Dossier: Les Eglises posent le probleme de la liberte de culte

La Croix
5 octobre 2004

Dossier. La Turquie aux portes de l’Union Européenne. Les Eglises
posent le problème de la liberté de culte. Les chrétiens de Turquie
se placent sur le terrain du respect de la liberté religieuse.

GAULMYN Isabelle de

A Leeds (Angleterre), ce week-end, lors de l’assemblée générale du
Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE), il ne fut pas
question de l’adhésion de la Turquie. Du moins officiellement. Car,
dans les couloirs, les conversations sur le sujet n’ont pas manqué,
note Mgr Louis-Armel Peltre, vicaire apostolique d’Istamboul, qui y
représentait les évêques catholiques de Turquie : Beaucoup sont venus
m’en parler. Il était facile de deviner que, sur ce sujet, tous n’ont
pas la même opinion. Mgr Peltre a donc rappelé à ses confrères que
la Conférence des évêques de Turquie (CET) n’avait pas pris de
position officielle : Nous restons en retrait par rapport aux
responsables du patriarcat oecuménique de Constantinople et de
l’Eglise apostolique arménienne, qui représentent la grande majorité
des chrétiens en Turquie. Le premier, le patriarche Bartholomeos Ier,
s’est depuis longtemps prononcé pour. Le second aussi, mais avec plus
d’hésitations.

Pour autant, poursuit Mgr Peltre, les catholiques de Turquie sont
favorables à l’adhésion du pays. · Leeds, j’ai expliqué aux évêques
que nous en espérions une amélioration de notre situation . Les
responsables catholiques turcs vivent mal les réticences feutrées de
nombre de leurs confrères européens. Il est faux de présenter les
musulmans turcs comme formant un ensemble monolithique, où tous
seraient contre la liberté religieuse des chrétiens, ajoute l’évêque.
Au contraire. Les réticences de la Turquie ne doivent pas alimenter
une islamophobie.

Tel est le piège. Si des responsables chrétiens s’expriment à propos
de la Turquie, leur position est immédiatement interprétée en termes
religieux. Et les Turcs, qui font du lobbying pour leur adhésion à
l’Europe, ont vite fait de caricaturer ainsi nos positions. Sans
oublier que ce débat suit la polémique sur l’héritage chrétien de
l’Europe , souligne un observateur de l’Eglise allemande. D’où, sans
doute, la prudence de cette dernière, concernée au premier chef du
fait de l’existence d’une importante communauté turque sur son sol.
Lors de l’assemblée plénière des évêques allemands, fin septembre, le
cardinal Karl Leh mann, président de la Conférence épiscopale, s’en
est donc tenu à une position de principe concernant le respect de la
liberté religieuse. Il a rappelé que l’observation des critères de
Copenhague, y compris, donc, ceux qui concernaient la liberté
religieuse, individuelle comme collective , devait impérativement
être respectée.

L’évêque de Mayence a cependant insisté, demandant que les droits qui
sont reconnus en Allemagne aux musulmans turcs soient, au moins
progressivement, accordés aux chrétiens qui vivent en Turquie . La
liberté religieuse doit être respectée comme marque de l’identité
démocratique européenne , a martelé le cardinal Lehmann, évitant
soigneusement la question de la légitimité de l’appartenance de la
Turquie à l’ensemble européen.

Même prudence à Rome. En février, Jean-Paul II, recevant
l’ambassadeur de Turquie, avait évoqué le sujet de la reconnaissance
du statut juridique de l’Eglise. Mais le cardinal Sodano, secrétaire
d’Etat, a affirmé jeudi que le Saint-Siège se devait de rester neutre
sur l’adhésion de la Turquie : Nous ne pouvons pas dire à la Suisse
qu’elle ne doit pas adhérer, à la Turquie qu’elle ne peut pas entrer,
et à l’Ukraine qu’elle le peut , a expliqué le numéro deux du
Vatican. En juillet cependant, le cardinal Joseph Ratzinger, préfet
de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait qualifié une
probable intégration d’ énorme erreur dans un entretien au Figaro
Magazine.

Ces hésitations et nuances traversent les autres Eglises européennes.
Au sein de la Conférence des Eglises européennes (KEK, 130 Eglises
protestantes, orthodoxes et anglicanes), on trouve toutes les nuances
d’expression, de l’opposition virulente du primat orthodoxe de Grèce
à d’autres plus ouvertes. Ainsi, pour le pasteur Jean-Arnold de
Clermont, président de la KEK et de la Fédération protestante de
France, si le critère géographique ne peut être opposé pour refuser
l’entrée de la Turquie en Europe, encore faut-il, dans ce cas, poser
le problème de l’adhésion de la Serbie, de l’Albanie, du Kosovo .
Mais, ajoute-t-il, il faut alors être sérieux sur le respect des
critères de Copenhague, et notamment entendre la voix des Eglises
minoritaires . Enfin, conclut le pasteur, cela passe, au plan
culturel, par une réconciliation des mémoires. La Turquie doit
reconnaître le génocide arménien. Et elle ne peut faire comme s’il
n’y avait pas eu d’Empire ottoman .

Sans surprise, d’ailleurs, c’est bien au sein des Eglises de ces pays
de l’ex-empire ou aux marges de celui-ci – Autriche, Hongrie et
Pologne – que les réticences sont les plus grandes.

ISABELLE DE GAULMYN

Pas d’amélioration notable de la liberté religieuse.

La Turquie est-elle sur la voie de l’Europe en matière de liberté
religieuse ? Il sera bien difficile de donner une réponse positive ,
affirme la section Droits de l’homme de Missio, l’organisme allemand
des OEuvres pontificales missionnaires, dans un rapport publié en
septembre. Principal problème : l’absence de statut juridique des
communautés religieuses, le gouvernement semblant considérer leur
existence même comme incompatible avec le principe turc de laïcité.
Aussi, si la construction de lieux de culte est désormais libre, les
minorités non musulmanes ne peuvent rien demander puisque,
juridiquement, elles n’existent pas.

Par ailleurs, la formation supérieure étant monopole d’Etat, aucune
Eglise ne peut former son personnel à la théologie en Turquie, le
gouvernement cherchant à mettre cette formation sous contrôle (même
au séminaire orthodoxe de Halki, dans l’hypothèse de sa réouverture).
Quant aux clercs étrangers, leur entrée demeure très difficile. Même
les oeuvres caritatives sont considérablement freinées dans leur
action, alors que la Turquie s’est engagée à les préserver dans le
traité de Lausanne (1923) – qui protège les minorités non musulmanes
– et dans une loi de 1935, toujours pas appliquée. Enfin, selon le
rapport, les lois d’harmonisation européenne votées par la Turquie
n’ont pas apporté d’amélioration notable des problèmes existants . Il
y a parfois des miracles, même en politique, et la résolution des
problèmes fondamentaux en matière de liberté religieuse en Turquie en
constituerait indubitablement un , conclut le rapport.

N. S.