Antoine Agoudjian : Sur Les Chemins De L’identite Armenienne

ANTOINE AGOUDJIAN : SUR LES CHEMINS DE L’IDENTITE ARMENIENNE

Publié le : 21-04-2015

Info Collectif VAN – – Le Collectif VAN vous
invite a lire cet article paru sur le site Repair le 16 avril 2015.

Repair

Le jeudi 16 avril 2015

Sur les chemins de l’identité arménienne

Antoine Agoudjian, Photographe francais

Né en France, en 1961, Antoine Agoudjian est le petit-fils de
rescapés du génocide des Arméniens. Ã~@ la fin des années 80, il
séjourne en Arménie afin de venir en aide aux victimes du séisme de
1988 dont l’épicentre se trouve a Spitak, dans le nord du pays. En
1996, a Istanbul, il éprouve le besoin irrépressible de se lancer
a la recherche des Arméniens sur cette terre historique. Ses voyages
le mèneront dans toutes les communautés arméniennes disséminées
au Moyen-Orient, mais aussi sur les chemins de la déportation et
des massacres, de l’ouest de la Turquie jusqu’aux déserts syriens
de Deir ez-Zor, a la recherche d’une mémoire niée, refoulée,
mais pas totalement effacée. En mars 2015, a paru ” Le cri du
silence. Traces d’une mémoire arménienne ”, un ouvrage réunissant
27 ans de photographies. Un travail qu’il expose actuellement un peu
partout en France, mais aussi et surtout a Diyarbakir a l’occasion
du centenaire du génocide arménien. Un ” évènement historique,
politique et artistique ”.

REPAIR: En tant qu’Arménien de la diaspora vivant en France, comment
définiriez-vous votre identité ?

Antoine Agoudjian : Selon moi, l’identité arménienne est plurielle
de par notre histoire. Il est certes incontournable de dire que
je suis né en France, mais il y a plusieurs singularités dans
mon histoire. La première c’est que je suis issu de la troisième
génération. Ã~@ mon époque, le Mur existait encore et il n’y avait
pas d’accès a la terre puisque, dans les années 80, il était
impossible de se rendre en Turquie. Le simple fait de prononcer
le mot ” arménien ” la-bas, il était déja trop tard. Cette
génération a donc véhiculé toute une identité a travers
un imaginaire. Imaginaire exacerbé par la culture arménienne,
par la danse – j’ai dansé dès l’âge de cinq ans dans les troupes
folkloriques arméniennes. Tout cela dans un ” village ”, Alfortville
(Ndlr dans la banlieue parisienne), où les Arméniens étaient
très présents et avaient leur vie autour du football, de l’UGA,
autour des troupes folkloriques… C’était une vie de village avec
une identité arménienne car on était aussi en contact avec les
rescapés du Génocide dont mes grands-parents faisaient partie.

Qu’est-ce que l’identité arménienne selon vous ?

Pour moi, l’identité arménienne est vraiment liée a la culture,
au fait que les Arméniens n’étaient pas simplement un peuple
qu’on a exterminé, mais une civilisation avec littérature, opéra,
écriture…

Avec une mémoire turque qui a décidé délibérément d’effacer les
Arméniens de son histoire. L’identité arménienne, selon moi, c’est
d’aimer profondément cet héritage que l’on nous a transmis. On a
tendance a penser que certains Arméniens sont de meilleurs Arméniens,
soit parce qu’ils parlent mieux la langue que nous, soit parce qu’ils
ont une activité qui les met en phase directe avec leurs origines.

Mais je crois que l’identité c’est un peu comme un ami : malgré ses
défauts, malgré ces multitudes de choses sur lesquels on pourrait le
critiquer, on est attaché affectivement a cette personne. Pour moi,
quoi qu’il en soit, même si on n’appartient pas a une civilisation,
a une nation qui est parfaite, je l’aime malgré tout et envers et
contre tout. J’ai toujours été attaché a mes origines, a la culture
de mon peuple, a son histoire.

Le tremblement de terre en Arménie vous a beaucoup affecté.

Voir comme ca a la télévision un petit pays a plat ventre
c’était pour moi le prolongement du génocide ; c’était la
disparition. Je l’ai vraiment vécu ainsi. Le seul sanctuaire où
il y avait des Arméniens était détruit et j’ai pensé : ca y
est on va disparaître. Et tout mon travail a commencé a partir de
la finalement.

Vous êtes donc partis en Arménie — en tant qu’interprète notamment
— et vous dites y avoir retrouvé des visages familiers, des ambiances
que vos grands-parents avaient évoqués dans leurs souvenirs. Ce
n’est pourtant pas le cas de tous ceux qui ont effectué le voyage.

Certains ont trop idéalisé ce pays et beaucoup de gens reviennent
d’Arménie décus. Et je crois qu’ils partent déja avec cette volonté
la. Moi je n’ai jamais été. Car, bien que je sois dans une quête
d’idéal, je n’ai pas envie d’accepter les gens autrement que ce qu’ils
sont. On n’a pas a demander a des gens d’être au niveau de ses propres
projections et fantasmes. Il ne faut pas oublier qu’historiquement,
les Arméniens d’Arménie sont les premiers durant la Perestroïka
a avoir eu des revendications exprimées pacifiquement par rapport
aux erreurs de Staline — la réponse de Bakou furent les massacres
de Sumgaït — ; qu’avant les pays Baltes ils ont manifesté pour le
rattachement du Karabakh a l’Arménie. Il ne faut pas oublier non
plus que dans les années 50-60 ils ont été les premiers a crier
les mains en l’air : ” Nos terres, nos terres, nos terres ! ” ;
que les Arméniens d’Arménie avaient durant le Bolchevisme un statut
particulier par rapport a leur religion… Il ne faut pas considérer
ces gens la comme des niais, comme des gens matérialistes. Non. Il
faut savoir que politiquement, ce sont des gens qui ont été très
présents dans la réalité politique de cette sphère géographique
et qu’ils méritent, au moins pour ca, le respect.

D’autre part, on est dans un pays où le voleur est arménien, le
policier est arménien, l’avocat est arménien, la prostituée est
arménienne… donc il faut arrêter d’idéaliser un pays qui est comme
tous les autres, où il y a le meilleur comme le pire. Maintenant,
pour qui a un regard romantique et poétique sur ses origines, il y a
vraiment de quoi s’inspirer ! Ce n’est pas étonnant que Paradjanov
soit arménien. Ce n’est pas étonnant que cette Ã…”uvre unique au
monde ait été faite par un Arménien car il y a vraiment beaucoup de
romantisme, de symbolisme chez eux. Que les gens qui vont en Arménie
voyagent un petit peu. Qu’ils aillent au Zanguezour, a Dilijan au
Nord, au Djavahk (Ndlr région arménienne du sud de la Géorgie),
au Karabagh. Et qu’ils rencontrent les Arméniens simples, les gens
comme nous. Ce sont des gens qui sont érudits. Même le paysan est
érudit en Arménie. On peut parler de tout avec lui. Il faut arrêter
d’idéaliser des gens qui sont comme tout le monde… Moi je reconnais
mes grands-parents dans ces gens-la.

En tant que Francais d’origine arménienne, comment percevez-vous
les Arméniens de Turquie ?

Comme les Arméniens d’Arménie, ils sont en phase avec une réalité
qui est la leur et qui n’est pas la nôtre. Et ils agissent selon les
paramètres avec lesquels ils doivent affronter la vie quotidiennement.

Ils sont dans un système qui n’est pas en faveur de la liberté
d’expression. On peut voir qu’a ce niveau-la, tout s’est durci. Il y a
beaucoup de censure et d’autocensure, notamment au niveau des médias.

Les Arméniens de Turquie font donc avec ce qu’ils peuvent en
confrontation directe avec les conséquences de leurs prises de
positions. Chacun est dans une réalité qui le met en confrontation
avec ses peurs. La peur du jour au lendemain de risquer un procès,
de risquer d’être stigmatisé…

Personnellement je les vois comme des gens énormément en
mouvement. Il y a une émulation incroyable. Avec tous ces Arméniens
convertis, comme a Diyarbakir, qui vivent une réalité arménienne
qui nous dépasse. On ne peut pas imaginer ici de France. Je pense
que tout comme la diaspora arménienne a été dépassée par ce qu’il
s’est produit en Arménie, elle sera dépassée par ce qu’il se passe
en Turquie. Parce qu’il y a la quotidienneté dans la réalité des
Arméniens de Turquie et d’Arménie. Ils vivent leur arménité au
quotidien, ils sont en phase avec leur réalité d’Arméniens. Et
ca change tout par rapport a la France ou les Ã~Itats Unis où
l’arménité est une arménité intellectuelle. Cela n’enlève en rien
a la qualité de l’investissement, mais c’est quelque chose qui est un
plus par rapport a ce qu’ils vivent dans leur quotidien. D’autant que
les Arméniens dans ces pays-la sont très appréciés, ils ne sont
pas stigmatisés comme certaines communautés dans d’autres pays. Moi
quand je vais en Turquie, c’est le seul pays dans le monde où je
porte une étoile jaune. Il faut que je fasse attention avec qui
je parle, ce que je dis, a qui je le dis. Ã~Itant pourtant Francais
cette réalité je ne l’a vis nulle part ailleurs.

Il y a peu de temps encore, dire que l’on était Arménien était
périlleux en Turquie…

J’ai commencé a travailler en Turquie en 96. Aujourd’hui c’est
différent. Beaucoup d’Arméniens expriment leur identité. Mais j’ai
connu une époque où ca se passait a peine dans les regards. J’ai
par exemple rencontré plusieurs personnes dont je n’étais toujours
pas sÔr en les quittant s’ils étaient Arméniens, mais pour
lesquels je me suis dit : cette personne ne m’a pas regardé d’une
facon normale. Elle m’a regardé avec beaucoup d’affection et de
bienveillance et je pense qu’il est Arménien. C’est comme cela que
ca se passait pendant très longtemps.

Quel est le rôle de Hrant Dink dans ce changement selon vous ?

C’est vrai qu’il y a eu un avant et un après Hrant Dink, quelque
chose qui a engendré un séisme terrible dans le psychisme des
gens. En fait, le projet qu’il aurait mis toute une vie a pouvoir
faire comprendre — y compris aux Arméniens — a été accéléré
et exacerbé par son décès.

Tout ce qu’il a mis sur pied a pris la direction qu’il voulait :
c’est-a dire créer un pont. Comme je l’ai dit, on va très vite
être dépassé par ce qui va se passer en Turquie. Ces Arméniens
musulmans qui revendiquent une identité arménienne, ces conversions
d’Arméniens, même s’il n’y en a pas beaucoup, le mouvement politique
a travers le journal Agos et les intellectuels turcs…

Ã~@ propos des intellectuels turcs justement, que pensez-vous de ceux
qui sont du côté des Arméniens ?

Ils font ce qu’ils peuvent. Eux aussi ont le droit d’avoir peur. On
est dans un pays où malheureusement les problèmes ont toujours été
résolus de la même facon. Toujours. Je pense a Sevag Balıkcı,
Hrant Dink et bien d’autres. Il y a des raisons d’avoir peur et quand
il s’agit de ta vie… le courage n’existe pas, il s’agit seulement
de tes convictions qui te font mener un projet et que tu es obligé
de mener a terme. Certains intellectuels sont entrés dans la logique
de faire de ce pays une démocratie et pour le devenir le problème
arménien est incontournable car cette République s’est créée sur
le massacre et l’extermination des Arméniens.

Les identités arménienne et turque sont liées par la force des
choses finalement…

Le drame du génocide a éloigné des gens qui sont très proches
finalement. On a la même histoire, une qui est fausse et une autre qui
est juste. On mange et on aime nos enfants de la même facon… tout
comme avec les Kurdes. Nous sommes très liés a eux. Plus que les
Allemands pouvaient l’être avec les Juifs d’une certaine facon, car
nous sommes vraiment issus de cette terre. Donc évidemment notre
identité est très liée a l’identité turque et vice-versa. Leur
histoire est intimement liée a celle des Arméniens qui, pour eux,
étaient des bienfaiteurs. Et ils les ont trahis pour un projet fou
et démoniaque.

Vous dites que la diaspora est ou va être dépassée par ce qu’il
se passe en Turquie. Cela signifierait-il qu’elle est resté figée
dans quelque chose, dans un traumatisme impossible a dépasser ?

Je pense que c’est bien d’avoir du recul, cette distance qui
permet aussi d’avoir un regard serein sur la situation, d’avoir des
revendications sans complaisance. Cela ne me dérange pas que certains
mouvements politiques aient des revendications exigeantes et il n’y a
que le recul qui permet de faire cela. Simplement, je pense que tous
ceux qui restent uniquement dans l’héritage que leur ont transmis les
rescapés du génocide ont une vision qui n’est pas très juste de
ce qui s’est passé en Turquie. La-bas, beaucoup de gens ont sauvé
des Arméniens… Ce que je veux dire par la c’est qu’uniformiser le
visage des Turcs, refuser d’avoir des liens avec eux en considérant
qu’il faut d’abord une reconnaissance, je pense que c’est une erreur
car la reconnaissance va venir de ce pays et que si celui-ci ne change
pas il n’y en aura tout simplement pas. Et pour qu’il change il faut
accompagner ce bouleversement et donc être sur place. Cela se produit,
a travers des historiens comme Kévorkian, ou des intellectuels et
historiens comme Taner Akcam… Il y a une ouverture claire en Turquie.

En donnant un visage humain a ce pays, on parvient a ne pas
voir le Turc uniquement comme le responsable de ce traumatisme,
de cet héritage lourd qui forcément engendre des traumatismes
psychologiques terribles. Ce qui se passe en Syrie, les égorgements,
les éventrements, les viols, ce que les gens découvrent a travers
Daesh aujourd’hui, moi, tout petit je l’ai entendu et j’ai mis des
images dessus. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai cherché a exorciser
cet héritage a travers des images. C’était lourd pour moi. Ceux qui
veulent rester la-dessus vont nourrir ce traumatisme qu’ils ont en eux.

Quid des Arméniens de France ? On les dit divisés, désorganisés.

Certains descendants d’Arméniens de Turquie semblent voir d’un
mauvais Ã…”il les communautés venues du Moyen Orient ou d’Arménie…

Ma génération a connu une époque où l’on pensait vraiment que
l’on allait disparaître, où la police nous chargeaient pendant les
manifestations, où l’on était traités comme des moins que rien Je
pense qu’aujourd’hui cette communauté est en phase d’organisation,
avec des imperfections. Mais aujourd’hui on le voit a travers la
loi en 2001 de reconnaissance du Génocide par la France et les
discussions qu’il peut y avoir, cette communauté existe et est
prise en considération. Et ce, avec très peu de moyens. Je suis
plutôt optimiste. La communauté arménienne est parvenue a obtenir
des victoires factuelles. Maintenant, concernant les différentes
communautés qui viennent a la faveur ou a la défaveur d’évènements
tragiques comme les guerres, la révolution islamique en Iran, la
guerre au Liban ou en Syrie, la chute du Mur… on peut toujours
transformer les différences en oppositions, mais on peut aussi
les transformer en rencontres. Par exemple, les Arméniens du Liban
quand ils sont arrivés en France, me permettaient de m’améliorer
en arménien, j’avais accès grâce a eux a une culture arménienne
élaborée car avant la guerre le Liban était le phare de la culture
arménienne.

Pour les Arméniens de Syrie, c’est pareil. Il y a des Arméniens
qui sont sources d’enrichissement, d’autres de problèmes, comme dans
toutes les communautés.

Depuis quelques années on assiste a un réveil des identités en
Turquie. Kurdes, Alévis, Arméniens, etc., revendiquent une identité
différente…

Bien sÔr, les Turcs ont 42 groupes ethniques a gérer. Eux qui veulent
faire croire qu’ils étaient les premiers et qu’il n’y a qu’une nation,
c’est ridicule. C’est un peu une boîte de Pandore pour eux. D’autant
plus qu’ils ont fait souffrir ces gens-la depuis des décennies et que
forcément la démocratie va faire ressurgir tous les ressentiments.

Avec des revendications évidentes, des réparations, des
procès… C’est normal. Et cela, tout simplement parce qu’ils ont
vécu des années de plomb dans les années 80. Quand je me balade
dans Diyarbakir avec des anciens, ils se retournent toujours en
marchant. Quand je leur demande pourquoi, ils me répondent que
durant ces années-la le simple fait de parler kurde les menait en
prison. Aujourd’hui quand ces gens qui ont eu peur ont le sentiment
qu’ils peuvent s’exprimer, forcément ils ont du ressentiment. Ils ne
veulent pas se reconnaître dans une nation qui est une fiction et qui
leur propose un projet démagogique où ils ne sont pas reconnus. Eux
ne se sentent pas Turcs et sont accueillis comme des citoyens de
seconde zone. Tout est fait pour stigmatiser les gens dans ce pays.

Une mini-bataille sémantique a lieu parfois pour savoir s’il est
préférable d’utiliser le terme d’ ” Arméniens islamisés ”
plutôt que d’ ” Arméniens musulmans ”. Qu’en pensez-vous ?

C’est vrai qu’il y a eu toutes conversions forcées et arbitraires
pendant le génocide, mais j’ai aussi beaucoup de copains qui me
disent se sentir bien en tant que musulmans. Il est hors de question
pour eux de faire un retour en arrière. Ils se disent Arméniens,
mais n’ont pas envie qu’on les ennuie avec leur religion. Aujourd’hui
je pense que c’est un fait, qu’il y a des Arméniens musulmans et
qu’ils vont le rester. Je pense que les Arméniens islamisés ou
musulmans ont un véritable problème, c’est celui de leur véritable
héritage arménien.

J’ai le sentiment qu’ils ont construit quelque chose de nouveau
dans lequel ils se sentent bien, mais que quelque part ils font
abstraction totale de cet héritage qui est arménien. C’est a nous
de nous habituer a cela. C’est pour cela que je dis Arménien musulman
au lieu d’ ” islamisé ”.

Jusqu’a présent on a expliqué aux Arméniens qu’ils ont été
exterminés pour ce qu’ils étaient et aujourd’hui qu’ils veulent
exister de nouveau on leur explique qu’il y en a d’autres, différents,
qui sont de religion musulmane… tout cela est très violent et
pour pouvoir vivre sainement tout ca il faut énormément de recul
et de confiance.

Les Arméniens ont tellement peur d’être dissous, absorbés, d’être
changés… mais il faut quand même se dire ceci : lorsqu’on ne peut
pas éviter quelque chose alors il faut l’embrasser. Cela ne veut
pas dire qu’il faut soustraire les Arméniens musulmans/islamisés
a la question : où est votre culture et l’héritage de votre culture ?

Cent ans après le génocide, les Arméniens luttent encore pour
la reconnaissance de leur identité et de la tragédie qui a été
la leur.

Pourquoi cette persévérance ?

Les Arméniens sont des gens qui luttent. Même au Dersim, on a
dit que ce sont les Arméniens convertis a l’alévisme qui ont
lutté. On dit la même chose en ce qui concerne le PKK. Je crois
que les Arméniens ont bien ancré en eux le germe de la révolte,
c’est quelque chose qui s’est transmis. Et les Arméniens convertis
a l’alévisme dans les années 30 savaient très bien ce que le
gouvernement turc voulait faire. Les Arméniens sont un peuple qui a
toujours été stigmatisé donc il a cette réaction de révolte et
de combat contre l’injustice. Pour moi le mouvement de résistance
arménien ne s’est pas arrêté après 1915, il a continué et a pris
un autre visage. Ils ont été disséminés en tant qu’ethnie et ne
combattaient pas en tant qu’Arméniens, mais ceux qui sont entrés
dans les mouvements marxistes-léninistes ou maoïstes des années
70 en Turquie ont été les héritiers d’Antranik (Fedayin et Héros
National arménien 1866-1927) et de tous ces résistants arméniens.

Le mythe du ” bon Arménien ”, bien intégré, voire assimilé,
et ne faisant pas de vagues est donc a revoir selon vous ?

Je ne pense pas que les Arméniens soient dans le consensus car ils
ont toujours été proches de leurs combats et de leur cause qui est
universelle. Mais surtout, ils sont plutôt dans la construction,
la reconstruction. Je pense que les Arméniens n’ont eu de cesse que
de reconstruire ce que d’autres ont détruit. C’est peut-être un
héritage intellectuel…

Finalement, qu’est-ce qui relie les Arméniens entre eux ? Vous qui
avez côtoyé toutes les différentes communautés, y-a-t-il un trait
commun a tous les Arméniens ?

J’ai beaucoup voyagé au Moyen Orient et ailleurs et je pense
sincèrement et sans démagogie ni chauvinisme que les Arméniens sont
un peuple particulier. C’est un peuple un peu fellinien. Ils ont un
côté un peu barré qui les rend charmants, séduisants. Tu assistes
a des scènes incroyables quand tu vas en Arménie ou en Turquie ! Les
Arméniens sont des gens marrants, poétiques. C’est ce côté-la qui
me plaît chez eux. Aussi, je n’ai pas envie qu’on interprète mal ce
que je vais dire, mais je trouve qu’ils ont un visage particulier. Pas
tous bien entendu ! mais par exemple dans le Dersim, le plus souvent,
j’ai trouvé qu’ils avaient une vraie singularité que d’ailleurs les
villageois les percoivent aussi comme tel. Et puis il y a cet héritage
du génocide… Le propre des familles arméniennes c’est qu’elles ont
toutes la même histoire. Ce qui lie une famille c’est d’appartenir
a un arbre généalogique et ce qui unit tous les Arméniens dans le
monde c’est le fait de participer a une histoire terrible. Après, que
fait-on de tout ca ? Faut-il cultiver le ressentiment ? Au contraire.

Encore une fois, les Arméniens ont toujours reconstruit ce qui a
été détruit. Je pense qu’il faut avoir de la distance par rapport
au combat que l’on mène et qu’il faut être du côté de la vie. Il
faut cultiver la vie.

Lire aussi :

“Le cri du silence – Traces d’une mémoire arménienne” par Antoine
Agoudjian

Source/Lien : Repair

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