Sarkozy Et Le Cercle De Paix Caucasien

SARKOZY ET LE CERCLE DE PAIX CAUCASIEN
Par Christian Makarian

L’Express, France
11 oct 2011

Au cours d’une sequence diplomatique d’une rare intensite, Nicolas
Sarkozy s’est pose en Armenie, en Azerbaïdjan et en Georgie en
sautant par-dessus les haines ancestrales et la menace omnipresente
de la guerre.

Il est des regions du globe qui suscitent l’emphase – et les drames –
plus que d’autres. Pouchkine l’avait parfaitement saisi: “Le Caucase
est sous moi. Venu seul jusqu’en haut, je domine la neige au-dessus
de l’abîme.” Comme pour illustrer ces vers celèbres, Nicolas Sarkozy
vient de survoler trois petits pays enclaves entre mer Noire et
Caspienne, trois nations esseulees qui peuplent une des zones les
plus strategiques du voisinage europeen. Au cours d’une sequence
diplomatique d’une rare intensite, il s’est pose dans chacune des
trois capitales en sautant par-dessus les haines ancestrales, les
lignes de front, les blocus et la menace omnipresente de la guerre.

Au carrefour de trois empires qui n’entendent rien ceder – Russie,
Turquie et Iran -, le chef de l’Etat a pu mesurer combien il est
plus facile de faire la guerre au-dela des mers, comme en Libye, que
d’instaurer la paix entre des pays qui ne l’ont jamais connue. Dans
cet etonnant couloir caucasien, barre de montagnes, marbre d’ethnies,
lacere par les clivages religieux et traverse par un oleoduc decisif,
il existe une profonde “demande de France”, que Nicolas Sarkozy aura
le merite d’avoir comprise bien mieux que tous ses predecesseurs.

Dans le Caucase, il existe une profonde “demande de France” En Armenie,
pro-russe, recu comme l’incarnation moderne d’une protection seculaire,
il a su raviver une relation qui remonte aux Croisades. La manière dont
le president francais a exprime ses convictions quant au genocide subi
par les Armeniens en 1915 est très symptomatique de la “diplomatie
de conviction” qui fait tant horreur aux adeptes du style cynique,
si longtemps dominants. Tout en etant un partisan declare de la
reconciliation turco-armenienne, qu’il a de nouveau appelee de tous
ses voeux, Sarkozy a su parler le langage de la verite : “Il ne peut
pas y avoir de reconciliation durable sur la negation des souffrances.”

A ceux qui regrettent que la France ait, une fois encore, irrite la
Turquie au detriment de juteux contrats, il est facile de repondre. En
deux points. Premièrement, le Premier ministre turc, Recep Tayyip
Erdogan, a franchi un tel cran dans les rodomontades anti-francaises
que le president francais a choisi d’assumer les consequences de sa
prise de position, claire et nette, contre l’entree de la Turquie
dans l’Union europeenne – en echange de laquelle il propose un schema
d’association extremement avantageux. Deuxièmement, les pretentions
d’Ankara a prendre artificiellement le leadership du printemps arabe –
alors qu’Erdogan etait initialement oppose a l’intervention de l’Otan
en Libye ! – vont a l’encontre du nouveau rayonnement de la France
en Mediterranee. Avec un certain humour, et le sens du tragique,
Sarkozy a pris l’habitude de dire, au soir de ses etapes: “Avec qui
allons-nous nous fâcher demain ?” Pas avec l’Azerbaïdjan, en tout
cas, pays pro-turc auquel Paris offre un “partenariat strategique”
et qui a recu, par la meme occasion, la première visite d’un chef
d’Etat francais.

Mais c’est en Georgie, pro-americaine, que le president francais a ete
accueilli comme un sauveur refusant le “fait accompli” par les Russes,
avec l’arrachement de l’Ossetie du Sud et de l’Abkhazie. Le souvenir
de son engagement eclair au côte du peuple georgien, en août 2008,
est reste visiblement très present dans les memoires. Et le silence
de cette foule rassemblee et attentive ne peut etre oublie lorsqu’un
Sarkozy, empreint de gravite, se risque a demander aux Georgiens,
en depit des bravades de leur president, d’envisager leur avenir dans
la paix retrouvee avec la Russie.

On dira encore que, vu l’etat du monde, le Caucase n’est guère une
priorite de notre politique etrangère. Peut-etre, mais c’est la où
la France est attendue que se joue aussi son avenir. Chez celui
auquel les diplomates ont tant reproche d’avoir ete “brouillon”,
voila une vraie ligne de force, qui, mine de rien, contribue a la
lente emergence d’une vision.

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/sarkozy-et-le-cercle-de-paix-caucasien_1039365.html