Pierre Terzian, « journaliste très spécialisé »

L’Orient-Le Jour, Liban
20 mai 2013

Pierre Terzian, « journaliste très spécialisé »

Carla Henoud | 20/05/2013

RENCONTRE « Je suis ce qu’on appelle un expert en géopolitique
pétrolière et gazière. » Mais pour définir Pierre Terzian, PDG de
Pétrostratégies, il faudrait aussi parler de sa nostalgie pour un
Liban qui a changé, des actions qu’il ne cesse de déployer pour
l’Arménie, des conseils, analyses, conférences qu’il donne à des
gouvernements et des pays souvent très différents. Et de l’écriture,
sa passion première.

Il a quelque chose de Brassens, la moustache, peut-être, la pipe qu’il
a longtemps affectionnée, le sourire éclairé, le regard, tendre mais
acéré, et une révolte intérieure qui continue de le remuer quand il
s’agit d’injustices, de gaspillage de notre nature, et de sa douce
Arménie. Résidant en France depuis de longues années, Pierre Terzian
confie, à l’occasion d’un de ses passages au Liban : « Quand je suis
loin et que je pense à ce pays, j’y pense avec nostalgie. À peine
arrivé, j’y pense avec douleur. Je l’ai sillonné du Nord au Sud, d’Est
en Ouest en sac à dos, je suis horrifié de constater tous les
changements provoqués par le béton. Parfois, lors de séjours au sud de
la France, j’arrive à saisir des arômes que je ne retrouve plus ici…
»

Aujourd’hui PDG de la société Pétrostratégies, qui, comme son nom
l’indique si bien, s’occupe d’ériger un pont entre les deux domaines,
Terzian a été également cofondateur du Petro-Money Report,
sous-directeur du Centre arabe d’études pétrolières et enseignant à
l’Université de Grenoble. « J’aime ces trois notions de politique,
d’économie et de droit qui se rejoignent dans mes activités. »

Parcours et hasard

Né à Bourj-Hammoud lorsque cette dernière n’était encore qu’une ville
extrêmement modeste, envahie certains jours d’hiver par un fleuve
débordant de colère et par des marécages, Pierre Terzian se souvient
avec une grande précision de ces années de jeunesse, la « pédagogie
très avant-gardiste des Frères maristes de Jounieh » où il poursuit
une partie de sa scolarité, son amour pour la philosophie, abandonnée
au profit d’études en sciences économiques, qui étaient enseignées de
manière « moins livresque » et plus adaptées aux années 70. « Je suis
tombé par hasard dans le pétrole », confie-t-il. Alors qu’il prépare
sa licence, les premières négociations se font sous l’égide de l’OPEP.
Un nouveau monde et un nouvel or, noir, envahissent le monde. « Attiré
par le domaine, raconte-t-il, j’ai rédigé mon mémoire sur le sujet et
j’ai envoyé un exemplaire à Édouard Saab, alors rédacteur en chef de
L’Orient-Le Jour qui l’a publié. » 2 semaines plus tard, Nicolas
Sarkis, directeur du Centre arabe d’études pétrolières, le contacte et
l’engage. « Je suis ainsi devenu rédacteur du bihebdomadaire Pétrole
et gaz arabes puis directeur du département pétrole aux FMA. » Une
opportunité entraînant l’autre, il crée, en coopération avec le
Financial Times et Lucien George, un hebdomadaire spécialisé dans les
pétrodollars, qu’ils baptisent Petro-Money Report.

Mais nous sommes en 1975, et la guerre du Liban qui vient de démarrer
fait exploser le pays et son infrastructure. Les bureaux des
représentants des grandes compagnies internationales se vident. «
Pendant 13 mois, poursuit-il, j’ai bougé et changé de pays tous les 2
jours au Moyen-Orient. Au Liban, nous vivions souvent à l’hôtel. Ces
années, très formatrices, m’ont permis de bien connaître les pays
arabes du Golfe, qui n’étaient alors qu’une immense étendue de sable,
et les personnalités influentes. » Pour fermer, provisoirement, cette
parenthèse, le jeune journaliste décide de préparer sa thèse de
doctorat à Paris. C’est en travaillant sur son sujet, les contrats
d’exploration et de production, que, horrifié par la colonisation dans
ces pays producteurs de pétrole, il décide de créer une méthode,
résumée en une formule mathématique « qui facilite à ceux qui n’en ont
pas les moyens scientifiques l’analyse des contrats ». La thèse,
publiée, deviendra un manuel d’enseignement en Arabie saoudite.

Académique et humanitaire

La suite du parcours de Pierre Terzian peut sembler logique et
conséquente à sa philosophie et ses objectifs. Auteur de plusieurs
ouvrages, enseignant à l’Université de Grenoble, organisateur de
conférences internationales et intervenant, PDG de Pétrostratégies,
une société d’études stratégiques et de la presse pétrolière, il est
également consultant auprès des gouvernements lorsqu’il s’agit de
signer des contrats d’exploitation de gaz ou de pétrole. La Grèce, la
France, le Japon, la Belgique, l’homme au sourire affable, sans
accepter de compromis, qui sait faire souffler le chaud et le froid,
s’adapte aux mentalités, aux marchés qui diffèrent, aux nouvelles
énergies et aux soucis écologiques. « Nous nous dirigeons vers un
monde avec, à long terme, moins de fossiles et plus d’énergies
renouvelables et propres. Les habitudes doivent changer. »

Concerné par le monde, il est aussi et surtout impliqué dans « le
volet arménien ». Dès 1969, il publie ses révoltes dans un journal
très contestataire qu’il cofonde : Jeune Arménien. « Écrire fait
partie de ma personne de manière intime », avoue-t-il. Après
l’indépendance de l’Arménie en 1991, il cofonde également le Fonds
arménien de France dont il devient le président, participant ainsi à
la construction et à la réhabilitation de logements, d’écoles,
d’hôpitaux et d’infrastructures dans l’ensemble de l’Arménie, et plus
particulièrement dans les régions nord sinistrées par le séisme du 7
décembre 1988. Ainsi, depuis ses débuts, le Fonds a permis la création
de 424 logements sociaux pour plus de 960 familles, 476 km de routes,
517 km de canalisations d’eau potable desservant 70 sites, 334 écoles
et centres d’éducation, 71 institutions de santé, 53 centres sportifs
et culturels, 71 km de lignes électriques et 144 km de gazoducs, ainsi
que la rénovation de nombreux ponts, l’installation de réseaux de
télécommunication et d’Internet, la distribution de semences et de
carburant aux agriculteurs ou encore le soutien à des chercheurs, des
étudiants, des écrivains et des artistes. « C’est très bon pour mon
équilibre », précise-t-il enfin. Et de conclure : « Le Liban doit
s’apprêter dès maintenant à produire du pétrole. C’est une chance et
un danger. Une chance si cet argent est géré en toute transparence et
investi dans l’avenir, les infrastructures et l’éducation. » Alors,
gare… au danger.

http://www.lorientlejour.com/article/815081/pierre-terzian-journaliste-tres-specialise-.html