Dossier: De gros efforts ont ete faits, d’autres restent a faire

La Croix
5 octobre 2004

Dossier. La Turquie aux portes de l’Union Européenne. De gros efforts
ont été faits, d’autres restent à faire. La Turquie a adopté huit
réformes pour se rapprocher des conditions d’ouverture des
négociations d’adhésion.

MASSON Marie-Françoise

Que doit exactement décider demain la Commission européenne à propos
de la Turquie ?

Les 30 commissaires (un par Etat membre à l’exception de cinq pays –
France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne – qui en ont
actuellement deux) qui forment la Commission européenne doivent
collégialement entériner ou rejeter une recommandation sur
l’ouverture ou non de négociations d’adhésion avec la Turquie qui a,
depuis 1999, le statut officiel de candidat à l’Union. Cette
recommandation sera soumise par le commissaire chargé de
l’élargissement, l’Allemand Günter Verheugen. Elle a été demandée en
décembre 2002 par les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats
membres et sera accompagnée d’un rapport sur les progrès réalisés par
la Turquie sur la voie de l’adhésion (lire ci-contre). Elle répondra
à cette seule question : la Turquie remplit-elle ou non les critères
de Copenhague ? Ces critères résument les conditions qu’un Etat se
doit de remplir avant que s’ouvrent les négociations d’adhésion. Ils
ont été déterminés en juin 1993 dans la capitale danoise, alors
qu’affluaient vers l’Union européenne les candidatures des anciens
pays du bloc soviétique. Se trouvent réunies des conditions
politiques (institutions stables, démocratie, primauté du droit,
respect des droits de l’homme, etc.) et économiques (capacité de
supporter la concurrence, économie de marché viable). Cependant, en
1999, au sommet européen d’Helsinki, il fut entendu à l’égard des
pays de l’Europe de l’Est – et par extension de tout autre candidat –
que seuls les critères politiques étaient une condition préalable à
l’ouverture de négociations d’adhésion.

Les critères économiques et l’alignement de la législation nationale
sur l’ensemble des mesures communautaires sont perçus comme devant
être appliqués ultérieurement, lors des négociations proprement
dites.

Qu’a déjà fait la Turquie ?

Depuis cinq ans, la Turquie a voté huit grands paquets de réformes
qui ont profondément transformé la législation du pays. Les trois
premiers, concernant l’abolition de la peine de mort et la
reconnaissance de certains droits culturels, notamment pour la
minorité kurde, ont été adoptés avant l’élection d’un nouveau
Parlement et l’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur de
Recep Tayyip Erdogan, en novembre 2002. Ce dernier, disposant d’une
majorité absolue avec son parti AKP, a fait adopter depuis cinq
autres paquets portant sur la liberté d’expression, la liberté de
manifester, le contrôle civil de l’armée (changement du statut du
Conseil de sécurité nationale aujourd’hui présidé par un civil et
ayant dorénavant un rôle consultatif), la réforme du code civil
(reconnaissant l’égalité entre hommes et femmes) et celle du code
pénal. En juin, le Conseil de l’Europe, organisation plus large que
l’Union européenne et focalisée sur les droits de l’homme, qui depuis
1996 avait mis la Turquie sous surveillance en raison des graves
violations des droits de l’homme, a reconnu ces changements et décidé
de lever ce dispositif.

Que doit encore faire la Turquie ?

Une réforme pénitentiaire mettant les règles de détention en
conformité avec les droits de l’homme n’est pas encore adoptée. Et,
dans la Constitution, il reste des amendements à apporter au code
électoral. La promesse de voter ces textes ne suffit pas : la
polémique née au moment de l’adoption du nouveau code pénal, ces
dernières semaines, le prouve.

C’est en effet grce aux menaces de l’Union européenne d’arrêter tout
début de négociation d’adhésion avec la Turquie que les manifestants
dans le pays – en majorité des femmes – ont pu obtenir qu’une mesure
prévoyant des peines de prison pour l’adultère soit retirée. Par
ailleurs, la Commission européenne le disait déjà l’an dernier dans
son précédent rapport : les réformes législatives ont eu une
application difficile (du fait des restrictions apportées dans les
textes eux-mêmes), lente – la tolérance zéro en matière de torture a
beau avoir été affirmée par le gouvernement turc, beaucoup reste à
faire pour mettre ce principe en application – et inégale.

La liberté d’expression, notamment pour les minorités, contient de
nombreuses mesures restrictives, et les organisations de défense des
droits de l’homme, Amnesty en tête, dénoncent régulièrement les
dérives sur le terrain. La liberté d’association a, certes, été
assouplie, mais elle demeure sous un contrôle strict de l’Etat.

Enfin, il ne faut pas oublier la reconnaissance du génocide arménien
qui, sans être une condition d’ouverture des négociations, est
réclamée par certains sans être jusqu’ici entendue dans le pays.

Peut-on encore dire non à l’entrée de la Turquie si on dit oui
aujourd’hui ?

Même si la Commission répond qu’il convient d’ouvrir les négociations
avec la Turquie, cela ne garantira pas la réponse positive des chefs
d’Etat et de gouvernement le 17 décembre. Or, ils sont les seuls à
pouvoir trancher. Certains dirigeants (les premiers ministres
luxembourgeois et autrichien notamment) ont ouvertement affiché leur
peu d’enthousiasme, et la nouvelle Commission qui prendra ses
fonctions le 1er novembre est en retrait sur ce dossier par rapport à
la précédente.

Si la Commission livre une recommandation favorable, deux procédures
devraient être explicitement instaurées pour la première fois : lors
des négociations qui porteront cette fois sur l’intégration par la
Turquie de toutes les règles communautaires du marché et de
l’ensemble de la législation commune, tout restera ouvert jusqu’à la
fin. De même, les négociations pourront-elles être arrêtées à tout
moment. Une manière de laisser entendre que l’entrée de la Turquie
n’est pas acquise. Une entrée qu’il restera ensuite à faire admettre
aux pays membres qui devront la ratifier. Et l’on sait que, pour la
France, ce pourrait être par voie de référendum.

MARIE-FRANEUROISE MASSON

Les critères de Copenhague , un condensé de ce qui fonde l’Union
européenne.

· Copenhague, en 1993, les chefs d’Etat et de gouvernement avaient
fixé des critères que devait respecter tout pays candidat à l’Union
avant que ne s’ouvrent les négociations d’adhésion. Voici les deux
paragraphes clés :

L’adhésion requiert de la part du pays candidat qu’il ait des
institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du
droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur
protection, l’existence d’une économie de marché viable ainsi que la
capacité à faire face à la pression concurrentielle et aux forces du
marché à l’intérieur de l’Union. L’adhésion présuppose la capacité du
pays candidat à en assumer les obligations et notamment à souscrire
aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

La capacité de l’Union à assimiler de nouveaux membres tout en
maintenant l’élan de l’intégration constitue également un élément
important répondant à l’intérêt général aussi bien de l’Union que des
pays candidats.