Arménie : Quand Bruxelles et Moscou tirent les leçons du Maïdan

Le Courrier de Russie
29 déc. 2017
Arménie : Quand Bruxelles et Moscou tirent les leçons du Maïdan
Guevorg Mirzayan | 29 décembre 2017

Le 24 novembre dernier, l’Union européenne (UE) signait avec Erevan un accord de partenariat complet et renforcé. Pour Guevorg Mirzayan, chercheur en sciences politiques et contributeur de la revue Expert, cet accord, à la différence de ceux conclus auparavant avec la Géorgie et l’Ukraine, prend en compte les intérêts stratégiques de la Russie.

En quoi cet accord est-il si crucial ? Avec lui, l’UE court plusieurs lièvres à la fois. Et la plupart de ces lièvres ne sont pas arméniens, mais russes.
En incorporant davantage l’Arménie à son Partenariat oriental, Bruxelles voulait prouver à tous les sceptiques que (…) l’intégration européenne pouvait encore être attractive, même pour des pays impliqués dans des processus d’intégration alternatifs tel que l’Union eurasiatique. Cet objectif a été atteint. Lors de la signature, les responsables arméniens ont fait un éloge appuyé de l’Europe et de son projet : « Ce document est une base juridique solide pour le renforcement du dialogue politique et l’élargissement de la coopération économique, a ainsi déclaré le ministre arménien des Affaires étrangères, Édouard Nalbandian. Le diplomate souhaite par ailleurs un approfondissement des relations avec l’UE dans tous les domaines. »

Avant une réunion du conseil suprême de l’Union eurasiatique, constitué des 5 présidents des pays membres. Crédits : kremlin.ru

Mais Bruxelles n’était pas venue chercher que des compliments. Par cet accord, l’UE marque aussi son soutien à ses partisans à l’intérieur de l’Arménie. Il n’est un secret pour personne que l’Europe souhaite depuis longtemps arracher Erevan aux griffes de la Russie et priver cette dernière de son dernier allié dans le Caucase du Sud. Les conditions actuelles sont idéales pour y parvenir, les relations russo-arméniennes n’étant pas au beau fixe. Et, pour le bonheur de l’UE, cette brouille n’est pas de circonstance, mais liée au refus d’une partie de la société arménienne d’accepter les réalités de l’alliance avec la Russie.
Si, d’un point de vue juridique, les relations entre la Russie et l’Arménie s’établissent sur un pied d’égalité, elles ne le seront jamais sur le plan politique. Tout simplement parce que les deux pays et leurs dirigeants n’ont absolument pas le même poids, la même dimension. Par ailleurs, une partie des Arméniens – encouragés par des activistes trop avides de financements européens – ne comprennent sincèrement pas comment la Russie, leur alliée stratégique, peut encore entretenir des relations avec l’Azerbaïdjan, leur ennemi juré.

Dmitry Medvedev pendant une visite officielle en Azerbaïdjan, avec le président Ilham Aliyev. Crédits : kremlin.ru

Ils ne comprennent pas non plus comment Moscou peut continuer à vendre à Bakou des armes qui, à leurs yeux, ne serviront qu’à tuer des petits gars arméniens. Ce que ces gens oublient toutefois, c’est qu’il n’existe aucun embargo sur les ventes d’armes à l’Azerbaïdjan. Le fait que Bakou achète des armes russes – plutôt que turques [autre ennemi juré] – réduit en réalité, de façon significative, le risque de reprise d’une guerre ouverte entre les deux pays. Une guerre qui tuerait incomparablement plus de petits gars arméniens. Mais c’est bien connu : le cœur a ses raisons…
Ce nouvel accord de partenariat renforcé vise donc à consolider la position des arméniens pro-européens, mais aussi à donner à la population arménienne dans son ensemble l’espoir que l’UE parviendra – elle au moins – à changer les choses. Concrètement, il oblige Erevan à mener les réformes systémiques nécessaires et à transformer ce qui est aujourd’hui une oligarchie en un pays au développement démocratique normal.
L’opposition arménienne (notamment celle qui appelle à sortir de l’intégration eurasiatique) promet d’ailleurs de veiller attentivement à ce que le pouvoir respecte ses obligations contractées dans le cadre de l’accord, et en particulier, la conduite d’une réforme du système judiciaire.

Les ambitions européennes de l’Arménie ne réjouissent évidemment pas la Russie. Mais le Kremlin sait que la signature de cet accord – à la différence de ce qui s’est passé en Ukraine – n’entraînera ni une réorientation de la politique étrangère arménienne ni l’engagement d’Erevan dans le camp européen antirusse. L’Arménie ne peut tout simplement pas se permettre une telle lubie. L’Europe n’est pas en mesure de garantir sa sécurité face aux États turciques voisins [Azerbaïdjan et Turquie], alors que la Russie en est capable. À vrai dire, elle seule le peut, et elle le fait, autant sur le plan militaire, par le biais de ses bases implantées en Arménie, que sur le plan politique, en faisant comprendre à l’Azerbaïdjan les conséquences potentielles d’une reprise de la guerre.
C’est ce qui explique qu’Erevan, de son côté, fasse tout son possible pour que l’accord avec l’UE ne nuise ni aux intérêts de la Russie ni à ceux de l’Union eurasiatique. Par exemple, à la différence du projet d’accord soumis par Bruxelles à l’Arménie en 2013, le document signé en novembre ne contient aucune allusion à une Zone de libre-échange avec l’UE.
Par cet accord, l’Arménie veut simplement diversifier ses relations politiques à l’étranger et les développer selon le principe du « et-et » plutôt que du « ou-ou ». Erevan veut être en mesure de développer des relations fortes avec l’Europe et son marché (qui, au premier semestre 2017, représentait un tiers de ses exportations et environ la moitié de ses importations) tout en préservant son alliance stratégique avec Moscou. Un scénario qui n’a rien de terrible ni de séditieux, et qui ne présente, au contraire, que des avantages et des opportunités.
L’avantage le plus évident est la possibilité de laisser croire aux quelques fières têtes brûlées arméniennes que leur pays est libre de choisir ses partenaires politiques étrangers. Les Arméniens se sentiront moins déshonorés et offenses.