Aznavour: "Missak et Mélinée Manouchian étaient des amis intimes"

l’Humanité, France
21 fev 2014

Charles Aznavour: “Missak et Mélinée Manouchian étaient des amis intimes”

Dans le nouveau hors-série de l’Humanité consacré aux 70 ans de
l’Affiche rouge et au groupe Manouchian, le chanteur nous raconte les
liens étroits qui unissaient Missak et Mélinée Manouchian à la famille
Aznavour. Extrait.

Durant la guerre, vos parents ont hébergé Missak et Mélinée Manouchian
dans leur appartement parisien, rue de Navarin. Comment s’étaient-ils
rencontrés?

Charles Aznavour?: Nous avions autour de nous des gens comme Missak et
Mélinée ` jusqu’Ã ce qu’elle parte en Arménie ` qui étaient des amis
intimes. Il y avait un club qui s’appelait la JAF, la Jeunesse
arménienne de France, dont Mélinée était la secrétaire. Ils étaient
tous les deux orphelins. Cela les avait réunis. Ils étaient devenus un
vrai couple totalement engagé dans le Parti communiste et cela a
engagé aussi ma famille. Est-ce que c’était uniquement politique??
L’Arménie était dans le giron de la Russie communiste et les Arméniens
ont eu une possibilité de vivre à peu près bien comme dans les autres
pays satellites de la Russie. C’était très important pour nous. Ce que
l’on faisait était simple, ma mère surtout. Mon père, je ne sais pas.
Il a été obligé de fuir Paris parce qu’il était recherché. Ma mère
partait avec la voiture d’enfant où des armes étaient dissimulées. Les
armes servaient, on les remettait dans la voiture, chacun quittait les
lieux à toute allure et maman rentrait à la maison. Nous avons été des
aides. La Résistance avait besoin d’aides qui avaient moins
d’importance que d’autres, mais qui ont permis d’aider au moment où il
fallait aider.

Vous étiez adolescent. Quel souvenir gardez-vous de la présence de Manouchian?

Charles Aznavour?: Quand il était à la maison, il n’avait rien Ã
faire. Il s’était amusé à m’apprendre à jouer aux échecs. Je suis
resté joueur d’échecs longtemps dans ma vie. On était môme ma sÅ`ur et
moi, souvent bloqué Ã la maison. Il y avait les rafles, la police qui
venait. On a vécu dans un immeuble au 22 rue de Navarin. Le concierge
était gendarme ou policier, je ne me souviens plus. Il est certain
qu’il savait ce qui se passait parce qu’il voyait des gens arriver en
uniforme et repartir en civil. Au rez-de-chaussée, vivait un couple
d’homosexuels juifs. Et ma sÅ`ur jouait des morceaux de musique juive
pour eux. Chez nous, on connaissait la musique de toute la région,
iranienne, arménienne, turque, juive. Je me souviens d’un autre couple
qui a été fusillé. Ils habitaient Belleville. J’allais chez eux pour
apprendre les mathématiques parce que je voulais rentrer à l’école
centrale de TSF et que sans les maths, je ne pouvais pas. Je n’avais
que le certificat d’études, ce n’était pas suffisant. Je crois qu’ils
s’appelaient Aslanian, tous les deux engagés politiquement, tous les
deux fusillés.

http://www.humanite.fr/societe/charles-aznavour-missak-et-melinee-manouchian-etai-559625