L’inquiétante visite en France d’Ahmet Davutoglu

EDITORIAL
L’inquiétante visite en France d’Ahmet Davutoglu

Prise en otage par la politique étrangère de la Turquie à l’égard de
la France, la communauté arménienne ne peut être qu’inquiète de la
venue à Paris le 5 juillet de M. Ahmet Davutoglu chef de la diplomatie
turque. Comment en effet ne pas s’interroger sur les dessous de cette
visite qui intervient dans le contexte des sanctions turques contre la
France. Des mesures de rétorsion liées à la question du génocide
arménien et dont Ankara a annoncé récemment la levée. Que cache ce
retour à de meilleurs sentiments ? Quel en est le prix ?

Voilà en effet plusieurs décennies que les dirigeants turcs font
pression sur nos gouvernants pour leur dicter la manière dont ils
doivent se comporter à l’égard de ces Français qui ont pour
particularité d’être d’origine arménienne. Ces manipulations visent
principalement à dissuader la nation de protéger la mémoire et la
dignité de cette composante de sa population issue du génocide de 1915
et devenue depuis une partie d’elle même. Elles se sont notamment
exercées à chacune des étapes qui ont jalonné la reconnaissance de ce
crime contre l’humanité, atteignant un pic à la fin 2011 et au début
2012, au moment du vote de la loi antinégationniste.

Pour obtenir l’abolition de ce texte, le régime islamo-conservateur
turc a non seulement revendiqué une série de « sanctions » contre la
France, mais il a aussi mis en `uvre un lobbying performant. Fort de
ses moyens financiers, ceux de la seizième puissance mondiale, il
s’est attaché les services des plus grands groupes publicitaires et de
gestion d’image parisiens qui, en se vendant au plus offrant, ont mis
sans vergogne leur savoir-faire à la disposition de ses projets. Il a
créé également un prestigieux « institut du Bosphore » dont le comité
scientifique comporte un nombre impressionnant de personnalités
politiques, économiques et médiatiques. Cette structure financée par
la Tusiad ( patronat turc) a révélé sa véritable fonction le 24
janvier dernier. Intervenant directement sur les députés, elle les a
enjoints de saisir le conseil constitutionnel afin d’obtenir
l’invalidation de la loi Boyer prévoyant de réprimer, à l’instar de la
loi Gayssot, le négationnisme du génocide des Arméniens. On pourrait
également invoquer dans le même ordre d’idée l’infiltration de nos
universités, dont certaines ont été sollicitées au nom de leur
partenariat avec la Turquie pour prendre leur part dans cette croisade
visant à lever toute entrave légale à l’expression du négationnisme
sur le territoire. (1)

Cette pléthore de moyens en dit long sur le niveau de complicité entre
les gouvernements turcs contemporains et celui des « Jeunes turcs »
concepteur et auteur de l’entreprise d’extermination. Et alors qu’à
trois ans du centième anniversaire de 1915, Ankara passe à l’intérieur
à l’offensive en instruisant depuis le 2 juillet un procès
spectaculaire contre l’éditeur Ragip Zarakolu, premier turc à avoir
osé défier le tabou arménien dans son pays en publiant des livres sur
le génocide, on ne peut qu’appeler notre exécutif à la défense de ses
fondamentaux démocratiques. On est jamais trop prudent face à l’aplomb
d’un Davutoglu dont tout dans la pratique trahit un fort degré
d’armenophobie étayé par une conception vénale des relations
internationales.

Au tout début de son mandat, en mai 2007, le gouvernement français
précédent avait cru pouvoir pactiser avec le diable en négociant avec
Erdogan un lchage des Arméniens. On sait comment cela s’est fini.
Tout ne s’achète pas et ne se vend pas. Même en période de crise.

Ara Toranian

1) Intervention de Jean-Claude Colliard, président de Paris I le 24
mars dernier à la Sorbonne

jeudi 5 juillet 2012,
Ara ©armenews.com