Turquie : pour un partenariat renforce

Le Figaro, France
05 octobre 2004

Turquie : pour un partenariat renforcé;
EUROPE A la veille du rapport de la Commission sur la candidature
d’Ankara

Jean-Dominique GIULIANI

L’Europe ne doit pas claquer la porte à la Turquie, qui souhaite
officiellement en accepter les règles, les usages et donc la
civilisation. Nul ne le conteste. Mais la fragile construction
communautaire ne peut s’élargir sans cesse, surtout hors de ses
frontières géographiques naturelles. Le bon sens populaire
n’acceptera jamais que la Turquie devienne le principal pays de
l’Union européenne disposant, en fonction des règles actuelles, du
plus grand nombre de voix au conseil des ministres et du plus grand
nombre de députés européens. Parce que la Turquie n’est tout
simplement pas le premier pays d’Europe.

Enserrée dans ces deux contraintes contradictoires, l’UE ne peut se
contenter d’une politique au fil de l’eau dont on voit bien
aujourd’hui qu’elle cause nombre de malentendus et qu’elle pourrait,
finalement, nous conduire à une grave crise avec la Turquie. C’est la
raison pour laquelle a été évoquée l’hypothèse de proposer à la
Turquie un « partenariat privilégié », une alliance d’un type
particulier. Obnubilés par la politique intérieure, les dirigeants
turcs ont balayé d’un revers de la main ce qui pourrait pourtant être
la solution la mieux adaptée à leur pays : une véritable union
économique de la Turquie et de l’Union, un pacte de défense mutuelle,
un vrai dialogue politique, répondraient exactement aux besoins de la
situation géopolitique turque.

Depuis 1963, un accord d’association lie ce pays à l’UE, et, depuis
1995, la Turquie est officiellement en « union douanière » avec elle.
A ce titre, quelques maigres institutions ont été créées : Conseil et
Comité d’association, Commission parlementaire mixte, Comité
consultatif et Comité d’union douanière. Les experts turcs peuvent
participer à plus de 23 comités différents et ont choisi d’être
associés à dix programmes communautaires, tel Socrates pour la
jeunesse. C’est tout ! Pour quarante et un ans de relations
d’association, c’est un bien maigre bilan.

En réalité, l’Union douanière ne concerne que des produits
industriels ou transformés. Les contingents et les entraves
techniques aux échanges subsistent. La Turquie est le 7e client de
l’UE et son 13e fournisseur. Nos échanges économiques ne sont pas à
la hauteur des ambitions affichées. Le commerce de la France avec la
Turquie est presque équivalent à celui que nous entretenons avec le
Maroc ou la Tunisie, à peine supérieur à nos échanges avec le Brésil,
la Corée du Sud ou le Canada, inférieur à notre commerce avec
l’Algérie.

La Turquie a surtout besoin d’une aide au développement lui
permettant de valoriser ses atouts, qui sont potentiellement
nombreux. La Commission européenne elle-même a chiffré à 28 milliards
d’euros par an ce que coûterait l’adhésion de la Turquie,
c’est-à-dire près du tiers du budget total de l’Union et de la
totalité des fonds structurels actuels. L’Union européenne a intérêt
au rattrapage de la Turquie. Un accord de préférence économique
générale assorti d’aides et d’un désarmement tarifaire et technique
correspond exactement aux besoins. C’est d’ailleurs ce qui s’est
passé de facto avec le programme Euro-Méditerranée dont la Turquie a
reçu la plus grande part, soit 1,6 milliard d’euros entre 1998 et
2002. Voilà de quoi nourrir le contenu d’un vrai traité spécifique à
la situation turque.

Il en va de même en matière de politique étrangère et surtout de
défense. On sait que la nouvelle Constitution européenne autorise de
nouveaux développements. Son article 1-41 prévoit une clause de
défense mutuelle des pays membres de l’Union. Aujourd’hui, l’armée
turque la première en Europe par les effectifs est le pilier du flanc
Sud de l’Otan. Elle demeure figée sur cette alliance qui lui permet
une politique régionale de puissance totalement indépendante des
intérêts, des pratiques et des missions de l’UE. N’est-il pas temps
de lui proposer de traduire son engagement européen dans un véritable
accord de défense ?

Enfin, la Turquie et l’UE ont besoin de développer un véritable
dialogue politique. Associée comme candidate aux réunions du Conseil
européen, la Turquie n’a pas intégré les organes politiques de
l’Union. Elle n’en fait pas partie, et la vertu pédagogique pour les
peuples d’Europe de cette union supranationale ne s’est pas diffusée
dans la population turque. Nous avons besoin de développer avec elle
un véritable dialogue politique qui devienne une évidence entre nos
peuples.

L’Union doit donc proposer à la Turquie un traité spécifique et
solennel par lequel les deux parties s’allient, définissent leurs
objectifs de politique étrangère, précisent leurs visions des
relations internationales, les moyens qu’elles mettent en commun pour
les atteindre. Et il faut offrir à la société turque un vrai débat
sur les valeurs qui fondent la vision européenne. Car dépasser et
assumer son histoire, avec ses erreurs et ses horreurs, est aussi une
leçon européenne pour le monde. La mémoire fait partie de la
civilisation. L’affaire du génocide arménien montre qu’un tel
dialogue entre l’Europe et la société turque est indispensable et
utile à la cause de l’humanité.

Cette nouvelle alliance aurait plus de poids dans le monde qu’un
simple élargissement de l’UE. Elle serait européenne sans
dévaloriser, et vraisemblablement détruire, les instances politiques
que nous avons patiemment construites ; elle respecterait cette
identité dont les Turcs sont si fiers ; elle leur laisserait cette
souveraineté entière qu’ils auront tant de mal à abandonner.

C’est la raison pour laquelle la sagesse voudrait que les chefs
d’Etat et de gouvernement, qui se réuniront le 17 décembre pour
examiner la candidature turque, décident de demander à la Commission
d’explorer avec la Turquie toutes les possibilités de rapprochement,
de l’adhésion à l’alliance privilégiée, ce partenariat renforcé qui
semble si bien adapté à la situation.

* Président de la Fondation Robert-Schuman

Dossier: La Turquie aux portes de l’Union Europeenne

La Croix
5 octobre 2004

Dossier. La Turquie aux portes de l’Union Européenne. PAROLES
d’islamologues. Interviews. Le problème n’est pas l’islam , Olivier
Roy. Directeur de recherche au

SAUTO Martine de,SCHMIDT Pierre

Le problème n’est pas l’islam

Olivier Roy

Directeur de recherche au CNRS (1)

Le problème, ce n’est pas l’islam. Il est compatible avec les
traditions du sécuralisme européen. Une identité européenne en partie
musulmane ne me gêne pas. Il y a de plus en plus de musulmans dans
les pays de l’Union européenne… Et sur un plan stratégique, la
Turquie a rompu avec le Moyen-Orient qui est une source de menaces
pour elle.

Le problème qui se pose est plutôt celui d’une société qui est en
transition : on va vers une occidentalisation mais on n’y est pas
encore, notamment dans le sud-est du pays. Une autre question
fondamentale concerne l’appareil d’Etat : l’obstacle principal
aujourd’hui, c’est la tradition kémaliste et militaire de la Turquie
(de Kemal Atatürk 1881-1936, le père des Turcs, NDLR).

La question du référendum sur l’adhésion de la Turquie à l’Union
européenne est absurde. Je crois qu’il faut penser en termes de
processus et non en termes de oui ou de non . Ou on dit oui et cela
veut dire que la Turquie est prête, or elle ne l’est pas encore… Ou
bien, on dit non et on ferme la porte ! Il est important de ne pas la
fermer car cette perspective entraîne la Turquie vers la transition.

(1) Auteur de La Turquie aujourd’hui : un pays européen ? (direction
d’ouvrage, Universalis, 2004) et L’islam mondialisé (Seuil, septembre
2002)

L’islam turc est récent

Bruno Etienne

Directeur de l’Observatoire du religieux à l’Institut d’études
politiques d’Aix-en-Provence.

Des politiques de droite et de gauche – y compris ceux qui étaient
opposés à ce qu’elles soient mentionnées dans le préambule de la
Constitution – invoquent les valeurs chrétiennes pour justifier leur
refus de voir la Turquie rejoindre, dans quinze ans, l’Union
européenne. Ils oublient – ou font mine d’oublier – que l’islam turc
est un islam récent. Si le pacte a été rompu lors du génocide
arménien, ce n’est pas par les musulmans, mais par les laïques
nationalistes ! Ils refusent aussi d’honorer le pays musulman qui a
conduit les plus grandes avancées vers la laïcité. Ils négligent le
fait qu’aux marges du monde libre , la Turquie sert de porte-avions à
l’Otan, et qu’elle est aussi le seul Etat musulman à entretenir des
relations sérieuses – y compris militaires – avec Israël. Par
ailleurs, comment oublier que les monuments grecs sont plus nombreux
en Turquie que partout ailleurs (Ephèse, Pergame…) et sont visités
comme hauts lieux de la pensée et de l’art européens. L’adhésion de
la Turquie serait une bonne réponse à ceux qui ne regardent le monde
qu’en termes religieux.

RECUEILLI PAR MARTINE DE SAUTO ET PIERRE SCHMIDT

From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress

Dossier: Les Eglises posent le probleme de la liberte de culte

La Croix
5 octobre 2004

Dossier. La Turquie aux portes de l’Union Européenne. Les Eglises
posent le problème de la liberté de culte. Les chrétiens de Turquie
se placent sur le terrain du respect de la liberté religieuse.

GAULMYN Isabelle de

A Leeds (Angleterre), ce week-end, lors de l’assemblée générale du
Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE), il ne fut pas
question de l’adhésion de la Turquie. Du moins officiellement. Car,
dans les couloirs, les conversations sur le sujet n’ont pas manqué,
note Mgr Louis-Armel Peltre, vicaire apostolique d’Istamboul, qui y
représentait les évêques catholiques de Turquie : Beaucoup sont venus
m’en parler. Il était facile de deviner que, sur ce sujet, tous n’ont
pas la même opinion. Mgr Peltre a donc rappelé à ses confrères que
la Conférence des évêques de Turquie (CET) n’avait pas pris de
position officielle : Nous restons en retrait par rapport aux
responsables du patriarcat oecuménique de Constantinople et de
l’Eglise apostolique arménienne, qui représentent la grande majorité
des chrétiens en Turquie. Le premier, le patriarche Bartholomeos Ier,
s’est depuis longtemps prononcé pour. Le second aussi, mais avec plus
d’hésitations.

Pour autant, poursuit Mgr Peltre, les catholiques de Turquie sont
favorables à l’adhésion du pays. · Leeds, j’ai expliqué aux évêques
que nous en espérions une amélioration de notre situation . Les
responsables catholiques turcs vivent mal les réticences feutrées de
nombre de leurs confrères européens. Il est faux de présenter les
musulmans turcs comme formant un ensemble monolithique, où tous
seraient contre la liberté religieuse des chrétiens, ajoute l’évêque.
Au contraire. Les réticences de la Turquie ne doivent pas alimenter
une islamophobie.

Tel est le piège. Si des responsables chrétiens s’expriment à propos
de la Turquie, leur position est immédiatement interprétée en termes
religieux. Et les Turcs, qui font du lobbying pour leur adhésion à
l’Europe, ont vite fait de caricaturer ainsi nos positions. Sans
oublier que ce débat suit la polémique sur l’héritage chrétien de
l’Europe , souligne un observateur de l’Eglise allemande. D’où, sans
doute, la prudence de cette dernière, concernée au premier chef du
fait de l’existence d’une importante communauté turque sur son sol.
Lors de l’assemblée plénière des évêques allemands, fin septembre, le
cardinal Karl Leh mann, président de la Conférence épiscopale, s’en
est donc tenu à une position de principe concernant le respect de la
liberté religieuse. Il a rappelé que l’observation des critères de
Copenhague, y compris, donc, ceux qui concernaient la liberté
religieuse, individuelle comme collective , devait impérativement
être respectée.

L’évêque de Mayence a cependant insisté, demandant que les droits qui
sont reconnus en Allemagne aux musulmans turcs soient, au moins
progressivement, accordés aux chrétiens qui vivent en Turquie . La
liberté religieuse doit être respectée comme marque de l’identité
démocratique européenne , a martelé le cardinal Lehmann, évitant
soigneusement la question de la légitimité de l’appartenance de la
Turquie à l’ensemble européen.

Même prudence à Rome. En février, Jean-Paul II, recevant
l’ambassadeur de Turquie, avait évoqué le sujet de la reconnaissance
du statut juridique de l’Eglise. Mais le cardinal Sodano, secrétaire
d’Etat, a affirmé jeudi que le Saint-Siège se devait de rester neutre
sur l’adhésion de la Turquie : Nous ne pouvons pas dire à la Suisse
qu’elle ne doit pas adhérer, à la Turquie qu’elle ne peut pas entrer,
et à l’Ukraine qu’elle le peut , a expliqué le numéro deux du
Vatican. En juillet cependant, le cardinal Joseph Ratzinger, préfet
de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait qualifié une
probable intégration d’ énorme erreur dans un entretien au Figaro
Magazine.

Ces hésitations et nuances traversent les autres Eglises européennes.
Au sein de la Conférence des Eglises européennes (KEK, 130 Eglises
protestantes, orthodoxes et anglicanes), on trouve toutes les nuances
d’expression, de l’opposition virulente du primat orthodoxe de Grèce
à d’autres plus ouvertes. Ainsi, pour le pasteur Jean-Arnold de
Clermont, président de la KEK et de la Fédération protestante de
France, si le critère géographique ne peut être opposé pour refuser
l’entrée de la Turquie en Europe, encore faut-il, dans ce cas, poser
le problème de l’adhésion de la Serbie, de l’Albanie, du Kosovo .
Mais, ajoute-t-il, il faut alors être sérieux sur le respect des
critères de Copenhague, et notamment entendre la voix des Eglises
minoritaires . Enfin, conclut le pasteur, cela passe, au plan
culturel, par une réconciliation des mémoires. La Turquie doit
reconnaître le génocide arménien. Et elle ne peut faire comme s’il
n’y avait pas eu d’Empire ottoman .

Sans surprise, d’ailleurs, c’est bien au sein des Eglises de ces pays
de l’ex-empire ou aux marges de celui-ci – Autriche, Hongrie et
Pologne – que les réticences sont les plus grandes.

ISABELLE DE GAULMYN

Pas d’amélioration notable de la liberté religieuse.

La Turquie est-elle sur la voie de l’Europe en matière de liberté
religieuse ? Il sera bien difficile de donner une réponse positive ,
affirme la section Droits de l’homme de Missio, l’organisme allemand
des OEuvres pontificales missionnaires, dans un rapport publié en
septembre. Principal problème : l’absence de statut juridique des
communautés religieuses, le gouvernement semblant considérer leur
existence même comme incompatible avec le principe turc de laïcité.
Aussi, si la construction de lieux de culte est désormais libre, les
minorités non musulmanes ne peuvent rien demander puisque,
juridiquement, elles n’existent pas.

Par ailleurs, la formation supérieure étant monopole d’Etat, aucune
Eglise ne peut former son personnel à la théologie en Turquie, le
gouvernement cherchant à mettre cette formation sous contrôle (même
au séminaire orthodoxe de Halki, dans l’hypothèse de sa réouverture).
Quant aux clercs étrangers, leur entrée demeure très difficile. Même
les oeuvres caritatives sont considérablement freinées dans leur
action, alors que la Turquie s’est engagée à les préserver dans le
traité de Lausanne (1923) – qui protège les minorités non musulmanes
– et dans une loi de 1935, toujours pas appliquée. Enfin, selon le
rapport, les lois d’harmonisation européenne votées par la Turquie
n’ont pas apporté d’amélioration notable des problèmes existants . Il
y a parfois des miracles, même en politique, et la résolution des
problèmes fondamentaux en matière de liberté religieuse en Turquie en
constituerait indubitablement un , conclut le rapport.

N. S.

Dossier: De gros efforts ont ete faits, d’autres restent a faire

La Croix
5 octobre 2004

Dossier. La Turquie aux portes de l’Union Européenne. De gros efforts
ont été faits, d’autres restent à faire. La Turquie a adopté huit
réformes pour se rapprocher des conditions d’ouverture des
négociations d’adhésion.

MASSON Marie-Françoise

Que doit exactement décider demain la Commission européenne à propos
de la Turquie ?

Les 30 commissaires (un par Etat membre à l’exception de cinq pays –
France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne – qui en ont
actuellement deux) qui forment la Commission européenne doivent
collégialement entériner ou rejeter une recommandation sur
l’ouverture ou non de négociations d’adhésion avec la Turquie qui a,
depuis 1999, le statut officiel de candidat à l’Union. Cette
recommandation sera soumise par le commissaire chargé de
l’élargissement, l’Allemand Günter Verheugen. Elle a été demandée en
décembre 2002 par les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats
membres et sera accompagnée d’un rapport sur les progrès réalisés par
la Turquie sur la voie de l’adhésion (lire ci-contre). Elle répondra
à cette seule question : la Turquie remplit-elle ou non les critères
de Copenhague ? Ces critères résument les conditions qu’un Etat se
doit de remplir avant que s’ouvrent les négociations d’adhésion. Ils
ont été déterminés en juin 1993 dans la capitale danoise, alors
qu’affluaient vers l’Union européenne les candidatures des anciens
pays du bloc soviétique. Se trouvent réunies des conditions
politiques (institutions stables, démocratie, primauté du droit,
respect des droits de l’homme, etc.) et économiques (capacité de
supporter la concurrence, économie de marché viable). Cependant, en
1999, au sommet européen d’Helsinki, il fut entendu à l’égard des
pays de l’Europe de l’Est – et par extension de tout autre candidat –
que seuls les critères politiques étaient une condition préalable à
l’ouverture de négociations d’adhésion.

Les critères économiques et l’alignement de la législation nationale
sur l’ensemble des mesures communautaires sont perçus comme devant
être appliqués ultérieurement, lors des négociations proprement
dites.

Qu’a déjà fait la Turquie ?

Depuis cinq ans, la Turquie a voté huit grands paquets de réformes
qui ont profondément transformé la législation du pays. Les trois
premiers, concernant l’abolition de la peine de mort et la
reconnaissance de certains droits culturels, notamment pour la
minorité kurde, ont été adoptés avant l’élection d’un nouveau
Parlement et l’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur de
Recep Tayyip Erdogan, en novembre 2002. Ce dernier, disposant d’une
majorité absolue avec son parti AKP, a fait adopter depuis cinq
autres paquets portant sur la liberté d’expression, la liberté de
manifester, le contrôle civil de l’armée (changement du statut du
Conseil de sécurité nationale aujourd’hui présidé par un civil et
ayant dorénavant un rôle consultatif), la réforme du code civil
(reconnaissant l’égalité entre hommes et femmes) et celle du code
pénal. En juin, le Conseil de l’Europe, organisation plus large que
l’Union européenne et focalisée sur les droits de l’homme, qui depuis
1996 avait mis la Turquie sous surveillance en raison des graves
violations des droits de l’homme, a reconnu ces changements et décidé
de lever ce dispositif.

Que doit encore faire la Turquie ?

Une réforme pénitentiaire mettant les règles de détention en
conformité avec les droits de l’homme n’est pas encore adoptée. Et,
dans la Constitution, il reste des amendements à apporter au code
électoral. La promesse de voter ces textes ne suffit pas : la
polémique née au moment de l’adoption du nouveau code pénal, ces
dernières semaines, le prouve.

C’est en effet grce aux menaces de l’Union européenne d’arrêter tout
début de négociation d’adhésion avec la Turquie que les manifestants
dans le pays – en majorité des femmes – ont pu obtenir qu’une mesure
prévoyant des peines de prison pour l’adultère soit retirée. Par
ailleurs, la Commission européenne le disait déjà l’an dernier dans
son précédent rapport : les réformes législatives ont eu une
application difficile (du fait des restrictions apportées dans les
textes eux-mêmes), lente – la tolérance zéro en matière de torture a
beau avoir été affirmée par le gouvernement turc, beaucoup reste à
faire pour mettre ce principe en application – et inégale.

La liberté d’expression, notamment pour les minorités, contient de
nombreuses mesures restrictives, et les organisations de défense des
droits de l’homme, Amnesty en tête, dénoncent régulièrement les
dérives sur le terrain. La liberté d’association a, certes, été
assouplie, mais elle demeure sous un contrôle strict de l’Etat.

Enfin, il ne faut pas oublier la reconnaissance du génocide arménien
qui, sans être une condition d’ouverture des négociations, est
réclamée par certains sans être jusqu’ici entendue dans le pays.

Peut-on encore dire non à l’entrée de la Turquie si on dit oui
aujourd’hui ?

Même si la Commission répond qu’il convient d’ouvrir les négociations
avec la Turquie, cela ne garantira pas la réponse positive des chefs
d’Etat et de gouvernement le 17 décembre. Or, ils sont les seuls à
pouvoir trancher. Certains dirigeants (les premiers ministres
luxembourgeois et autrichien notamment) ont ouvertement affiché leur
peu d’enthousiasme, et la nouvelle Commission qui prendra ses
fonctions le 1er novembre est en retrait sur ce dossier par rapport à
la précédente.

Si la Commission livre une recommandation favorable, deux procédures
devraient être explicitement instaurées pour la première fois : lors
des négociations qui porteront cette fois sur l’intégration par la
Turquie de toutes les règles communautaires du marché et de
l’ensemble de la législation commune, tout restera ouvert jusqu’à la
fin. De même, les négociations pourront-elles être arrêtées à tout
moment. Une manière de laisser entendre que l’entrée de la Turquie
n’est pas acquise. Une entrée qu’il restera ensuite à faire admettre
aux pays membres qui devront la ratifier. Et l’on sait que, pour la
France, ce pourrait être par voie de référendum.

MARIE-FRANEUROISE MASSON

Les critères de Copenhague , un condensé de ce qui fonde l’Union
européenne.

· Copenhague, en 1993, les chefs d’Etat et de gouvernement avaient
fixé des critères que devait respecter tout pays candidat à l’Union
avant que ne s’ouvrent les négociations d’adhésion. Voici les deux
paragraphes clés :

L’adhésion requiert de la part du pays candidat qu’il ait des
institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du
droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur
protection, l’existence d’une économie de marché viable ainsi que la
capacité à faire face à la pression concurrentielle et aux forces du
marché à l’intérieur de l’Union. L’adhésion présuppose la capacité du
pays candidat à en assumer les obligations et notamment à souscrire
aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

La capacité de l’Union à assimiler de nouveaux membres tout en
maintenant l’élan de l’intégration constitue également un élément
important répondant à l’intérêt général aussi bien de l’Union que des
pays candidats.

Les frontieres de la peur

L’Humanité
5 octobre 2004

Les frontières de la peur;
Éditorial

par Pierre Laurent

* Plutôt que le débat souhaitable, tout est fait pour nourrir la peur
d’une entrée de la Turquie *

La confirmation que l’on se dirige vers l’ouverture de négociations
d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne provoque dans la droite
française une agitation aussi spectaculaire que malsaine. Alors que
ce dossier mérite réellement le débat, tout est fait pour en
brouiller les cartes, pour réveiller les peurs et nourrir amalgames
et confusions là où il faudrait au contraire saisir l’occasion de
travailler au rapprochement des peuples et à leur compréhension
mutuelle. Tentons de débrouiller quelques-unes des questions posées.
La première à laquelle il convient de répondre est celle de savoir si
le principe même de cette adhésion, indépendamment du résultat
éventuel des négociations qui la prépareraient, est acceptable ou
non. Ceux qui répondent « non » le font, comme François Bayrou hier
dans le Figaro, au nom de « la nature de l’Europe ». « La société
turque, ajoute le président de l’UDF, a sa propre identité très
éloignée des traits communs qui font l’identité européenne. » C’est
la conception d’une Europe blanche et chrétienne par nature, avec
toutes les dérives que cela peut engendrer. Dans le Wall Street
Journal, le premier ministre Jean-Pierre Raffarin n’y échappait pas
en osant déclarer : « Voulons-nous que le fleuve de l’islam ne
rejoigne le lit de laïcité ? » Outre que cette conception est
inacceptable au plan éthique, et totalement réductrice si l’on veut
bien examiner la réalité de l’histoire européenne, elle est
triplement dangereuse pour l’idée que l’on se fait de l’Europe :
accepter cet argument, c’est mettre le doigt dans la théorie du «
choc des civilisations » ; c’est entériner les pratiques
discriminatoires à l’égard de populations croissantes à l’intérieur
de l’Union ; c’est contredire le principe de la laïcité en
introduisant le critère religieux dans les valeurs de l’Union.
Le second refus de principe avancé par les adversaires de ces
négociations tient aux frontières, et au caractère « extra-européen »
de la Turquie. C’est un argument que l’histoire ne retient pas ; car
celle de la Turquie s’est toujours écrite tout à la fois au sein et
aux portes de l’Europe. De ce point de vue, une intégration réussie
de la Turquie ouvrirait utilement l’Europe vers tout le Moyen-Orient.
Quant à craindre une influence renforcée des États-Unis dans l’Union
avec l’arrivée de la Turquie, question qui mériterait au demeurant
d’être prise au sérieux, ce ne sont pas ceux qui plaident aujourd’hui
pour l’inscription de l’OTAN dans la constitution européenne qui
paraissent les mieux placés pour donner des leçons.
S’il convient donc d’écarter les rejets de principe proférés à
l’égard de la Turquie, il importe en même temps de mettre sous
surveillance les négociations qui seront conduites. D’une part, pour
veiller à ce que soient entendues et relayées les exigences des
démocrates turcs, qui veulent faire de ces négociations un levier
pour la démocratisation du pays. Les dossiers sont nombreux :
libertés, droits des femmes, respect de la laïcité, droits du peuple
kurde, reconnaissance du génocide arménien… D’autre part, parce que
les conditions économiques et sociales de cet élargissement doivent
être discutées. Laissera-t-on les élargissements successifs de
l’Union, celui-là après ceux vers l’Est, servir de bases arrière aux
stratégies de dumping social des grands groupes multinationaux ? Les
travailleurs turcs pas plus que ceux des pays actuels de l’Union n’y
ont intérêt.
Reste enfin la question du référendum revendiqué par l’UMP de Nicolas
Sarkozy. Si le principe d’une consultation populaire n’est pas en soi
illégitime, personne n’est dupe. Pour l’heure, les motivations sont
très politiciennes : donner des gages à un électorat de droite et
d’extrême droite hostile à cette entrée sur des bases peu
recommandables, et plus encore faire oublier une autre consultation
qui nous attend en 2005 et dont la droite craint par-dessus tout le
résultat : le référendum sur le projet de constitution.

From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress

Responsabilite des hebergeurs: la LCEN mise =?UNKNOWN?B?4A==?=l’epre

ZDNet France News
6 octobre 2004

Responsabilité des hébergeurs: la LCEN mise à l’épreuve judiciaire

Estelle Dumout, ZDNet France

Le consul de Turquie à Paris est assigné le 11 octobre pour
propagande négationniste sur internet par le Comité de défense de la
cause arménienne. L’hébergeur du site, Wanadoo, devra aussi rendre
des comptes pour n’avoir pas coupé l’accès au site.

Le Comité de défense de la cause arménienne (CDCA) fournit un cas
d’école parfait pour éprouver les dispositions de la loi pour dans la
confiance dans l’économie numérique (LCEN), relatives à la
responsabilité des hébergeurs de contenus internet.

Le CDCA a assigné le consul général de Turquie à Paris, Aydin Sezgin,
pour «propagande négationniste» sur le site officiel du consulat. Il
lui reproche d’avoir mis en ligne un document intitulé “Allégations
arméniennes et faits historiques”, accessible depuis la page
d’accueil du site. Il traite du génocide perpétré sur la population
arménienne en Turquie en 1915.

Selon le plaignant, il s’agit «d’un pamphlet à vocation clairement
négationniste, destiné aux internautes à la recherche d’informations
générales sur la Turquie. Il reprend la thèse développée, depuis de
longues années, par l’État turc, (…) avec une série d’arguments à
caractère pseudo-scientifique».

«La loi du 29 janvier 2001 reconnaît la réalité du génocide arménien
de 1915», explique à ZDNet Vartan Arzoumanian, responsable de la
communication du CDCA. «Nous avons donc dans un premier temps mis en
demeure le consul et l’hébergeur du site, Wanadoo, de retirer ce
texte». Le consul n’a pas donné suite à cette requête – et n’a pas pu
être joint par ZDNet.

Wanadoo attend une décision de justice pour couper l’accès au site

De son côté, la filiale de France Télécom a préféré jouer la
prudence: «Ils nous ont expliqué qu’ils s’en tiendraient à une
décision de justice, et qu’ils couperaient l’accès si un juge le leur
ordonnait», poursuit Vartan Arzoumanian. L’hébergeur est donc lui
aussi assigné, tout comme le consul, malgré son statut de diplomate.
«Nous avons estimé que, dans la logique des choses, l’hébergeur était
lui aussi responsable du contenu qu’il hébergeait», soutient le
représentant du CDCA.

La LCEN (adopté en mai dernier) précise que la responsabilité civile
et pénale des hébergeurs ne peut pas être engagée «s’ils n’avaient
pas effectivement connaissance du caractère illicite [des contenus]
(…) ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance,
elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre
l’accès impossible». Après coup, le Conseil constitutionnel avait
précisé qu’il fallait, pour que cet article s’applique, que le
contenu litigieux soit «manifestement illicite».

Les premières audiences se tiendront le 11 octobre devant le tribunal
de grande instance de Paris. Les juges devront déterminer si Wanadoo
a eu raison ou non d’attendre une notification émanant de l’autorité
judiciaire avant d’agir, un point crucial pour de nombreux tenants de
la liberté d’expression.

L’UE donne son feu vert a Ankara

Libération , France
6 octobre 2004

L’UE donne son feu vert à Ankara;
Evènement 2. Turquie

QUATREMER Jean

Pour la Commission, les négociations peuvent débuter. La décision
devra être prise par les chefs d’Etat et de gouvernement le 17
décembre.

Bruxelles de notre correspondant

La Turquie va pouvoir commencer ses négociations d’adhésion à l’Union
européenne. Dans une “recommandation” de huit pages, rédigée par le
commissaire à l’Elargissement, Günter Verheugen, et adoptée
aujourd’hui par la Commission, celle-ci estime que ce pays respecte
“suffisamment les critères politiques de Copenhague”, c’est-à-dire la
démocratie et les droits de l’homme, pour espérer pouvoir rejoindre,
à terme, les Vingt-Cinq. Un épais rapport de 187 pages, qui met
l’accent sur l’impressionnant paquet de réformes législatives lancé
par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan depuis deux ans, étaye
cet avis favorable. Enfin une “analyse d’impact”, demandée par le
Parlement européen, estime que l’Union ne pourra que sortir gagnante
de cet élargissement éventuel.

Malgré son analyse très positive des changements intervenus en
Turquie, la Commission se garde bien de recommander une date précise
pour l’ouverture des négociations : il reviendra aux chefs d’Etat et
de gouvernement des Vingt-Cinq d’en décider lors de leur sommet des
17 et 18 décembre. “Nous avons fait notre part du boulot”, dit-on à
la Commission : “A eux, qui ont tant souhaité que la Turquie adhère,
de décider si les négociations commenceront en 2005, ou après la
ratification du traité constitutionnel, ce qui nous renverrait à fin
2006, début 2007.” L’exécutif européen prend cependant soin de
préciser noir sur blanc, et c’est une première dans l’histoire de
l’élargissement, qu’il s’agit d’une “négociation dont l’issue reste
ouverte”.

La Commission a en effet prévu une “clause de suspension” des
négociations en cas de violation “sérieuse et répétée” des principes
de la démocratie et des droits de l’homme. Il reviendra au Conseil
des ministres d’en décider, à la majorité qualifiée, sur proposition
de la Commission. La Turquie sera aussi soumise à une évaluation
annuelle, à partir de 2005, afin de s’assurer que les réformes votées
sont effectivement appliquées. “La Croatie, qui commencera à négocier
début 2005, a droit au même traitement, même si son adhésion ne fait
guère de doutes”, insiste-t-on à la Commission, histoire qu’Ankara ne
crie pas aux deux poids, deux mesures… Et même si la Turquie ne
goûtera guère cette surveillance rapprochée, l’appréciation que porte
Bruxelles sur les progrès accomplis devrait faire plaisir au
gouvernement de l’AKP, qui voit salué son effort de modernisation.

Consensus. Mais la Commission prend soin de souligner qu’il y a loin
de la coupe aux lèvres : “Il faudra du temps avant que l’esprit des
réformes se retrouve dans le comportement des corps exécutifs et
judiciaires et à travers le pays.” De la torture dans les
commissariats, qui n’est plus “systématique”, aux violences faites
aux femmes, en passant par les discriminations dont font encore
l’objet les Kurdes ou la corruption, le rapport pointe les
dysfonctionnements de l’Etat de droit en Turquie. C’est pourquoi une
minorité de commissaires aurait aimé que l’exécutif européen se
montre plus dur.

Sans aller jusqu’à un rejet de cette candidature, souhaité par le
Néerlandais Frits Bolkestein ou l’Autrichien Franz Fischler, le
Français Pascal Lamy voulait que la recommandation indique que, en
cas d’échec des négociations, un “partenariat privilégié” pourrait
être proposé, afin de donner un signal politique clair de ce qui se
passerait au cas où Ankara ne jouerait pas le jeu. De même, la
reconnaissance du génocide arménien lui semblait une nécessité.
Enfin, il aurait voulu que la Commission réclame une augmentation du
budget communautaire afin de couvrir le coût de l’adhésion. Mais,
hormis l’Espagnole Loyola de Palacio, la Luxembourgeoise Viviane
Reding, le Chypriote Markos Kyprianou et le Slovaque Jan Figel, la
grande majorité du collège est favorable, sans états d’me, à
l’adhésion. Au pis, Romano Prodi, le président de la Commission,
n’obtiendra pas aujourd’hui le consensus qu’il souhaite afficher sur
la Turquie et devra procéder à un vote sur la recommandation pour
qu’elle soit adoptée.

Repasser le bébé. La Commission n’est pas fchée de repasser le bébé
aux chefs d’Etat et de gouvernement, qui ont précipité le mouvement.
Après avoir reconnu à la Turquie le statut de “pays candidat” en
décembre 1999, ce sont eux qui ont demandé à la Commission, en
décembre 2002, de préparer un rapport pour octobre 2004 afin de
décider si oui ou non l’élargissement à la Sublime Porte pouvait être
engagé. A l’époque, Verheugen et Prodi avaient protesté en vain, en
faisant valoir qu’il ne fallait pas se laisser enfermer dans des
délais trop serrés…

En France, la droite et la gauche sont de plus en plus reticentes

Les Echos , France
6 octobre 2004

En France, la droite et la gauche sont de plus en plus réticentes

CÉCILE CORNUDET

La question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne a cette
double particularité en France : elle divise profondément chaque
parti politique, de gauche ou de droite, et le nombre des réticents a
tendance à grimper à mesure qu’approche le référendum sur la
Constitution européenne. L’extrême droite et les souverainistes de
droite ont toujours été très hostiles à l’idée d’une Turquie
européenne, pour une question de culture et de religion
essentiellement. Or, depuis le printemps dernier, ils ont été
rejoints par la droite libérale et européenne. François Bayrou, le
président de l’UDF, a, le premier, pris ses distances au nom de l’«
homogénéité » de l’Europe, qui doit se renforcer avant de s’ouvrir à
nouveau. Fin avril, il a été rejoint par Alain Juppé, alors président
de l’UMP, soucieux d’ôter un thème de campagne aux souverainistes à
quelques semaines des européennes de juin dernier. Depuis, cette
prise de distances a fait tache d’huile, les responsables UMP
craignant que la peur suscitée par la Turquie ne conduise les
Français à voter « non » au référendum sur la Constitution
européenne. Aujourd’hui, la quasi-totalité de l’UMP est contre
l’entrée de la Turquie, que ce soit pour des raisons culturelles – «
Voulons-nous que le fleuve de l’islam rejoigne le lit de la laïcité ?
», s’est interrogé Jean-Pierre Raffarin il y a dix jours – ou plus
généralement pour des raisons démographiques et politiques : « Avec
100 millions d’habitants, elle deviendrait le premier pays d’Europe
en poids politique », rappelle Nicolas Sarkozy.

Chirac, une exception de taille

Cette unanimité souffre toutefois d’une exception de taille. Jacques
Chirac est, par solidarité avec l’Allemagne, favorable à l’ouverture
de négociations avec Ankara, tout comme son ministre des Affaires
étrangères, Michel Barnier. D’où la solution de compromis proposée la
semaine dernière par le président de la République : un référendum
sur l’entrée de la Turquie à l’issue d’un long processus de
négociations d’une dizaine d’années.

La gauche, elle, est plus partagée, mais plus les semaines avancent,
plus le camp du « non » à l’entrée de la Turquie se renforce. Au
printemps dernier, le PS ironisait encore sur les divergences entre
l’UMP et le chef de l’Etat. Aujourd’hui, il est nettement plus
discret. Il est vrai que les partisans du « non » à la Constitution
sont tous contre l’entrée de la Turquie, y compris Laurent Fabius,
qui estime que « l’UE n’est pas en situation de l’accueillir ». Du
coup, les partisans du « oui » à la Constitution commencent, eux
aussi, à s’inquiéter. François Hollande fixe des conditions à
l’entrée de la Turquie, en matière de droits de l’homme et de
reconnaissance du génocide arménien. Pierre Moscovici, responsable du
PS pour les questions européennes, de plus en plus prudent, parle de
« mariage de raison », alors qu’il estimait il y a encore peu que le
devoir de l’Europe était de défendre l’islam modéré en intégrant la
Turquie. Quant à Ségolène Royal, elle renvoie désormais la question
aux calendes… grecques et plaide pour un statut d’« Etat associé »
avec l’Europe.

Jeux de role euro-turcs

Les Echos , France
7 octobre 2004

Jeux de rôle euro-turcs

PAR FRANÇOISE CROUÏGNEAU

L’Union européenne et la Turquie s’adonnent décidément à un curieux
jeu de rôle. En multipliant les garde-fous tout au long des
négociations d’adhésion, au cas où les Vingt-Cinq entérineraient, en
décembre, son prudent feu vert, le rapport de la Commission tient du
« sans doute si ». Auquel Recep Tayyip Erdogan répond « bien sûr mais
»… : en exigeant de ne pas se voir infliger un traitement différent
de celui des précédents candidats à l’Union, le chef du gouvernement
pousse son avantage, ce qui est bien naturel. Il cherche aussi à
calmer l’inquiétude des eurosceptiques turcs, qui reculent à l’idée
de devoir un jour abandonner des pans de souveraineté. Ce n’est pas
un hasard si, dans son pays, le Premier ministre parle plus
volontiers des « critères d’Ankara » que des « critères de Copenhague
». Après des décennies d’atermoiements, tout se passe en fait comme
si chacun jouait la dynamique de l’adhésion sans forcément vouloir en
assumer l’aboutissement.

C’est vrai de la Turquie. L’AKP au pouvoir a réussi un tour de force
en jouant d’un double aiguillon. Celui du FMI, qui lui a permis de
faire souffler un vent de libéralisme et d’imposer une politique
désinflationniste porteuse de crédibilité et de modernisation. Et
celui de l’Europe, pour faire passer le pays du droit de l’Etat à un
Etat de droit. Cette révolution silencieuse est loin d’être terminée.
Le lourd chapitre des droits de l’homme et des femmes, des minorités
kurdes ou du génocide arménien est là pour le rappeler. Et on peut
s’interroger sur la volonté d’un grand pays encore pauvre mais fier
de son passé, au point de refuser d’être un simple jouet dans les
mains de la superpuissance américaine, de se fondre dans l’aventure
européenne.

C’est vrai surtout de l’Union, qui semble courir vers un avenir
qu’elle n’a pas encore défini. A vingt-cinq encore moins qu’à quinze.
La polémique qui enfle autour du dossier turc est révélatrice de ses
faiblesses. Au-delà des arrière-pensées multiples que cachent les
débats sur l’entrée d’un pays jugé selon les cas trop vaste, trop
pauvre, trop excentré, trop musulman, au-delà des interrogations sur
son poids dans les prises de décision d’une Europe où il se
retrouverait à égalité avec l’Allemagne, le dossier turc constitue un
test de maturité de l’Union. Après l’avoir trop longtemps esquivé, le
temps est venu de décider de ses limites géographiques pour en finir
avec ce vieux syndrome selon lequel nul pays ne veut prendre le
risque d’être l’ultime frontière. Et de faire preuve non plus de
suivisme mais d’innovation. Pour éviter, en cas de blocage en
décembre prochain ou au fil des années à venir, d’avoir à improviser,
une fois de plus. Dans la précipitation.

Le “baroud d’honneur” de Pascal Lamy

Le Figaro, France
07 octobre 2004

Le « baroud d’honneur » de Pascal Lamy

Alexandrine BOUILHET

Le débat sur la Turquie au sein de la Commission, hier, a mis en
évidence le particularisme français. Dans un collège majoritairement
acquis à la cause turque, les deux Français Pascal Lamy et Jacques
Barrot ont été mis sur la touche. Le plus isolé de tous était le
commissaire Pascal Lamy, l’un des seuls, au collège, à considérer que
la Turquie n’était « pas encore prête » à ouvrir les négociations
d’adhésion avec Bruxelles. L’un des seuls à estimer qu’il fallait
encore laisser la porte ouverte à un « partenariat privilégié ». Le
seul enfin à vouloir poser comme précondition d’adhésion la
reconnaissance du génocide arménien par Ankara. « On a tous été très
étonnés par son attitude. Il a posé de telles conditions qu’il
semblait clairement opposé à l’ouverture des négociations avec
Ankara, raconte l’un de ses collègues. Jacques Barrot avait aussi des
réticences, mais ses demandes étaient plus raisonnables. Sur le fond
de la recommandation, il était d’accord, car elle correspond tout à
fait à la ligne Chirac. »

En cinq ans, la Commission Prodi avait fini par s’habituer à cette
forme de cohabitation française au sein du collège, mais le baroud
d’honneur de Pascal Lamy, l’un des commissaires les plus respectés de
l’équipe sortante, n’est pas passé inaperçu. « Que se passe-t-il avec
Lamy ? Il est sur quelle ligne ? Fabius ou Hollande ? On n’y comprend
plus rien… », demandaient ses collègues, un peu perdus dans les
méandres de la politique française. Ce mystère ne lui déplaît pas.
Socialiste, mais libéral, favorable à la Constitution, mais hostile à
l’entrée de la Turquie, le « cerveau » Pascal Lamy apparaît de plus
en plus « inclassable » politiquement. Commissaire sortant, il quitte
ses fonctions le 1er novembre, laissant à Jacques Barrot le prochain
siège français dans l’équipe Barroso. A Bruxelles, Pascal Lamy reste
très discret sur ses intentions futures.

Ses positions iconoclastes compliquent son éventuel retour sur la
scène intérieure française, même s’il a gardé de solides liens avec
Lionel Jospin. Son ambition comme son profil le portent davantage
vers des organismes internationaux, de type OMC, FMI ou ONU, mais de
tels postes requièrent l’aval de l’Elysée, une hypothèse plus
compromise que jamais.