L’Epuration Des Grecs Egeens En 1914 : Un Cas De Turcisation Violent

L’éPURATION DES GRECS éGéENS EN 1914 : UN CAS DE TURCISATION VIOLENTE

Armenian Trends РMes Arm̩nies
Publié le : 09-08-2011

Info Collectif VAN – – Le Collectif VAN vous
invite a lire cette information traduite par Georges Festa et publiée
sur le site ‘Armenian Trends – Mes Arménies’ le 8 aoÔt 2011 2011.

Photo : Vue de CeÅ~_me, Turquie, 2005 © fr.wikipedia.org

L’épuration des Grecs égéens en 1914 : un cas de turcisation
violente

par Matthias Bjørnlund

Journal of Genocide Research, vol. 10, n° 1, mars 2008

En 1992, l’historien grec Ioannis Hassiotis écrivait : ” Bizarrement,
les historiens grecs et arméniens traitent les premières
persécutions des Grecs en 1913-14 et le génocide arménien de
1915 comme des phénomènes isolés. ” (1) Cette tendance a traiter
en tant que phénomènes isolés divers aspects de la politique du
Comité Union et Progrès (CUP), que je qualifierais de ” turcisation
violente ” – la politique interconnectée d’épuration ethnique et
de génocide, par exemple, visant a l’homogénéisation de l’empire
ottoman – n’est pas nouvelle et ne se rencontre pas seulement dans
les écrits des scientifiques grecs et arméniens. Avant, pendant et
après la Seconde Guerre mondiale, une grande partie des diplomates,
missionnaires, etc., principalement occidentaux, présents dans
l’empire, témoigneront et signaleront en premier lieu cet aspect
spécifique de la politique du CUP que fut le génocide arménien –
un fait souvent reflété dans les études scientifiques, lesquelles
tendent de même a se focaliser davantage sur cet événement que sur
la persécution d’autres groupes (2). Deux raisons principales a cela,
semble-t-il : 1) avant, pendant et après le génocide arménien, un
grand nombre de ces observateurs (en particulier, les missionnaires)
Ŕuvraient parmi les Arméniens, et non les Grecs et les Assyriens ;
et 2) ces observateurs étaient donc généralement plus réceptifs
aux souffrances de ceux parmi lesquels ils avaient littéralement
bâti leur existence et se trouvaient dans des emplacements
géographiques d’où ils pouvaient surtout observer la destruction
des Arméniens. Troisième motif, beaucoup d’entre eux observèrent le
génocide arménien, avec ses massacres et ses marches de mort très
fréquents, a grande échelle et systématiques, comme plus condensé
dans le temps et plus radical dans son intention et sa mise en Ŕuvre
que les autres campagnes de destruction.

Or nombre d’observateurs virent dans les autres groupes non turcs
des cibles de la politique du CUP et établirent un lien avec cette
politique. Pour ne citer que quelques exemples : au Sénat ottoman,
durant la Première Guerre mondiale, Ahmed Riza, porte-parole de haut
rang de l’opposition turque, critiquera la persécution des Arméniens,
des Grecs et des Arabes, ainsi que la confiscation de leurs biens (3).

Ambassadeur du Danemark a Constantinople, Carl Ellis Wandel
rapportera de quelle manière le CUP recourut a l’extermination
pour mettre un terme a ce qu’il considérait comme une domination
des Arabes, des Arméniens et des Grecs au sein du Parlement ottoman,
susceptible de lui faire perdre le pouvoir (4). George E. White laisse
entendre que le but du CUP est de ” créer un Etat uniforme, l’un
de nationalité turque, l’autre d’orthodoxie musulmane ” au moyen
de la déportation des Arméniens et des Grecs et la suppression des
Alévis, ” non orthodoxes ” (5). Membre du Comité Américain pour
le Secours Arménien et Syrien [American Committee for Armenian and
Syrian Relief], William Walker Rockwell déclare qu’un grand nombre
d’Arméniens et de Syriens ont été notablement décimés suite a
la politique du CUP et qu’il existe une ” misère effrayante parmi
les Juifs palestiniens ” (6). H.

F. Ulrichsen, parlementaire, membre de l’organisation des Amis
Danois des Arméniens (7) et secrétaire de l’ambassadeur Wandel de
1914 a 1916, soutient que le CUP et la ” ‘politique d’épuration’
[‘Udrensningspolitik’] kémaliste […] ont pour but la suppression
de toutes les instances ̩trang̬res Рchr̩tiens et Juifs Рqui
exercaient une influence certaine en Turquie ” (8).

Ce genre d’observations commencent maintenant a être prises en compte
par les chercheurs travaillant sur la période du CUP et des débuts
du kémalisme, lesquels soulignent le rôle de la ” reconfiguration
ethnique ” (9) ou de ” l’ingénierie démographique ” (10),
éléments planifiés, interconnectés et proactifs (par opposition
a ” accidentels ”, isolés ou réactifs) de cette politique. Si
l’historiographie turque nie ou sous-estime traditionnellement cette
politique, ces scientifiques, qu’ils utilisent ou non le mot G,
suggèrent maintenant que le génocide arménien fut un aspect de la
politique de turcisation, encore qu’il soit habituellement décrit sous
sa violence la plus extrême (11). D’après Taner Akcam, le CUP, avant
la Première Guerre mondiale, ” formula une politique qu’il commenca a
mettre a exécution dans la région égéenne a l’encontre des Grecs
et que, durant les années de guerre, il élargit afin d’inclure
les Assyriens, les Chaldéens, les Syriens et en particulier les
Arméniens, une politique qui finit par devenir génocidaire. […] Des
rapports détaillés furent préparés [par l’Organisation Spéciale],
mettant l’accent sur l’élimination de la population chrétienne. Ces
mesures furent mises en Ŕuvre dans la région égéenne au printemps
1914. ” (12) La présente étude vise a étudier de plus près ces
persécutions d’avant-guerre visant les Grecs égéens sous l’aspect
d’une turcisation violente, a savoir, davantage qu’une [série] isolée
d’incidents n’ayant que peu ou pas de rapport avec d’autres exemples
de persécutions collectives par le CUP ou tout objectif global de
turcisation de la part du CUP. Les sources se composent de rapports
publiés, de mémoires, etc., et aussi de travaux scientifiques,
en mettant l’accent sur des matériaux d’archives danois inédits,
qui ajoutent au savoir existant sur ces événements.

Les débuts de la turcisation violente

Vu de la position privilégiée des observateurs dans la grande
cité portuaire de Smyrne (Izmir) et a Constantinople (Istanbul),
la capitale ottomane, la politique de persécution collective débuta
véritablement par la tentative d’épuration ethnique contre les Grecs
ottomans vivant alors le long du littoral égéen (13). Des tentatives
pour supprimer du secteur économique les influences des non-Turcs
furent lancées par le CUP, après qu’une faction radical du Comité se
fÔt emparé du pouvoir en 1913, et cette politique fut mise en Ŕuvre
via l’épuration de plus de 100 000 Grecs de la région égéenne et
de Thrace durant le printemps et l’été 1914 (14). Des reportages
signalent que des milliers de Grecs en Thrace sont contraints par les
autorités d’embarquer pour la Grèce ou de se convertir a l’islam (15)
et que les Grecs de la région de Rodosto souffrent dans les campagnes
et les routes, tandis que des Albanais et des Crétois musulmans sont
installés dans leurs foyers (16). Ce fut apparemment le résultat de
mÔres réflexions et d’enquêtes préliminaires de la part du CUP,
bien qu’il fÔt décidé de dissimuler le lien entre, d’un côté,
le CUP et les instances gouvernementales comme le ministère de la
Guerre, et de l’autre, l’Organisation Spéciale (OS) laquelle mit a
exécution l’opération (17).

Le principal témoin ” danois ” de ces événements, Alfred van der
Zee, consul du Danemark a Smyrne, dans le vilayet d’Aidin (Smyrne),
depuis 1910, était en fait hollandais (18). Né aux Pays-Bas,
le 9 mai 1872, cet homme d’affaires gérait les services locaux
de l’entreprise familiale ” W. F. van der Zee ” et parlait le
hollandais, l’anglais, le francais, l’italien, l’allemand, le grec
et le turc (19). Il était aussi courtier maritime et agent pour le
compte de la Compagnie maritime danoise DFDS (20). Le vice-consul au
consulat danois de Smyrne était alors John Atkinson de Jongh, Levantin
hollandais, qui occupait cette fonction depuis 1877 (21). En juin
1914, Van der Zee signale a Wandel, son supérieur a Constantinople,
qu’une mesure de bannissement sur une large échelle, systématique
et violente, des ” Grecs, en général pacifiques et travailleurs ”
est entreprise sur ordre du gouvernement central (22).

Cette politique était en partie dictée par des préoccupations
sécuritaires, du moins percues comme telles. Le CUP tenait les Grecs
ottomans pour suspects, sur le compte de leurs liens supposés avec
l’Etat grec et, plus particulièrement, voulait éviter que les Grecs
résidant le long de la côte en arrivassent a servir de cinquième
colonne. Péril jugé imminent, car la Grèce, via l’intervention des
puissances européennes, s’était récemment assuré le contrôle
des îles voisines de Chios et de Mytilène (Lesbos). Ces îles,
pensait-on, pouvaient servir a lancer des attaques (23). Par
ailleurs, la persécution a l’encontre des Grecs égéens (ioniens)
pouvait contribuer a faire pression sur le gouvernement grec, afin de
résoudre le litige insulaire d’une manière profitable au gouvernement
ottoman (24). Or ce litige insulaire et les préoccupations d’ordre
sécuritaire n’étaient pas apparemment les seuls motifs, tandis que
celles d’ordre économique, politique et ethno-religieux semblent
avoir fait de la politique d’épuration une partie d’un projet plus
vaste de turcisation. Van der Zee signale qu’en mars 1914, les valis
de Smyrne et des régions avoisinantes effectuent des tournées
d’inspection vers les villes et les villages côtiers des vilayets,
” conseillant ” aux autorités locales d’expulser les Grecs :

” Il y a trois mois environ, le gouverneur général de Smyrne
[le vali Rahmi Bey], agissant, comme je le pense, sur instructions
du ministère, a inspecté les petites localités situées sur
la côte de cette province. Il semblerait que, lors de cette
tournée administrative, il ait donné des ordres semi-officiels aux
sous-gouverneurs pour obliger la population grecque qui y habite a
évacuer ces localités. Aucun ordre d’expulsion n’a été décrété,
mais les autorités turques ont pu recourir a ces mesures retorses et
vexatoires dont elles sont coutumières. D’après ce que je crois,
les mêmes instructions ont été données par les gouverneurs des
autres provinces maritimes. ” (25)

Cette interprétation générale est appuyée par Hans-Lukas Kieser,
qui cite les mémoires de Mahmut Celal Bey (Bayar), en charge
de la cellule du CUP a Smyrne en 1914 et qui deviendra ensuite
le troisième Président de la Turquie : ” […] Le CUP et le
ministère de la Guerre, dirigé par [Enver Pacha] depuis le 3 janvier
1914, travaillaient, parallèlement aux activités régulières du
gouvernement, a la liquidation des ” concentrations de non-musulmans
” dans la région égéenne […] ” (26). D’après l’ambassadeur
Wandel, c’est le docteur Nazim Bey – membre dirigeant du premier cercle
du CUP, qui orchestrera ensuite le g̩nocide arm̩nien (27) Рqui, lors
des guerres balkaniques de 1912-13, développa un plan pour installer
les musulmans, eux-mêmes violemment épurés de Macédoine, en divers
endroits dans l’empire, d’où les non-musulmans seraient déportés
(28). L’ambassadeur ottoman a Athènes, Galip Kemali (Söylemezoglu),
proposa même aux autorités grecques que les musulmans des provinces
administratives grecques de Macédoine et d’Epire fissent l’objet
d’un échange avec les populations grecques rurales de la province de
Smyrne et de la Thrace ottomane. Le Premier ministre grec Venizelos
approuva apparemment ce type d’échange aux alentours de l’opération
d’épuration en 1914, a condition qu’il fÔt volontaire et que
cessassent la persécution et la migration forcée des Grecs (29).

L’éclatement du premier conflit mondial empêcha cet échange,
mais avant même que les autorités, représentées par la Direction
générale de l’Installation des tribus et des réfugiés, relevant du
ministère de l’Intérieur, aient décidé de ne pas attendre l’accord
du gouvernement grec (30). Si bien qu’en 1914, le plan fut lancé
effectivement, d’une manière résolument violente et délibérée
qui a été comparée a la politique nazie d’” aryanisation ” –
définie comme la ” réorganisation des ressources économiques en
faveur des citoyens ” ethniquement souhaitables ”, partant, de l’Etat
lui-même, ethniquement défini ” (31). Aux yeux du CUP, être ”
ethniquement souhaitable ” signifiait être Turc et musulman, tandis
qu’a partir de 1914, les musulmans non turcs (a savoir les Kurdes),
déportés vers les zones auparavant occupées par des chrétiens,
étaient censés s’assimiler (autrement dit, se turciser) en renoncant
a leur identité ethnique (32). Une politique discriminatoire visait
déja les chrétiens. Le système électoral, par exemple, fut concu
de manière a discriminer lourdement ces derniers, tandis que les
autorités, en dépit de leurs promesses, ne rendirent pas les terres
anatoliennes aux Arméniens qui avaient été expulsés durant ou
après les massacres d’Abd ul-Hamid II (33).

Dès le coup d’Etat de 1913, les nouveaux dirigeants, plus radicaux, du
CUP tentèrent de donner l’illusion qu’ils poursuivraient les efforts
visant a ” ottomaniser ” et centraliser l’empire d’une manière
pacifique et démocratique. Or, comme le relèvent Wandel et d’autres
observateurs, si cela avait jamais constitué la politique du CUP,
tel n’était plus le cas (34). Bien au contraire, note Feroz Ahmad,
répression et violence devinrent l’ordre du jour (35). Même si
Wandel avait conscience que l’étendue de la radicalisation était
en partie causée par des événements échappant au contrôle du
CUP, il souligne que cela ne résultait pas simplement de mesures
défensives ad hoc visant, mettons, l’impérialisme occidental, mais
qu’il s’agissait d’une part intégrante d’une politique active,
délibérée, enracinée dans les convictions suprématistes
de la Turquie, ayant fondamentalement pour but de préserver son
pouvoir. Comme l’on ne croyait plus que cela pÔt être réalisé par
un empire multiethnique, multireligieux, dominé par la Turquie, le
but serait atteint en créant en quelque sorte une ” Turquie pour les
Turcs ”, sur le plan économique, politique, linguistique et ethnique,
de plus en plus combiné avec la vision panturcique expansionniste
d’un empire turc unifiant les Turcs ethniques d’Asie et de Russie (36).

En conséquence, Wandel décrit la nature du CUP en présentant
ses membres non comme de grands idéalistes ou hommes d’Etat, mais
comme des organisateurs recourant a tous les moyens possibles pour
renforcer leur organisation, luttant davantage pour le pouvoir que
pour des idéaux : ” Pour certains, leur intégrité ne fait aucun
doute, mais il est généralement admis que [le CUP] continuera de
poursuivre la politique qu’il a déja lancée, une politique qui
a déja entraîné tant de conflits. ” Il est convaincu que cette
politique finira par conduire a un ” suicide national ” (37). En
fait, bien que le prix en fÔt exorbitant, il s’agissait d’une étape
importante menant a la création d’une nation relativement homogène,
sinon stable, a savoir la république moderne de Turquie (38). Or,
comme le souligne aussi Wandel, bien que de nombreux Jeunes-Turcs
ne fussent pas de ” grands idéalistes ”, ils partageaient de
vagues idéaux, lesquels, entre autres, servaient a légitimer leur
monopole du pouvoir en particulier et celui des Turcs ethniques en
général, tout en prévenant la désintégration de l’empire grâce
a la centralisation et a l’homogénéisation (39).

La nation, a commencer par les secteurs du commerce et de la langue,
devait être épurée des ” éléments étrangers ” afin d’instaurer
une culture et une économie nationales (40). Il s’agissait de bâtir
une nation au moyen de la marginalisation ou de la destruction des
composantes non turques du creuset multiculturel millénaire anatolien,
avant tout, un processus qui exigeait de réécrire l’histoire et
la définition des non Turcs comme Autre (41). Dans un long rapport,
Wandel décrit comment, après la prise du pouvoir par la dictature du
CUP, les magasins turcs a Constantinople affichèrent : ” Ce magasin
est musulman. ” (42) Les chrétiens n’étaient pas tous loyaux, mais
selon le diplomate, si les chrétiens étaient en général opposés
au système de centralisation du CUP et au principe ” La Turquie
pour les Turcs ”, ils considérèrent comme nécessaire le fait de
travailler avec le CUP, plutôt que de rompre avec lui, lorsqu’il fut
question d’améliorer leurs conditions d’existence (43). Et cela,
en dépit du fait que les chrétiens de l’empire étaient soumis a
ce que Wandel présente comme un régime répressif et xénophobe,
lequel exercait une discrimination systématique a leur encontre (44).

Du boycott a la persécution violente

Comme l’on sait, l’épuration de 1914 fut lancée initialement via un
boycott économique rigoureux et d’autres mesures d’intimidation (45).

Comme le constate Van der Zee, la région égéenne était
déja peu peuplée et comptait de nombreuses terres arables, avec
beaucoup d’espace pour des colons musulmans, même si les autorités
avaient choisi de ne pas expulser les Grecs (46). Dans la mesure où
l’épuration faisait partie d’un projet économique, elle fut donc mise
en Ŕuvre comme un moyen de créer une économie nationale dominée
par les Turcs et les musulmans – la logique politique l’emporta sur les
préoccupations d’ordre économique durant les années 1910, comme cela
a été souligné (47). L’objectif d’une turcisation économique était
de créer une classe dominée par les Turcs ou des musulmans turcisés,
percus par le CUP (et ensuite par les kémalistes) comme loyaux, non
seulement du fait de leurs caractéristiques ethnico-religieuses, mais
parce qu’ils devaient leur position a ceux qui avaient ” supprimé
la concurrence ”. Les chefs d’entreprises chrétiens, d’autre part,
avaient acquis une certaine indépendance et avaient fini par être
percus comme des obstacles, non seulement a cause de leur origine
ethnique et de leur religion, mais de leur appartenance a une classe
économique percue comme cultivant une allégeance limitée envers
l’Etat (48).

Inga Nalbandian, écrivaine et journaliste correspondante danoise,
mariée a Mardiros Nalbandian, un intellectuel arménien de Galata,
rapporte de Constantinople que des ” agents ” pénètrent dans
le compartiment réservé aux dames sur un ferry du Bosphore et
conseillent aux musulmanes de ne pas faire d’achats auprès de
chrétiens. Elle signale aussi que cela n’est qu’une petite partie
d’une campagne chauviniste plus vaste, destinée a ruiner de nombreux
chrétiens. Par exemple, a l’Université de Constantinople, les trois
professeurs grecs furent limogés sans avertissement, ni motif, ainsi
que trois de leurs cinq collègues arméniens. Nalbandian commente
cette politique :

” C’est toute une vague qui s’abat ; le motif du boycott est double.

L’adoption des ” réformes en Asie Mineure ” [les récentes
réformes imposées par les puissances occidentales concernant
les vilayets arm̩niens ottomans РM.B.] Рce chiffon rouge agit̩
face au taureau turc Рdoit ̻tre punie, et s̩v̬rement punie, et
comme il est considéré comme trop dangereux de lancer un massacre
a ciel ouvert, les Arméniens doivent être frappés sur un plan
financier. Et concernant les Grecs – a savoir, les Grecs ottomans -,
la question insulaire encore en suspens joue un grand rôle ; ajoutons
par ailleurs l’animosité nourrie par les Turcs et pas seulement par
le tout puissant Enver Pacha et, a travers lui, tout le gouvernement,
contre les Grecs ottomans, qui compteraient nombre d’hommes riches
ayant versé et continuant de verser des sommes importantes pour la
marine grecque. ” (49)

Mais, comme le boycott n’eut pas l’effet escompté – ” [tandis que]
les rayah [bétail] grecs s’accrochaient néanmoins a leurs champs
”, comme le note Van der Zee (50) -, l’épuration des Grecs prit
la forme d’une violente persécution. Comme le rapporte le consul,
le 19 juin 1914 :

” Suite a des allusions ouvertes selon lesquelles il serait
souhaitable pour eux de partir [d’Adramyt / Edremit – MB], des
menaces de mise a mort ont été formulées et, finalement, ces
menaces commencent a prendre forme via le meurtre de villageois
revenant de leurs champs et l’agression des citadins. Un règne de
terreur est institué et les Grecs, saisis de panique, s’enfuient
aussi vite qu’ils le peuvent dans l’île voisine de Mytilène. Le
mouvement s’étend rapidement a Kemer, Kilissekeuy, Kinick, Pergamos
et Soma. Des bachi-bouzouks [troupes turques d’irréguliers – MB]
armés attaquent les populations locales, s’emparent du bétail,
chassent les habitants de leurs fermes, dont ils ont pris possession
par la force. Les détails de ce qui eut lieu [sont] atroces ;
les femmes furent violées, les jeunes filles enlevées, certaines
périssant du fait des mauvais traitements subis, les nourrissons au
sein abattus ou mutilés avec leurs mères. ” (51)

Ces bachi-bouzouks, qualifiés alternativement de ” bandes turques ”
ou de tchétés dans les rapports, étaient au nombre de 8 a 10 000
dans le seul vilayet d’Aidin, financés et administrés, d’après
Van der Zee, par l’Etat (52). Beaucoup de ces bandes comptaient des
membres de l’Organisation Spéciale (OS), ainsi que des réfugiés
musulmans radicalisés, originaires des Balkans et du Caucase,
nommés muhadjirs (53), qui pillèrent et massacrèrent ” autant
de Grecs, qu’ils haïssaient, que possible ” (54). Par la suite,
ces bandes attaquèrent aussi de manière systématique les citoyens
grecs non ottomans et leurs biens, et la justification donnée
par les autorités pouvait indiquer que l’opération n’était pas
seulement considérée comme une mesure sécuritaire, mais revêtait
une logique idéologique, pour ne pas dire xénophobe : ” Que les
étrangers partent et achètent des fermes dans leurs terres ! ” (55)
Hans-Lukas Kieser soutient que, pour le CUP, l’épuration constituait
aussi ” des représailles pour le mal que, selon cette instance,
les musulmans sous domination grecque avaient enduré depuis les
guerres balkaniques ” (56). Comme le rapporte le journal danois
København, en date du 17 juin 1914, après ces guerres, le ”
harcèlement administratif grec ” poussa des dizaines de milliers
de musulmans a abandonner leurs foyers (57). Le CUP et au moins un
nombre considérable de muhadjirs s’étaient donc radicalisés au
point de devenir anti-chrétiens, et bien que les chrétiens qu’ils
persécutaient maintenant appartenaient a des populations qui vivaient
en Anatolie depuis des milliers d’années, ils n’étaient pas seulement
désignés comme ” infidèles ”, mais aussi comme ” étrangers ”
(58).

Ayhan Aktar décrit les événements dans la région égéenne comme ”
une tension se manifestant a travers un comportement de foule hostile
et une bureaucratie d’Etat davantage nationaliste […] ” (59),
sans parvenir a établir un lien entre ces manifestations. Or, selon
Kuchcubachızâde Esref, un dirigeant de l’Organisation Spéciale,
l’épuration était de fait un événement planifié. Ce denier cite
Enver Pacha, déclarant le 23 février 1914 que les non musulmans
devaient être éliminés, ces derniers ayant démontré qu’ils
ne soutenaient pas la continuité de l’Etat, et que le salut de ce
même Etat était lié a des mesures drastiques les visant (60). Le
consul général de Russie a Smyrne, Andrew D. Kalmykow, relate un
entretien qu’il eut a cette époque avec le ministre de l’Intérieur
Talaat Pacha, en présence de Rahmi Bey. Selon Kalmykow, l’échange
qui suit eut lieu entre Rahmi et Talaat : ” Que puis-je faire ? –
demanda le vali en souriant. Nous avons envoyé des fermiers turcs
coloniser la côte, mais les paysans grecs ne voudront pas cohabiter
avec eux, ni partir de leur propre gré. ” ” Non, Rahmi ! – répondit
Talaat Pacha. Les Grecs ne peuvent pas rester. Ils sont obligés de
partir. Ils doivent s’en aller ! ” (61)

Le massacre de Phocea, au nord de la ville de Smyrne, qui débuta dans
la nuit du 12 juin [1914], fut l’une des pires agressions de cette
campagne. Après avoir pillé les villages au sud de Menemen, obligeant
les Grecs a fuir, les bachi-bouzouks attaquèrent la ville de Phocea
sur trois côtés – d’après Van der Zee, ils furent aidés par des
Crétois qui travaillaient dans les dépôts de sel, se référant
a des Crétois musulmans qui avaient auparavant émigré ou été
expulsés (62).

Le 25 juin, le consul cite un témoin oculaire de la destruction de
la ville :

” En l’espace d’un quart d’heure, après que l’assaut ait débuté,
chaque embarcation dans le port était bondée de gens essayant
de partir et, lorsqu’on ne put trouver d’autres embarcations, les
habitants cherchèrent refuge sur la petite péninsule où s’élevait
le phare. Je vis onze corps d’hommes et de femmes gisant morts sur
le rivage. Je ne saurais dire combien furent tués, mais tentant
de pénétrer dans une maison dont la porte était entrouverte, je
découvris deux autres cadavres gisant dans l’entrée. Chaque magasin
de la ville fut pillé et les produits qui ne pouvaient être emmenés
étaient détruits sans raison. ” (63)

Les autorités tentèrent apparemment de couvrir cet assaut, mais deux
jours après, un bateau a vapeur francais arrivant a Smyrne diffusa la
nouvelle (64). L’équipage avait apercu un grand nombre de gens sur
le promontoire et embarqua quelque 700 ” malheureux a demi affamés
” vers Mytilène. La, les autorités envoyèrent des bateaux afin
de porter secours aux 5 a 6 000 rescapés et les amener sur l’île
(65). D’après le témoin oculaire francais Manciet, cette ville qui
comptait entre 8 et 9 000 Grecs d’origine et environ 400 Turcs fut
méthodiquement détruite et pillée par des bandes bien armées, et
bien que les autorités de Smyrne envoyèrent des troupes régulières
a Phocea, officiellement pour y rétablir l’ordre, ces soldats
continuèrent de détruire la ville. Manciet se déclare persuadé que
les bachi-bouzouks étaient organisés et armés par les autorités
afin d’expulser les chrétiens (66). Les attaques simultanées contre
les Grecs de la péninsule de Kara Bournou, qui coïncidèrent avec
l’installation de 600 familles muhadjirs a Kato-Panayia et celle de
plusieurs autres, de même origine, a Tchesmé, devant se substituer
aux Grecs d’Alatsata, indiquent de même qu’une campagne anti-Grecs
de grande ampleur, organisée et efficace, avait lieu (67). Les Grecs
fuirent la région par dizaines de milliers afin d’éviter pillages et
massacres, tandis que les muhadjirs étaient aidés par les autorités
locales pour les chasser et s’emparer de leurs biens (68).

Par exemple, Ayhan Aktar relate comment les Grecs de la ville côtière
de Tchesmé, face a l’île de Chios, s’enfuirent immédiatement, après
que Hilmi Uran ait été nommé gouverneur de la ville en mai 1914 :
” Quelques jours seulement après l’arrivée [d’Uran], la communauté
grecque dans et autour de Tchesmé fut saisie de panique et organisa
les moyens de transport vers l’île la plus proche, Chios. Quelque 40
000 Grecs émigrèrent en deux semaines. ” (69) Le calendrier peut
apparaître comme une coïncidence, or il semble plus probable que ce
dernier renvoie au caractère organisé de l’épuration, avec l’aide
d’officiels locaux nommés par les autorités centrales pour mettre
en Ŕuvre le projet. Ce fut apparemment aussi le cas, lorsque, en juin
1913, Mehmed Rechid, un Jeune-Turc radical, ardent nationaliste animé
d’une haine d’inspiration religieuse et raciale envers les chrétiens,
fut précipitamment nommé mutassarif de la sous-province de Karesi,
au nord de la région égéenne, où il s’employa a expulser les Grecs
(70).

Quant a Tchesmé, les Grecs s’enfuirent si rapidement que leurs
maisons et leurs biens furent laissés en grande partie intacts. En
tant que gouverneur du lieu, Uran eut la responsabilité d’organiser
la redistribution méthodique des biens des Grecs, mais avant qu’il
ne puisse s’acquitter de sa tâche, l’endroit fut pillé par la
population locale ou des muhadjirs en provenance de Salonique (71).

En général, les bachi-bouzouks semblent n’avoir rencontré que peu de
résistance, mais dans le village de Serekieuy, district de Menemen,
les Grecs formèrent une résistance armée qui se traduisit par une
lutte féroce, quatre heures durant, jusqu’a ce que les défenseurs
manquassent de munitions. Les villageois, en nombre inférieur et
sans fusils, livrèrent alors un combat au corps a corps, jusqu’a
ce qu’ils soient massacrés (72). Quelques-uns parvinrent a s’enfuir
vers la ville voisine de Menemen, mais comme cette dernière comptait
quelque 20 000 habitants, les bachi-bouzouks abattirent tous les
habitants qui abandonnaient la ville, sans pour autant oser tenter
une attaque directe. Ce qui pourrait renvoyer au fait que, même si
la turcisation au moyen des persécutions constituait la politique
du CUP, il s’agissait d’une politique qui, du moins sur ce point,
ne pouvait être suivie trop ouvertement ou a l’aide d’un recours
généralisé aux forces militaires régulières (73). De manière
furtive, un ” déni plausible ” et des préoccupations d’ordre
politique l’emportaient sur la volonté d’épurer totalement la
zone. L’on estime néanmoins qu’entre 150 et 200 000 Grecs ottomans
abandonnèrent leurs foyers avant l’éclatement de la Première
Guerre mondiale, que ce soit par la force directe ou, comme cela a
été avancé, ” volontairement ”, autrement dit sous la menace de
la force (74).

1914 : déni et signification

En dépit des tentatives pour maintenir le secret sur cette épuration
et nier tant son existence que sa responsabilité a cet égard, le
gouvernement ottoman dut rapidement changer de cap, en particulier
du fait des pressions de la France. Par ailleurs, les persécutions
suscitèrent l’ire et l’amertume de la Grèce, qui se mit a mobiliser
ses forces, comme le fit l’empire ottoman, mais le CUP avait conscience
de ne pas être prêt a une guerre que beaucoup estimaient probable,
si l’épuration ne cessait pas (75). Par exemple, dans un entretien
avec un quotidien danois en juin 1914, le roi de Grèce Constantin Ier
déclare que la paix ne pourra être maintenue, aussi longtemps que
la persécution des Grecs se poursuivra (76). Dans son édition du 26
avril 1914, le journal danois Nationaltidende rapporte que le consul
de Grèce a Smyrne a tenté d’approcher Rahmi Bey afin de clarifier
le sujet des expulsions, mais qu’il obtint pour toute réponse que ce
dernier ” était parti a la campagne ” (77). Après des consultations
avec l’ambassadeur d’Autriche a Constantinople, Johann Pallavicini,
Wandel fut convaincu que, même si ni la Grèce, ni l’empire ottoman
n’étaient prêts a une guerre, une telle guerre était inévitable
dans un avenir proche ; il était aussi persuadé que les Grecs
d’Anatolie connaîtraient le pire destin qu’ils aient jamais connu
(78). Prédiction des plus exacte, car durant la Première Guerre
mondiale des persécutions plus violentes encore frapperont de manière
systématique les Grecs (79). Et en juin 1917, la Grèce rejoindra
finalement ses alliés dans la guerre contre l’empire ottoman.

Concernant le développement de la politique de déni de la part du
CUP, les réactions officielles aux événements de 1914 renvoient a
certains aspects du déni contemporain (et présent), par exemple,
du génocide arménien : la thèse selon laquelle le gouvernement,
lorsqu’il en vint aux massacres et aux persécutions, n’avait aucun
contrôle sur les officiels locaux ou les bandes de tueurs désignées,
et les tentatives de contrôler les préjudices exercés en étouffant
les affaires, déplacant les responsabilités et utilisant la
propagande. Talaat déclara en juin 1914 que les ” incidents
regrettables ” dans la région de Smyrne s’étaient produits car
beaucoup d’officiels locaux croyaient encore que les ordres qu’ils
recevaient du gouvernement visant a protéger la population grecque
étaient envoyés sous la pression des grandes puissances, autrement
dit non envoyés pour de bon (80).

D’après Talaat, l’entière responsabilité de ces méfaits incombait
donc a Rahmi Bey. Henry Morgenthau, ambassadeur des Etats-Unis
a Constantinople, rapporte que Talaat n’admettait pas que les
officiels du gouvernement fussent entièrement responsables de ce
qu’il qualifiait de ” soulèvements ”. Ce qui, au passage, pourrait
constituer une reconnaissance implicite du fait que les officiels
assumaient la responsabilité principale de ces événements (81).

Talaat alla jusqu’a entreprendre que ce Van der Zee nomme une ”
tournée grotesque ” des villes et localités de la région de
Smyrne, faisant des discours promettant une sécurité entière,
alors que les Grecs locaux devaient rester chez eux pour ne pas être
maltraités ou abattus (82). D’après un télégramme de Talaat a la
Porte, envoyé durant son séjour a Smyrne, la cour martiale de cette
ville condamna 47 personnes a des peines allant de trois a cinq ans
de prison pour avoir pillé des biens appartenant a des Grecs. Ce qui
pourrait indiquer que le ministre de l’Intérieur voulait adresser un
message selon lequel les persécutions anti-Grecs n’étaient, du moins
officiellement, pas, ou plus, acceptables. Il est aussi rapporté que
deux Grecs seraient jugés, car ils auraient amené les Grecs a quitter
le pays en répandant la rumeur de massacres de la part des Turcs (83).

Talaat prétend aussi que les Grecs de la région de Tchesmé
sont partis volontairement et qu’ils n’ont jamais été attaqués
(84). Impossible de déterminer a partir de ces sources si Talaat,
a ce moment-la, avait vraiment décidé que la campagne lancée sous
ses auspices dÔt être alors stoppée ou mise en attente. Van der Zee
ne voit cependant aucune raison d’avoir confiance dans les autorités :

” Pour ajouter un épisode de plus a cette misérable farce, le
gouvernement impérial s’intéresse aux délégués [les drogmans,
autrement dit les interprètes représentant les principales ambassades
étrangères – MB], afin de montrer a l’Europe civilisée que la tâche
de réparation est menée avec sincérité ; il promène maintenant ces
messieurs dans des automobiles et des trains spéciaux, leur prodiguant
de bons dîners et des vins fins, tandis que les victimes de ses
atrocités mendient leur pain ou vivent de la charité qui leur est
octroyée. J’ignore ce que ces représentants des grandes puissances
auront a leur dire, mais, de toute manière, une chose est sÔre :
quel que soit leur rapport, les mesures tyranniques ne cesseront pas,
bien qu’elles soient exécutées plus ou moins ouvertement, comme le
prouve définitivement le communiqué du Grand Vizir aux compagnies
américaines. Dans son communiqué a la Singer Co., sise a Smyrne,
le consul général des Etats-Unis Horton déclare qu’il ” a recu
pour instruction, de la part de [son] ambassadeur, de l’informer
qu’il a obtenu l’assurance du Grand Vizir que, durant deux mois, les
employés grecs ne seront pas importunés, mais qu’a l’expiration de
ce délai, ils devront être remplacés ” (85).

L’appréciation (peut-être inexacte), par le consul, de la fonction
de drogman était partagée par l’ambassadeur de Grande-Bretagne a
Constantinople, Sir Louis Mallet, lequel précise a Morgenthau que
les puissances européennes s’apprêtent a ” blanchir ” l’empire,
car déclencher maintenant un conflit ne leur paraît pas opportun.

Tandis que l’on affirme officiellement qu’un millier seulement de
Grecs ont quitté l’empire et qu’ils l’ont fait de leur propre gré
et contre le souhait des autorités, la presse ottomane reconnaît
que les persécutions, quoique censées revêtir un caractère non
autorisé, sont généralisées. D’après l’ambassadeur Wandel, Tanin
relate que, pendant qu’une meute de 8 a 10 000 pillards poursuit ses
actes de violence autour de Smyrne, le gouvernement a pris des mesures
qui rétabliront indubitablement l’ordre. Autre journal officiel,
Tercuman-i Hakikat affirme que les puissances, en ne dénoncant pas
explicitement la politique ottomane concernant la Grèce et les Grecs
ottomans, approuvent en fait l’attitude de l’empire. Que cela soit
vrai ou non compte peut-être moins que le fait que les nationalistes
turcs se sentirent en quelque sorte encouragés par l’absence d’une
intervention ext̩rieure ̩nergique Рapr̬s tout, ni la Gr̬ce,
ni quelque autre nation s’avéra disposée a entrer en guerre contre
l’empire ottoman afin de porter secours a une minorité persécutée.

Les journaux ottomans tentèrent cependant de donner l’impression que
la Grèce ou les Grecs en général étaient également responsables
de ces ” incidents ”, comme lorsqu’ils signalent des bandes de
pillards grecs, présentés comme tels, utilisant les îles de la
mer Egée comme bases pour leurs raids. Cette thèse peut même
être exagérée, si l’on songe au fait que Stamboul l’illustre en
citant un télégramme relatant un incident concernant un bateau
avec trois pillards grecs qui auraient tiré sur des personnes
près de Tchesmé. Or rien ne prouve que Wandel, pas plus que Van
der Zee, ait jugé la propagande officielle digne de foi. Wandel fut
convaincu par les rapports de son consul sur l’épuration des Grecs,
comme en témoigne une lettre adressée a celui-ci. Wandel mentionne
les rapports des 19 et 25 juin, lesquels, souligne-t-il, ont été
envoyés, contrairement a la procédure habituelle, directement au
ministère danois des Affaires Etrangères.

Remarques conclusives

En 1914, l’objectif de la turcisation n’est pas d’exterminer, mais
d’expulser autant de Grecs de la région égéenne que possible, non
seulement par ” mesure de sécurité ”, mais dans le déploiement
d’une politique de boycott économique et politique, tout en créant
parallèlement un espace vital pour les muhadjirs chassés de leurs
foyers dans des conditions tout aussi brutales. Cette politique
se nourrit d’une idéologie politique radicalement exclusionniste,
pertinemment définie par Aktar, bien qu’il semble l’appliquer a un
contexte de l’après-Première Guerre mondiale : ” Le programme de
turcisation peut […] être défini en pratique comme un ensemble
de politiques visant a établir la suprématie inconditionnelle de
l’identité ethnique turque dans quasiment tous les aspects de la vie
sociale et économique. ” Wandel estimait que les pertes résultant
des persécutions étaient irréparables, puisqu’une ” classe de gens
industrieux avait été chassée, alors que la province était déja
faiblement peuplée. L’on peut prédire que la province pâtira des
résultats de cet échec politique durant les années a venir. ” Cette
opinion est encore partagée par des chercheurs aujourd’hui, lorsqu’ils
évaluent les conséquences de la disparition virtuelle des chrétiens
d’Asie Mineure. Or les possibilités créées pour les musulmans de
prendre la relève, après le départ des Grecs, en devenant eux-mêmes
entrepreneurs ; les expériences pratiques d’épuration ethnique ;
l’impunité générale dont bénéficièrent les perpétrateurs ;
et le relatif ” succès ” politique de l’épuration – Grecs fuyant
par dizaines de milliers, abandonnant leurs maisons et leurs biens pour
qu’ils soient repris par des réfugiés musulmans -, tout cela signifie
que des mesures encore plus radicales pouvaient être considérées non
seulement comme possibles, mais bien comme une autre extension d’une
politique d’ingénierie sociale au moyen de la turcisation. En outre,
comme le confiera Talaat a Morgenthau durant le génocide arménien :
” Les pertes commerciales ne nous importent en rien. ”

Aux yeux du CUP, un des avantages majeurs de la turcisation était
que les puissances européennes fussent mises en présence d’un fait
accompli. Les chrétiens, qui avaient servi d’alibi pour une ingérence
dans ce que le CUP considérait comme les affaires intérieures de
l’empire, devaient partir. La politique d’épuration menée en 1914
renvoie donc a la politique d’extermination de la Première Guerre
mondiale, sinon dans le sens que cette politique fut programmée pour
s’inscrire dans un ” grand projet ” de ce qui a été qualifié de
génocides partiels et globaux, du moins en ce sens qu’ils étaient
profondément liés. Il convient de ne pas ignorer certains aspects
tels que les différences entre l’objectif et la mise en Å”uvre des
événements de 1914 et le génocide arménien, et que l’empire ottoman
déclinant était dans une situation difficile pouvant conduire a
des décisions affectant des groupes non turcs, lesquelles furent
davantage dictées par les circonstances que par une adhésion au
principe de turcisation. Or tout laisse penser que ces politiques
anti-Grecs et anti-Arméniens résultèrent dans une large mesure
de débats ” rationnels ” et xénophobes étroitement liés,
intrinsèquement génocidaires. Des liens institutionnels existent,
allant du CUP via la Direction générale de l’Installation des tribus
et des réfugiés a l’Organisation Spéciale. Des liens idéologiques,
plus ou moins rudimentaires, existent – ” la Turquie aux Turcs ”,
l’identification de ” l’ennemi intérieur ” (Grecs, Arméniens)
avec ” l’ennemi extérieur ” (la Grèce, l’Entente). Des liens
économiques existent, dans la mesure où la disparition de la ”
concurrence chrétienne ” était susceptible d’ouvrir la voie a une
économie nationale turco-musulmane.

Et des liens personnels existent, incarnés de la facon peut-être
la plus frappante par Mehmed Rechid, mentionné plus haut. En 1914,
il s’impliqua dans l’épuration des Grecs, tandis qu’il dirigera
l’extermination des Arméniens et des Assyriens dans la région de
Diyarbakir en 1915-16. Lewis Einstein, de l’ambassade des Etats-Unis
a Constantinople, écrit dans son journal, le 1er mai 1915, que,
bien que menacé militairement de tous côtés durant la Première
Guerre mondiale, le gouvernement ottoman est enclin a briser les
vestiges d’une soi-disant opposition politique : ” Ils ont écrasé
l’opposition turque, ils ont expulsé les Grecs, et maintenant c’est le
tour des Arméniens […] ”. Wandel estime que la raison pour laquelle
le CUP agit ainsi est fondamentalement de préserver son pouvoir
par tous les moyens, pour lui-même en particulier et pour les Turcs
en général. Or le pouvoir peut être obtenu ou préservé grâce
a de nombreux moyens et les preuves suggèrent que le CUP choisit
délibérément les moyens qui impliquaient une persécution ou une
destruction de groupe, conduisant au lien peut-être le plus important
entre les destins des Grecs et des Arméniens : la disparition quasi
complète de ces deux groupes du territoire turco-ottoman.

Notes

1. Ioannis K. Hassiotis, ” The Armenian genocide and the Greeks :
response and records (1915-1923) ”, in : Richard G. Hovanissian,
éd., The Armenian Genocide : History, Politics, Ethics, Londres :
Macmillan, 1992, p. 135.

2. Pour une intéressante exception, voir l’étude de James J. Reid,
” Necrophilia and alienation, or death and exile ”, Journal of the
Society for Armenian Studies, vol. 9, 1996-97, p. 105.123.

3. UM, 139, D. 1., ” Tyrkiet – Indre Forhold ”, pk. 2, N° CLXXV,
20/12, 1917. Voir aussi Ayhan Aktar, ” Debating the Armenian massacres
in the last Ottoman parliament, November-December 1918 ”, History
Workshop Journal, Vol. 64, 2007, p. 260.

4. UM, 139, N. 1., ” Armenien ”, N° LIV, 10/3, 1916.

5. George E. White, ” Some non-conforming Turks ”, Moslem World, Vol.

8, No 3, 1918, p. 248, cité in Hans-Lukas Kieser, ” Some remarks on
Alevi responses to the Missionaries in Eastern Anatolia (19th-20th
cc.) ”, 2000 – lien :
(consulté en décembre 2005).

6. ” The total of Armenian and Syrian dead ”, Current History
Magazine, November 1916.

7. Sur cette organisation, voir Matthias Bjørnlund, ” Karen
Jeppe, Aage Meyer Benedictsen, and the Ottoman Armenians
: National survival in imperial and colonial settings ”,
Haigazian Armenological Review, vol. 28, 2008, p. 9-43 – lien :
8. Armeniervennen, Vol. 5,
Nos 1-2, 1925, p. 5. Ulrichsen séjourna dans l’empire ottoman, puis
en Turquie, durant des périodes substantielles en 1919 et 1924 :
UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Kopibog 1914-1921 ”, No 13, 7/4, 1919 ; Armeniervennen,
Vol. 5, Nos 1-2, 1925, p. 4-5. Lors de son séjour en en 1924, il
écrit (id., p. 5) : ” Des milliers de riches Grecs ont quitté
précipitamment Constantinople, lorsqu’ils apprirent le sort de
leurs compatriotes a Smyrne. Des milliers d’autres se retrouvent
sans travail, simplement parce qu’ils sont chrétiens. L’exigence des
Jeunes-Turcs selon laquelle tous les citoyens sont égaux aux yeux de
la loi a même été abandonnée par les Jeunes-Turcs, bien avant. Les
mêmes kémalistes, qui ont aboli le califat et dont les dirigeants
se déclaraient indifférents en matière religieuse, réclament
maintenant que seuls des musulmans travaillent pour l’Etat et les
compagnies autorisées. Brousse [Bursa], que la confrérie étudiante
a visité en juillet cette année, a déja été nettoyée de ses
Grecs et de ses Arméniens. Le quartier le plus prospère est vide,
les églises et les écoles sont a l’abandon, les fenêtres brisées,
le mobilier plus ou moins détruit. ” (A moins que cela ne soit
indiqué ailleurs, toutes les traductions [anglaises] sont de l’A. –
MB). Sur la persécution des Juifs ottomans, voir par ex.

Matthias Bjørnlund, ” ‘When the cannons talk, the diplomats must
be silent’ : un diplomate danois a Constantinople durant le génocide
arménien ”, Genocide Studies and Prevention, Vol. I, N° 2, 2006, p.

208-209.

9. Soner Cagaptay, Islam, Secularism, and Nationalism in Modern Turkey,
Londres – New York : Routledge, 2006, p. 9.

10. Hilmar Kaiser, ” The Ottoman government and the end
of the Ottoman social formation, 1915-1917 ”, 2001 – lien :
(consulté
en aoÔt 2007) ; Nesim Seker, ” Demographic engineering in the late
Ottoman Empire and the Armenians ”, Middle Eastern Studies, Vol. 43,
No 43, 2007, p. 463.

11. Voir, par ex., Taner Akcam, A Shameful Act : The Armenian Genocide
and the Question of Turkish Responsability, New York : Metropolitan
Books, 2006, p. 102-103 ; Hans-Lukas Kieser, ” Armenians, Turks,
and Europe in the shadow of World War I : recent historiographical
developments ”, in : Hans-Lukas Kieser et Elmar Plozza, éd.,
Der Völkermord an den Armeniern, die Turkei und Europa/The Armenian
Genocide, Turkey and Europe, Zurich : Chronos Verlag, 2006, p. 48 : ”
Le sort des Arméniens dans le contexte d’une guerre totale n’apparaît
pas comme un monolithe isolé : tout montre qu’il fait partie du
puzzle – marquant le sommet de l’iceberg – d’une violence et d’une
coercition étatiques visant a la construction d’une nation ethnique
turque en Anatolie, en opposition a d’autres projets politiques. Les
expériences des Ottomans orthodoxes (Rum) expulsés ou ” échangés
” et des Assyriens/Syriaques (Suryani et Asuri) massacrés, ainsi
que celles des musulmans et des muhacir réinstallés (réfugiés
des Balkans et du Caucase, a mesure qu’ils étaient assimilés au
sein de la nation turque en Anatolie) s’inscrivent dans un panorama
plus large. ” 12. Akcam, Genocide Studies and Prevention, 2006,
p. 133-134. Voir aussi David Gaunt, Massacres, Resistance, Protectors
: Muslim-Christian Relations in Eastern Anatolia During World War I,
Piscataway, NJ / Gorgias Press, 2006, p. 65.

13. Sur les utilisations de l’expression ” épuration ethnique
” pour décrire ces événements, voir Roger W. Smith, ”
Introduction ”, in : Morgenthau, 2003, p. xxxiv, et Halil Berktay,
” A genocide, three constituencies, thoughts for the future (Part
I) ”, Armenian Weekly, Vol. 73, No 16, 21 April 2007 – lien :
(consulté
en aoÔt 2007). D’après Smith, 1973, p. 31, les événements de 1914
ne furent ” pas un ‘massacre’ au sens des massacres d’Arméniens et
de Bulgares, bien que de nombreux cas de meurtres, destructions et
viols se soient produits. Ce fut ce que les Grecs nomment diogmos –
persécution. ” 14. Henry Morgenthau, Ambassador Morgenthau’s Story,
Wayne State : Wayne State University Press, 2003 (1ère éd. 1918),
p. 222-223 ; Taner Akcam, From Empire to Republic : Turkish
Nationalism and the Armenian Genocide, Londres et New York : Zed
Books, 2004, p. 147 ; Arnold Toynbee, The Western Question in Greece
and Turkey, Londres, 1992 (1ère éd. 1922), p. 140 ; A. A. Pallis,
” Racial migrations in the Balkans during the years 1912-1924 ”,
The Geographical Journal, Vol.

66, No 4, 1925, p. 318. D’après Van der Zee, entre 70 et 80
000 Grecs furent expulsés avant juin 1914 : UM, 5. L. 15., ”
Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold ”, pk. 1, No 41, 27/6, 1914.

15. Nationaltidende, 19 avril 1914 ; 26 avril 1914 ; 19 mai 1914.

16. Nationaltidende, 30 avril 1914.

17. Akcam, 2004, p. 144-149.

18. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk
repræsentation.

1822-1920. Korrespondencesager vedr. Danske konsulater i Levanten
1864-1918 ”, pk. 27, ” Upplysningar om danska konsulstjänstmän
och om d. vicekonsulars [illisible] 1911 ”, 12/1, 1911.

19. Ibid.

20. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk
repræsentation.

1822-1920. Korrespondencesager vedr. Danske konsulater i Levanten
1864-1918 ”, pk. 27, ” Cons. de Danemark, Smyrne ”, 31/3, 1910.

21. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk
repræsentation.

1822-1920. Korrespondencesager vedr. Danske konsulater i Levanten
1864-1918 ”, pk. 27, ” Upplysningar om danska konsulstjänstmän och
om d. vicekonsulars [illisible] 1911 ”, 2/11, 1911. Des membres de la
famille De Jongh, le marchand Oscar De Jongh et son épouse, furent
tués par la cavalerie turque le 9 septembre 1922, le premier jour
de la destruction de Smyrne : Daily Telegraph, 29 septembre 1922, in
Lysimachos Oeconomos, The Tragedy of the Christian Near East, Londres
: The Anglo-Hellenic League, 1923, p. 7-8. Voir aussi George Horton,
The Blight of Asia : An Account of the Systematic Extermination of
Christian Populations by Mohammedans and of the Culpability of Certain
Great Powers ; with the True Story of the Burning of Smyrna, Londres :
Sterndale Classics, 2003 (1ère éd. 1926), p. 85.

22. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
25/6, 1914. Voir aussi Horton, 2003, p. 28-34.

23. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
19/6, 1914 ; UM, 5. L. 15., ” Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold
”, pk.

1, No 31, 23/6, 1914. Sur l’importance pour le CUP de reprendre les
îles sous domination grecque : Ahmed Djemal Pacha, Erinnerungen eines
Turkischen Staatsmannes, Munich : Drei Masken Verlag, 1922, p. 17,
55, 111-112 ; William Peter Kaldis, ” Background for conflict :
Greece, Turkey, and the Aegean Islands, 1912-1914 ”, Journal of
Modern History, Vol. 51, No 2, 1979, p. 1119-1146 ; Henry Morgenthau,
United States Diplomacy on the Bosphorus : The Diaries of Ambassador
Morgenthau, 1913-1916, comp. et intr. Ara Sarafian, Princeton et
Londres : Gomidas Institute, 2004, p. 19-20.

24. Michael Llewellyn Smith, Ionian Vision : Greece in Asia Minor
1919-1922, Londres : Allen Lane, 1973, p. 32.

25. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916
”, 19/6, 1914. Les citations de Van der Zee, extraites de rapports
écrits en anglais, ont été publiées en toute discrétion.

26. Hans-Lukas Kieser, ” Dr Mehmed Reshid (1873-1919) : a political
doctor ”, in : Hans-Lukas Kieser et Dominik J. Schaller, éd., Der
Völkermord an den Armeniern und die Shoah/The Armenian Genocide
and the Shoah, Zurich : Chronos Verlag, 2002, p. 257. Suite a une
conversation avec Bedri Bey, chef de la police de Constantinople,
Morgenthau écrit dans son journal, le 25 mai 1914, qu’il pense que le
CUP a pour objectif d’expulser les Grecs, ainsi que les Bulgares, les
Serbes et les Albanais : Morgenthau, 2004, p. 60-61. Le 2 juillet 1914,
il a un entretien avec Talaat, qui semble ” déterminé a pousser
les Grecs des campagnes, non des villes, a quitter leur pays ”
(ibid., p. 74).

27. Voir, par ex., Ugur Umit Ungör, ” When persecution bleeds into
mass murder : the processive nature of genocide ”, Genocide Studies
and Prevention, Vol. 1, No 2, 2006, p. 173.

28. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk
repræsentation.

1914-1922. Noter og indberetninger om den politiske udvikling ”,
” Verdenskrigen. Politiske Indberetninger om Tyrkiets Stilling,
Juni 1917-Aug. 1918 ”, No LXVII, 24/7, 1918.

29. Yannis G. Mourelos, ” The 1914 persecutions and the first
attempt at a exchange of minorities between Greece and Turkey ”,
Balkan Studies, Vol. 26, No 2, 1985 ; Ayhan Aktar, ” Homogenising
the nation, Turkifying the economy : the Turkish experience of the
population exchange reconsidered ”, in : Renée Hischon, éd.,
Crossing the Aegean : An Appraisal of the 1923 Compulsory Population
Exchange between Greece and Turkey, New York – Oxford : Berghahn
Books, 2003, p. 83 ; Smith, 1973, p. 32-33 ; Norman M. Naimark, Fires
of Hatred : Ethnic Cleansing in Twentieth-Century Europe, Harvard :
Harvard University Press, 2001, p. 43. Concernant les persécutions
antérieures de chrétiens en Macédoine, voir Marjorie Housepian,
The Smyrna Affair : The First Comprehensive Account of the Burning
of the City and the Expulsion of the Christians from Turkey in 1922,
New York : Harcourt, 1971, p. 19-20.

30. Taner Akcam, ” The Ottoman documents and the genocidal policies
of the Committee of Union and Progress [Ittihat ve Terraki] towards
the Armenians in 1915 ”, Genocide Studies and Prevention, Vol. 1,
No 2, 2006, p. 133.

31. Donald Bloxham, ” Determinants of the Armenian genocide ”, in
: Richard G. Hovannisian, éd., Looking Backward, Moving Forward :
Confronting the Armenian Genocide, New Brunswick : Transaction, 2003,
p. 29-30.

32. Akcam, Genocide Studies and Prevention, 2006, p. 134-135. Voir
aussi Bjørnlund, ibid., p. 206-209. Sur la turcisation continue des
Kurdes et autres groupes non turcs durant les années 1920 et 1930,
voir Cagaptay, 2006, passim.

33. UM, 139. D. 1., ” Tyrkiet-Indre Forhold ”, pk. 1, No II, 24/7,
1914. Voir aussi Bloxham, in Hovannisian, éd., 2003, p. 28 ; Anahide
Ter Minassian, ” Van 1915 ”, in : Richard G. Hovannisian, éd.,
Armenian Van / Vaspurakan, Costa Mesa, CA : Mazda, 2000, p. 211.

34. Voir, par ex., Hugh Poulton, Top Hat, Grey Wolf and Crescent –
Turkish Nationalism and the Turkish Republic, Londres : Hurst, 1997,
p. 80-81 ; Christopher J. Walker, Armenia – The Survival of a Nation,
New York : St. Martins Press, 1981, p. 188-195 ; Akcam, 2004, p. 65.

35. Feroz Ahmad, The Young Turks : The Committee of Union and Progress
in Turkish politics, Oxford : Oxford University Press, 1969, p. 163.

36. Voir, par ex., Erik J. Zurcher, Turkey – A Modern History,
Londres : I. B. Tauris, 1997, p. 132-137.

37. UM, 139. D. 1., ” Tyrkiet-Indre Forhold ”, pk. 1, No CLX,
22/9, 1915.

38. Ugur Umit Ungör, ” A reign of terror – CUP rule in Diyarbekir
Province, 1913-1918 ”, thèse de mastère, Université d’Amsterdam,
2005, p. 6.

39. Ronald Grigor Suny, ” The holocaust before the Holocaust :
reflections on the Armenian genocide ”, in : Kieser et Schaller,
éd., 2002, p. 94-98 ; Bloxham, in Hovannisian, éd., 2003, p. 24-34 ;
Ungör, 2005, p. 13-15, 17 f.

40. Ungör, 2005, p. 20-21 ; Akcam, 2004, p. 138-139. Sur le lien
entre la politique linguistique du CUP et le génocide qui suivit
: Hilmar Kaiser, Imperialism, Racism, and Development Theories :
The Construction of a Dominant Paradigm on the Ottoman Armenians,
Ann Arbor, MI : Gomidas Institute, 1998, p. 28.

41. Akcam, 2004, p. x ; Robert Melson, ” Provocation or nationalism
: a critical inquiry into the Armenian genocide of 1915 ”, in :
Richard Hovannisian, éd., The Armenian Genocide in Perspective,
New Brunswick : Transaction Publishers, 1986, p. 77.

42. UM, 139. D. 1, ” Politiske Begivenheder i Tyrkiet i 1914 ”,
26/1, 1915.

43. UM, 139. D. 1, ” Tyrkiet-Indre Forhold ”, pk. 1, No II, 24/7,
1914.

44. Ibid.

45. Une des conséquences du boycott fut que les Turcs ne furent pas
autorisés a travailler pour des chrétiens : Morgenthau, 2004, p. 68,
70. Sur la fermeture des églises et des écoles grecques orthodoxes
comme protestation contre le boycott et les persécutions, voir
ibid., p. 70 ; UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk
repræsentation ”, ” Noter og indberetninger om den politiske
udvikling, 1914-1922 ”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov.

1914-marts 1916 ”, 19/6, 1914. Sur les boycotts économiques dans
l’empire ottoman : Halil Inalcik, éd., An Economic and Social History
of the Ottoman Empire, 1300-1914, Cambridge : Cambridge University
Press, 1994, p. 840-841.

46. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916
”, 25/6, 1914. La plupart des muhadjirs qui s’installèrent dans
la région égéenne n’étaient pas familiers avec le climat ou les
conditions agricoles de la zone (beaucoup ne parlaient même pas le
turc), ce qui, d’après le gouverneur local de Tchesmé, Hilmi Uran,
se traduisit rapidement par une dégradation significative du niveau
de vie : Aktar, in Hirschon, éd., 2003, p. 84.

47. Caglar Keyder, ” The consequences of the exchange of populations
for Turkey ”, in : Hirschon, éd., 2003, p. 45.

48. Ibid., p. 51 ; Aktar, in Hirschon, éd., 2003, p. 91.

49. Nationaltidende, 29 avril 1914. Voir aussi Nationaltidende,
20 juin 1914.

50. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
19/6, 1914.

51. Ibid. Sur la violence sexuelle liée aux persécutions de 1914,
voir aussi Horton, 2003, p. 32.

52. Voir aussi Smith, 1973, p. 31.

53. Sur les antécédents des centaines de milliers de muhadjirs,
et leurs expériences atroces durant les guerres balkaniques ou dans
l’empire russe, voir, par ex., Aktar, in Hirschon, éd., 2003, p. 82
; Smith, 1973, p. 30-31 ; Stephen D. Shenfield, ” The Circassians :
a forgotten genocide ? ”, in : Mark Levene et Penny Roberts, éd.,
The Massacre in History, Londres et New York : Berghahn Books, 1999, p.

149-162. Pour un témoignage oculaire danois sur les atrocités
commises par les Bulgares contre des civils musulmans et grecs en
1912 : Franz von Jessen, Mænd og Kampe paa Balkan, Copenhague :
Gyldendal, 1913, p.

236-240.

54. UM, 139. D. 1., ” Politiske Begivenheder i Tyrkiet i 1914 ”,
26/1, 1915, p. 17. Sur une estimation du nombre des bachi-bouzouks :
UM, 5.

L. 15., ” Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold ”, pk. 1, No
31, 23/6, 1914. Sur la ” haine des Turcs vis-a-vis des Grecs ”,
voir aussi Morgenthau, 2004, p. 68 ; Vahram Dadrian, To the Desert
: Pages from My Diary, Princeton et Londres : Gomidas Institute,
2003, p. 8, où l’A. relate qu’en novembre 1914, le jour de la
proclamation du djihad, un rassemblement se tint a Tchorum [Corum]
” auquel les dignitaires grecs et arméniens de la ville furent
aussi conviés. Ceux qui prirent la parole soulignèrent qu’il n’y
avait aucune différence entre les chrétiens, quelle que soit leur
nationalité : ils étaient tous des ennemis malveillants des Turcs. ”
55. UM, 2-0355, ” Konstantinople/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
19/6, 1914.

56. Kieser, in Kieser et Schaller, éd., 2002, p. 257. Voir aussi
Smith, 1973, p. 51.

57. Voir aussi Nationaltidende, 2 avril 1914, relatant comment des
milliers de musulmans ont été récemment expulsés de Salonique.

58. Kieser, in Kieser et Schaller, éd., 2002, p. 257. Rahmi et
d’autres nationalistes radicaux de haut rang, comme Talaat et
Mustafa Kemal (Ataturk), étaient originaires des Balkans. Ils se
radicalisèrent suite a la perte de leur patrie et de membres de
leurs familles et figurèrent parmi les Jeunes-Turcs les plus résolus
quant a la création d’une nouvelle patrie, ethniquement homogène,
en Anatolie.

Pour une introduction : Erik-Jan Zurcher, ” Greek and
Turkish refugees and deportees 1912-1924 ”, 2003 – lien :
(consulté
en aoÔt 2007). Voir aussi Akcam, A Shameful Act, 2006, p. 85-87 ;
Andrew D. Kalmykow, Memoirs of a Russian Diplomat : Outposts of the
Empire, 1893-1917, éd. Alexandra Kalmykow, Yale : Yale University
Press, 1971, p. 253 ; Cagaptay, 2006, p. 7.

59. Aktar, in Hirschon, éd., 2003, p. 83.

60. Cité in Akcam, Genocide Studies and Prevention, 2006, p. 133.

61. Kalmykow, 1971, p. 258.

62. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
25/6, 1914. Sur les colons crétois musulmans avant la Première
Guerre mondiale : Sophia Koufopoulou, ” Muslims Cretans in Turkey :
the reformulation of ethnic identity in an Aegean community ”, in :
Hirschon, éd., 2003, p. 211.

63. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916
”, 25/6, 1914. Voir aussi Smith, 1973, p. 31-32 ; The Scotsman, 19
juin 1914 ; Atlanta Constitution, 17 juin 1914 ; Zwei Kriegsjahre in
Konstantinopel : Skizzen deutsch-jungturkischer Moral und Politik,
Lausanne, 1917, p. 150-151.

64. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
25/6, 1914.

65. Ibid. Voir aussi Morgenthau, 2004, p. 71.

66. In Horton, 2003, p. 28-33.

67. Voir aussi Nationaltidende, 8 juin 1914.

68. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
25/6, 1914.

69. Aktar, in Hirschon, éd., 2003, p. 83. Un total de 18 000 Grecs
fuirent vers Chios, où ils vivaient démunis, et les autorités
grecques éprouvèrent de grandes difficultés pour subvenir a leurs
besoins. 4 000 réfugiés au total fuirent vers l’île déserte de
Khunnil, où ils mouraient de faim : Politiken, 24 juin 1914. Voir
aussi Manchester Guardian, 29 juin 1914.

70. Kieser, in Kieser et Schaller, éd., 2002, p. 257-261.

71. Aktar, in Hirschon, éd., 2003, p. 83-84.

72. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
19/6, 1914.

73. D’après les ambassadeurs danois en Russie et en Autrche-Hongrie,
H. Scavenius et F. Lerche, une des raisons pour lesquelles les
autorités mirent fin a l’épuration des Grecs fut que les deux
cuirassés Dreadnought que la Grande-Bretagne avait venu a l’empire
[ottoman] n’avaient pas encore été livrés. La Grèce demeurait
encore la puissance navale supérieure et les Ottomans prirent soin
de ne pas donner a la Grèce un motif de déclarer la guerre : UM,
5. L. 15., ” Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold ”, pk. 1,
No XV, 18/6, 1914 ; No XXVI, 18/6, 1914. Voir aussi Nationaltidende,
13 juin 1914 ; 15 juin 1914 ; 19 juin 1914 ; København, 17 juin 1914.

74. Aktar, in Hirschon, éd., 2003, p. 83.

75. UM, 139. D. 1., ” Tyrkiet-Indre Forhold ”, pk. 1, ”
Politiske Begivenheder i Tyrkiet i 1914. Indsendt af Gesandtskabet
i Konstantinopel 26/1, 1915 ”, p. 17 ; UM, 5. L. 15., ”
Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold ”, pk. 1, No 26, 19/6, 1914 ;
UM, 5. L. 15., ” Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold ”, pk. 1,
No 28, 20/6, 1914. Voir aussi Dimitri Pentzopoulos, The Balkan Exchange
of Minorities and Its Impact on Greece, Londres : Hurst, 1962, rééd.

2002, p. 53-54 ; Morgenthau, 2004, p. 67 ; Kaldis, 1979, p. 1138 ;
Nationaltidende, 15 juin 1914.

76. Politiken, 22 juin 1914.

77. Nationaltidende, 26 avril 1914.

78. UM, 5. L. 15., ” Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold ”,
pk. 1, No 26, 19/6, 1914.

79. Akcam, 2004, p. 146-147 ; UM, 139, N. 2., ” Tyrkiet : Behandling
af Grækere paa tyrkisk Omraade ”, No X, 14/1, 1917.

80. UM, 5. L. 15., ” Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold ”,
pk. 1, No 13, 9/6, 1914.

81. Morgenthau, 2004, p. 75.

82. UM, 5. L. 15., ” Grækenland-Tyrkiet : Politiske Forhold ”,
pk. 1, No 41, 27/6, 1914. Voir aussi Akcam, 2004, p. 145-146.

83. Nationaltidende, 19 juin 1914.

84. Nationaltidende, 23 juin 1914.

85. UM, 2-0355, ” Konstantinopel/Istanbul, diplomatisk repræsentation
”, ” Noter og indberetninger om den politiske udvikling, 1914-1922
”, ” Verdenskrigen. Rapporter fra Smyrna. Nov. 1914-marts 1916 ”,
25/6, 1914. Voir aussi Morgenthau, 2004, p. 67.

Source :
Publié sous forme de chapitre in Dominik J. Schaller & Jurgen
Zimmerer, éd., Late Ottoman Genocides: The dissolution of the Ottoman
Empire and Young Turkish population and extermination policies, London
& New York: Routledge 2009, pp. 34-50 Traduction : © Georges Festa –
07.2011. Reproduction soumise a autorisation.

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http://www.hist.net/kieser/pu/responses.html
http://www.ermenisoykirimi.net/dansk.htm
http://www.hist.net/kieser/aghet/Essays/EssayKaiser.html
http://www.hairenik.com/armenianweekly/gin042107_03.htm
http://www.let.leidenuniv.nl/tcimo/tulp/Research/ejz18.htm
http://www.armenica.org/material/bjornlund_aegean_greeks.pdf
www.collectifvan.org