Nicolas Sarkozy, Francois Hollande Et La Question Armenienne

NICOLAS SARKOZY, FRANCOIS HOLLANDE ET LA QUESTION ARMENIENNE
Ara

armenews.com
vendredi 6 avril 2012

Mais pourquoi la question armenienne se retrouve-t-elle si haut a
l’agenda de la presidentielle en France, portee par les deux principaux
candidats, Nicolas Sarkozy et Francois Hollande ? Du jamais vu depuis
son renouveau en 1965…

L’invalidation par le Conseil constitutionnel de la loi contre le
negationnisme aurait pu convaincre les deux candidats d’abandonner
le projet ou de le rejeter aux calendes grecques de l’histoire de la
Republique. Il en est tout autre. Le candidat de l’UMP et celui du PS
ont pris a nouveau l’engagement, au detour d’entretiens accordes au
magazine ” Nouvelles d’Armenie “, de faire adopter un nouveau texte
contre le negationnisme et ce, dès le debut de leur mandat.

Il ne s’agit pas d’une nouvelle promesse a l’endroit des Francais
d’origine armenienne. Non, il s’agit pour la première fois d’une
reelle conviction placee au coeur de leur politique a l’egard de la
Turquie et de leur vision de la mondialisation. Car, la toile de fond
de cet engagement distinct mais parallèle renvoie a la question de
l’entree de la Turquie dans l’Union europeenne mais aussi a la place
de la France dans le monde.

A droite, non seulement Nicolas Sarkozy s’oppose a l’adhesion d’Ankara
a l’UE, mais il assortit son ” Non ” a une promotion de la question
armenienne, elle-meme desormais inscrite dans une trajectoire
neo-conservatrice et occidentaliste de la ligne sarkozyste. Pour
les tenants de cette approche defensive des valeurs occidentales,
il s’agit de presenter la question armenienne comme une source de
solidarite avec la chretiente – l’Empire ottoman ayant extermine
1,5 millions de chretiens a partir de 1915 – et comme un maillon
de defense de la civilisation europeenne au Proche-Orient, la où
justement les Chretiens d’Orient sont menaces dans leur integrite.

En se rendant en Armenie en octobre 2011, Nicolas Sarkozy le
neo-conservateur a accorde a l’Armenie une place particulière sur
son edifice de protection des valeurs occidentales dans le monde.

L’adhesion en 2011 de trois partis armeniens au Parti Populaire
Europeen – Parti republicain, Heritage, Parti Etat de droit –
traduit cet arrimage de la droite armenienne au train du conservatisme
europeen. Premier Etat chretien au monde, l’Armenie a donc un rôle a
jouer dans le rayonnement mondial de l’Occidentalisme, au nom d’une
croisade des idees et des valeurs. Cet investissement en faveur de
la question armenienne plombe pour longtemps tout espoir de detente
entre la France et la Turquie. Mais outre le refus d’ouvrir la porte
europeenne a Ankara, Nicolas Sarkozy l’armenophile mise en fait sur
l’obligation pour les Turcs d’ouvrir un dialogue sincère et franc avec
les Armeniens. Pari ose quand on sait avec quel mepris Ankara gère
les pressions et comment Ankara, quel que soit le regime, examine
la question armenienne depuis 1878. Mais Nicolas Sarkozy associe
une conviction – la defense de l’Occidentalisme – a un calcul –
l’instrumentalisation de la question armenienne.

A gauche, Francois Hollande accorde a la question armenienne un
double sens. D’un côte, il s’inscrit dans une tradition socialiste
de defense des opprimes, de solidarite avec les Armeniens et de
fidelite a Francois Mitterrand, artisan d’une esquisse de diplomatie
pro-armenienne pionnière en Europe. De l’autre, son investissement
sincère ne peut cacher un calcul : utiliser la question armenienne
comme un instrument de facade de sa perception de la candidature
de la Turquie a l’UE. Jamais, le candidat socialiste n’a en effet
repondu a la question simple de son soutien ou non a l’entree de la
Turquie dans l’Union europeenne. Dès les annees 2000, l’ancien premier
secretaire du Parti socialiste a vu dans la question armenienne le
double interet de promouvoir la justice en faveur des Armeniens et
d’assurer l’unite de son propre camp a propos d’un dossier aussi
sensible que la candidature d’Ankara a l’UE.

Dire ” oui ” a l’entree de la Turquie, c’est se mettre a dos la moitie
de son camp, a commencer par l’ancien premier ministre, Laurent Fabius,
hostile a ce qu’il considère comme etre un enterrement de l’Europe
politique. Dire ” non ” a Ankara, c’est contrarier l’autre moitie de
son camp, avec en tete, son directeur de campagne, Pierre Moscovici,
turcophile notoire. Mettre en avant la question armenienne lui permet
ainsi de marcher dans les pas de Francois Mitterrand l’armenophile et
dans ceux de Jacques Delors le pragmatique. Par ailleurs, l’Europe se
trouvant dans un tel etat de defiance, la question de l’elargissement
ne peut pas etre envisagee comme une priorite. Ainsi, il n’y a aucun
interet a etre clair ni presse sur l’adhesion ou non de la Turquie
tout en restant favorabbles a des negociations avec Ankara sans
presager de l’issue du processus.

En attendant, histoire d’eviter la division de son camp, voire de
sa future majorite (Verts et Radicaux sont plutôt turcophiles),
mieux vaut prendre l’engagement de promouvoir la question armenienne
en votant un texte contre le negationnisme, manière de mettre la
pression sur Ankara et non sur la France ou l’UE. Au-dela de cette
recherche d’equilibre, Francois Hollande veut transmettre un message
de paix au monde. Par sa double approche pragmatique et armenophile,
il entend debloquer les relations entre Bruxelles et Ankara tout
en surmontant les tensions armeno-turques. Et inversement. Cette
strategie d’accompagnement relève d’une demarche offensive dans le
cadre d’une recherche de paix universelle.

D’un côte, une diplomatie neo-conservatrice pro-armenienne au
nom de la defense de l’Occidentalisme. De l’autre, une diplomatie
gaullo-mitterrandienne pro-armenienne au nom de la paix en Europe. Au
milieu, une question armenienne qui se trouve doublement projetee
dans le XXIe siècle. Soit l’Armenie participe a la strategie de rejet
d’Ankara par l’UE, mais prend le risque de retarder son integration
regionale. Soit l’Armenie participe a celle du deblocage des
negociations entre Ankara et Bruxelles avec le risque de contrarier
les interets de la Russie. Ainsi mentionnee a l’agenda electoral,
la question armenienne ne serait plus une variable d’ajustement mais
pas encore un phenomène structurant de la diplomatie francaise. Un
etat fragile d’autant plus preoccupant que les deux candidats ne
maîtrisent pas leur propre camp. A droite comme a gauche, les amis de
la Turquie sont prets a sortir le moment venu leur glaive du fourreau
pour mieux enterrer la question armenienne.

From: A. Papazian