours de langue, l’organisation
mise à la fois sur l’expérience du réseau et l’inventivité de chacune
de ses « filiales » locales.

Franchisé en Arménie

Avec plus de 1 000 centres installés çà et là sur le globe, jusque
dans les régions les plus reculées, l’Alliance française est
l’entreprise culturelle hexagonale la mieux représentée à l’étranger.
On trouve ainsi une Alliance à Comodoro Rivadavia, en Argentine, à
quelque 1 000 kilomètres seulement de l’Antarctique, à Erevan en
Arménie et même depuis peu en plein coeur des Territoires
palestiniens, à Bethléem (voir encadré). Comme dans un système de
franchise, ces centres sont complètement indépendants statutairement
et financièrement du « siège », installé boulevard Raspail à Paris.
Ce dernier, propriétaire de la marque Alliance française, se
contentant de fournir un label et une aide logistique comme le ferait
un franchiseur.

« Nous sommes contactés par des bénévoles du monde entier qui
souhaitent promouvoir la langue et la culture française, explique
Alain Marquer, directeur des relations internationales de l’Alliance.
Après examen de leurs statuts, de leur programmation budgétaire et de
leurs objectifs, nous décidons de leur accorder ou non la
dénomination Alliance française. » Soucieuse de son image,
l’institution ne souhaite pas apporter sa caution à des projets qui
manqueraient de sérieux ou auraient peu de chance d’être viables.
D’autant que le réseau, « une franchise plus qu’une multinationale »,
ne joue aucun rôle de redistribution. « Il revient à chaque alliance
d’équilibrer son budget », précise Jean-Claude Jacq.

Quelques centres situés dans des zones défavorisées peuvent obtenir
des subventions des pouvoirs publics français, mais en règle
générale, les recettes proviennent principalement des cours, dont le
tarif est étudié pour assurer la compétitivité de l’Alliance sur le
marché local. Une heure de formation coûte ainsi moins de 50 centimes
d’euros en Moldavie, 8,6 euros à Lyon et 45 euros à New York.

L’Alliance fait sa pub à la télé

Conformément à la règle qui veut que les Alliances s’intègrent dans
le paysage local, le French Institute Alliance Française (FAIF) de
New York recourt largement au mécénat privé, système de financement
de la culture très développé aux Etats-Unis. « Les membres du conseil
d’administration, des financiers pour la plupart, déboursent en
moyenne 20 000 dollars par an au profit de l’Alliance », confie
Marie-Monique Steckel, directrice générale du FAIF.

Afin d’inciter les riches francophiles de Manhattan à se montrer
généreux, la FAIF les convie chaque année au Trophée des arts, un
gala parrainé par des stars du cinéma hexagonal, comme Isabelle
Huppert ou Jeanne Moreau. Pendant qu’à New York la directrice manie
le Blackberry et la coupe de champagne pour boucler son budget à
Ahmedabad, c’est la débrouille qui prévaut. « Pour financer la
construction d’une galerie, d’une médiathèque ou d’une salle de
projection, il n’est pas rare de mettre à contribution les artistes
du pays, qui font don de la vente d’oeuvres pour certains projets
d’infrastructures », témoigne Olivier Debray, ancien directeur de
l’Alliance de cette ville.

En cas de besoin, il leur est possible de solliciter le siège
parisien, dont le rôle est de faciliter la vie du réseau. « Nous
servons d’interface entre les Alliance à l’étranger et les
administrations publiques françaises et nous proposons de la
formation et du soutien technique », détaille Jean-Claude Jacq. La
direction parisienne recycle ainsi une partie de ses 210 cadres et
professeurs, les uns en tant qu’auditeurs ou conseillers en Chine,
les autres en tant que formateurs au Maroc, ou au siège boulevard
Raspail. Car le premier capital de la vieille dame, ce sont ses
hommes. Instituteurs ou agrégés, ils viennent d’un milieu
généralement fermé aux réalités économique : l’Education nationale.
Ce qui n’empêche pas la plupart d’entre eux de se transformer en
gestionnaires avisés. Réunis en congrès, les 265 délégués généraux de
l’Alliance représentant du siège à l’étranger n’ont pas hésité à
franchir un nouveau pas en votant la diffusion de spots de pub pour
l’Alliance à la télé…

Un terrain neutre en territoire occupé

Trois employés à temps partiel, des professeurs vacataires, un local
mis à disposition par la municipalité : l’Alliance française de
Bethléem ne dispose pas de moyens importants. Mais elle a permis le
retour de la culture française dans les territoires palestiniens,
d’où elle était absente depuis la fermeture du centre culturel il y a
plusieurs années.

Créée à l’initiative de Palestiniens francophones, avec l’appui du
consulat français de Jérusalem, la dernière-née des Alliances de
l’étranger souffle sa première bougie ce mois-ci. Symboliquement
installée dans le Peace Center, principal centre culturel de la
ville, l’association a déjà plusieurs réalisations à son actif :
l’organisation d’une fête de la musique, l’ouverture d’une
bibliothèque et, surtout, la mise en place de classes de français
pour tous les habitants de la ville, regroupés en fonction de leur
niveau et non de leur confession.

L’Alliance en chiffres

Autofinancée à 95 %, l’Alliance française de Paris dispose d’un
budget d’environ 13 millions d’euros.

RECETTES
– Cours : 12,3 millions d’euros

Location de salles : 252 263 euros.
– Subventions : 663 850 euros

DÉPENSES

– Salaires et charges de personnel : 9,8 millions d’euros
– Charges externes et achats : 1, 7 millions d’euros
– Charges diverses : 924 000 euros
– Impôts et taxes : 825 000 euros