Être un Arménien à Ankara

Être un Arménien à Ankara

Publié le : 07-01-2014

Info Collectif VAN – – Dans le cadre de son projet
d’histoire orale, la Fondation Hrant Dink, qui porte le nom du
journaliste turco-arménien tué par un adolescent ultranationaliste
devant les bureaux de son hebdomadaire Agos à Istanbul en 2007, a
terminé un livre sur les turco-arméniens d’Ankara, après deux
précédents ouvrages intitulés Les sons du silence, les Arméniens de
Turquie parlent (Sessizliðin Sesi, Türkiyeli Ermeniler Konuþuyor) et
Les sons du silence 2, les Arméniens de Dyarbékir parlent (Sessizliðin
Sesi 2, Diyarbakýrlý Ermeniler Konuþuyor). Le nouveau livre de la
Fondation, intitulé Les sons du silence 3, les Arméniens d’Ankara
parlent, met en lumière la vie socioculturelle des Arméniens de
Turquie d’Ankara. Remarquons que la mention du génocide arménien est
pudiquement désignée par le terme “incidents de 1915”. Le Collectif
VAN vous propose la traduction d’un article en anglais paru sur le
site du journal turc Today’s Zaman le 5 janvier 2014.

5 janvier 2014 /EMÝNE DOLMACI, ANKARA

Être un Arménien dans la capitale de la bureaucratie (1)

La phrase qui suit résume bien ce que les arméno-turcs vivant à Ankara
ont subi : > Un turco-arménien, qui a longtemps été greffier
principal à la mairie d’Ankara, et qui souhaite rester anonyme, a
également dit > Parmi les Arméniens de Turquie vivant dans le
quartier de Yenikent à Ankara, qui était autrefois un village arménien
s’appelant Istanoz, ainsi qu’à Ulus et dans les quartiers entourant le
Chteau d’Ankara, les jeunes Arméniens ont évité de révéler leur
identité lorsque la Fondation les a interviewés. Un jeune
turco-arménien a exprimé son inquiétude quant au fait de révéler son
identité, expliquant qu’il avait déposé une candidature dans une
institution publique et qu’il avait peur que son dossier soit rejeté
si son identité arménienne était connue. Bien que les Arméniens de
Turquie d’Ankara soient bien plus silencieux que ceux d’Istanbul ou
d’autres villes, ils s’expriment désormais plus librement. Ils veulent
vivre comme des citoyens de première classe de ce pays. Ferda
Balancar, qui a dirigé le groupe ayant mené ces interviews avec les
Arméniens de Turquie d’Ankara, a donné une interview au Today’s Zaman.

Pour surmonter les traumatismes, nous devons en discuter

Quel est l’objectif du projet d’histoire orale que vous conduisez avec
les Arméniens de Turquie d’Ankara ?

L’objectif de ce projet est de trouver des traces de la mémoire
politique et culturelle des Arméniens vivant en Turquie et dans
d’autres parties du monde, et de comprendre comment les Arméniens se
perçoivent et perçoivent >. Le projet vise ainsi à
refléter la réalité turco-arménienne, avec ses aspects politiques,
culturels et historiques.

Comment les gens que vous interviewez définissent-ils leur identité
dans leur vie quotidienne ?

Nombre d’entre eux préfèrent cacher leur identité arménienne et la
pratique la plus courante pour le garantir est d’utiliser un prénom
turc ou de donner des prénoms turcs aux enfants.

Ils accordent une grande importance au concept d’être de Turquie ou de
venir de Turquie plutôt qu’à l’appartenance à une secte ou à une
origine ethnique. Quelle en est la raison à votre avis ?

Ceci est lié au processus de démocratisation et de libération des
identités que la Turquie a connu cette dernière décennie. Le
dénominateur commun constitutionnel des différents groupes ethniques
ou religieux vivant en Turquie peut être le concept d’être de Turquie
ou de venir de Turquie, ainsi que nous le voyons dans l’ébauche de la
nouvelle constitution. Les Arméniens de Turquie que nous avons
interviewés ont également souligné ce fait.

Ont-ils surmonté les traumatismes du passé, ou ont-ils simplement
balayé leurs sentiments sous le tapis ?

Ils n’ont pas surmonté les traumatismes du passé ; ils ont juste tout
balayé sous le tapis. Pour surmonter ces traumatismes, nous devons en
discuter ouvertement. Sans cela, il sera impossible de surmonter les
traumatismes.

Que demandent-ils, afin de se confronter au passé ?

Tout d’abord, ils demandent des excuses sincères et venant du fond du
coeur. Ils veulent que le peuple turc comprenne les souffrances que les
Arméniens ont subies non seulement lors des incidents de 1915 mais
également lors du processus de l’État-nation, sans s’accuser
mutuellement.

Qu’attendent-ils de l’avenir par rapport aux autres citoyens turcs ?

En fait, leurs attentes ne sont pas différentes. Ils veulent vivre
dans un pays démocratique qui respecte les droits de l’homme. Ils
pensent que leur vie sera plus confortable et heureuse dans un tel
pays.

Compte tenu du niveau de développement actuel du développement de ce
pays en termes de droits humains et des libertés, se sentent-ils en
sécurité ?

Ils sont aussi conscients du fait que la Turquie a fait un grand
progrès ces dernières années en termes de droits fondamentaux et des
libertés, mais ils ne se sentent pas en sécurité, car ils s’inquiètent
du fait que tout pourrait s’inverser.

L’un des Arméniens que vous avez interviewés a mentionné la baisse de
la population arménienne en Turquie et il a dit : > Avez-vous une réponse à
cette question ?

La population arménienne en Turquie s’élève à 70°000 ou 80°000
personnes. S’ils continuent à faire des mariages mixtes ou à émigrer à
l’étranger, il n’y aura plus d’Arméniens dans 50 ans.

Témoin 1

Je n’ai jamais aimé le sens de l’appartenance

Je voulais aller à la Faculté de Science politique (SBF) et à l’École
de Presse et de Diffusion à l’Université d’Ankara. Je ne suis pas allé
à la Faculté de Science politique, car je pense que je ne serai jamais
ambassadeur, gouverneur ou bureaucrate en raison de mon identité
arménienne. Si vous êtes arménien, le système vous alloue un très
petit espace. En 1968, lorsque les émeutes de rues entre les groupes
de gauche et de droite ont éclaté, je suis allé à l’École de Presse et
de Diffusion à l’Université d’Ankara. Je n’ai jamais participé aux
émeutes entre les groupes de gauche et de droite, car pour les deux
parties, j’étais l’homme qui ne comptait pas. Et personne ne voulait
m’attirer de son côté. Je n’ai jamais aimé le sens d’appartenance. Je
n’ai jamais développé un sens d’appartenance à un groupe quel qu’il
soit.

Témoin 2

Hrant Dink exprimait mes sentiments

Hrant Dink voulait vivre comme un turco-arménien et servir son pays.
Il exprimait mes sentiments aussi. Hrant Dink avait une grande
influence sur moi. Le jour où j’ai appris qu’il était mort, j’étais
effondré. Est-ce que je serai un Turc si je dis que je suis un Turc ?
Une personne ne peut pas changer son origine ethnique, mais je suis
une bonne personne de Turquie. Je porte le drapeau turc, je lis des
poèmes les jours de fêtes nationales turques. Je suis ému quand
j’entends notre hymne national ou quand je vois notre drapeau. Mais je
ne veux pas voir des drapeaux et des photos d’Atatürk partout. Je suis
prêt à faire de mon mieux, et je le fais, pour m’unir à un
dénominateur commun qui est d’être de Turquie et de travailler pour le
bien de ce pays.

Témoin 3

Je veux vivre comme un citoyen de première classe de ce pays

Mon oncle est tombé amoureux d’une jeune fille grecque ; ils se sont
enfuis et se sont installés aux États-Unis. Ils ont eu cinq filles. Il
a ouvert un atelier de tailleur et il a bien gagné sa vie. Ils ont eu
une bonne vie. Mon oncle et ma tante sont décédés il ya cinq ou six
ans. Mais malgré sa vie agréable, il disait toujours : , mais le nombre de gens qui
pense que tuer les Arméniens ou les forcer à émigrer était une bonne
chose n’est pas petit.

(c)Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 6 janvier
2014 –

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Source/Lien : Today’s Zaman

http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=77694
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