Politique De La Turquie Envers L’Armenie

POLITIQUE DE LA TURQUIE ENVERS L’ARMENIE
par Jean Eckian

armenews
mercredi3 novembre 2010

ANALYSE

securite energetique dans le Sud caucase

Sur fond d’economie regionale et globale, Hagop Chakrian fait
une analyse approfondie du contexte politique international dans
lequel est plongee la Republique d’Armenie depuis 1991, et plus
particulièrement depuis mars 2008. Il se distingue par une vision
positive et prometteuse de l’avenir.

GB

POLITIQUE DE LA TURQUIE VIS A VIS DE L’ARMENIE ET SECURITE DES
APPROVISIONNEMENTS EN ENERGIE DANS LE SUD CAUCASE

Le rapprochement Armenie-Turquie est important non seulement pour le
developpement de solutions energetiques alternatives dans la region,
mais aussi pour l’instauration de la paix et de la stabilite dans le
Caucase. Les Etats-Unis, dans le contexte de la politique d’Obama
tendant a encourager le dialogue plutôt que la confrontation,
a encourage la Turquie a rompre avec sa politique d’isolement de
l’Armenie. L’Ouest est a present convaincu que l’Azerbaïdjan ne peut
pas constituer une alternative a la Russie pour les approvisionnements
de gaz naturel. L’une des raisons de cet etat de fait est la faiblesse
de la production de l’Azerbaïdjan en volume ; une autre est dans
l’instabilite de cette voie de communication, comme l’a montre une
fois de plus, en août 2008, la “Guerre d’Ossetie du Sud”.

Hagop Chakrian*

Depuis 1991, la politique etrangère turque est allee a l’encontre des
tentatives de la diplomatie armenienne pour normaliser les relations
avec la Turquie. L’obstacle principal est l’attitude de la Turquie
mettant des prealables a la normalisation ( i.e. l’Armenie doit
s’interdire de demander la reconnaissance du Genocide Armenien,
et doit reconnaître le Karabagh comme une partie inseparable de
l’Azerbaïdjan), ce qui est incompatible avec les principes fondamentaux
des relations internationales. De ce fait, des tentatives bilaterales
de normalisation ont abouti a une impasse. La necessite de sortir
de cette impasse a donne aux acteurs internationaux une occasion
d’intervenir dans le processus de normalisation armeno-turc.

Cependant, l’implication des Etats-Unis, de l’Union Europeenne, et
de la Russie dans cette question a inevitablement place l’Armenie et
la Turquie au centre de la competition engagee que ces puissances
pour accroître leur influence dans le Sud-Caucase. En consequence,
les parties armenienne et turque ont finalement accepte un processus
de normalisation avec lequel ni l’une ni l’autre ne se sentait bien.

La Guerre d’Ossetie du Sud d’août 2008 a change l’equilibre des forces
dans le Sud-Caucase et serieusement tendu la rivalite evoquee[1]. En
apparence, c’etait une confrontation Russie-Georgie, mais il est plus
juste d’y voir la reponse de la Russie a l’assistance de l’Ouest a la
Georgie, qui a eu pour effet la reconnaissance de l’independance de
l’Abkhazie et de l’Ossetie du Sud. Les retombees de ce conflit ont
conduit a une influence militaire et politique sans precedent de la
Russie dans le Sud Caucase. La politique des USA au Sud-Caucase est
sur le point d’echouer du fait du comportement de la Russie. La Georgie
est paralysee et n’est plus un partenaire fiable des Etats-Unis.

La situation d’après le conflit rend moins sûres les voies de transit
de l’energie passant par le territoire de la Georgie. L’Ouest
est a present convaincu que l’Azerbaïdjan ne peut pas constituer
une alternative a la Russie comme source de gaz naturel. Le faible
volume de sa production en est l’une des raisons. L’autre raison est
l’instabilite de la voie de transit, revelee une fois encore par la ”
Guerre d’Ossetie du Sud” d’août 2008. Ce qui complique encore plus le
problème, c’est la tendance de l’Azerbaïdjan de changer d’allegeance
alors meme que les evenements se deroulent. Il etait pro-Ouest pendant
la presidence d’Abulfaz Elchibey, pro-Russie du temps d’Haydar Aliyev,
puis ensuite encore pro-Ouest sous Ilham Aliyev, qui a immediatement
cherche a resserrer ses liens avec la Russie a la suite du conflit
d’Ossetie du Sud.

De tels evenements remettent en question le projet politique des
Etats-Unis d’utiliser la Georgie comme un corridor de transit pour les
marches internationaux d’hydrocarbures de l’Azerbaïdjan[2], tout comme
son emploi comme base de contrôle strategique de la region importante
des bassins de la Mer Noire et de la Mer Caspienne. En consequence,
dans sa rivalite avec les Etats-Unis, a acquis plus d’influence dans
le Sud-Caucase. En outre, la consistance de l’Armenie comme alliee
s’est accrue a la fois pour les USA et la Russie.

L’indispensable retablissement des USA dans le Sud-Caucase les
a conduits a redoubler d’efforts pour resserrer ses liens avec
l’Armenie. Une indication de ces efforts est dans les dernières phases
du processus de normalisation armeno-turc, qui comportait dans ses
dispositions les discussions sur la reouverture de a frontière entre
les deux pays. Sous cet eclairage, les developpements indiquant un
rechauffement des relations armeno-turques sont moins surprenants,
comme par exemple l’annonce du premier ministre turc sur la mise
en place d’une “Plateforme De Stabilite et de Cooperation dans le
Caucase”, un plan qui prevoyait une visite d’Abdullah Gul a Erevan,
la signature des Protocoles Armeno-Turcs en Suisse et une visite en
retour du President Armenien Serge Sarkissian en Turquie[3].

Ces avancees qui ont ete certainement influencees par la nouvelle
situation apparue dans la region avaient pour motivation : La
politique du President des Etats Unis Obama visait a relâcher les
tensions militaires au Moyen-Orient ; Les encouragements des USA
a la Turquie, un element de sa politique de dialogue avec le monde
musulman, pour travailler activement a l’etablissement de la paix et
de la stabilite dans la region ; L’echec de la politique de la Turquie
envers l’Armenie poursuivie depuis 1991 ; L’incompatibilite du nouveau
rôle de la Turquie avec sa politique d’isolement de l’Armenie dans ses
initiatives regionales et les projets concernant l’energie. L’impulsion
donnee a la reconciliation armeno-turque l’a fait sortir du cadre des
relations bilaterales entre les deux pays. Elle a eu des effets sur la
rivalite des Etats-Unis, de l’Europe et de la Russie au Sud-Caucase
et influe sur leur politique regionale respective ; elle a concerne
les questions de securite des approvisionnements et les projets
de transport de l’energie. Tous ces facteurs ont fait de cette
“reconciliation” une question de grande importance regionale.

Etant concernees par ce processus plus etendu, la Georgie paraît vouee
a reconsiderer ses positions par rapport a l’Armenie, l’Azerbaïdjan
et la Turquie ; et la Turquie, qu’elle le veuille ou non, devra
reconsiderer ses positions par rapport a l’Azerbaïdjan. Bien
evidemment, si la Turquie attache plus d’importance a ses relations
avec l’Armenie, la propension a menacer l’Armenie de l’Azerbaïdjan-
avec le support inconditionnel de la Turquie- en sera considerablement
affectee.

Sans doute, la portee regionale de la “reconciliation” armeno-turque a
contribue au regain d’interet montre par les USA et l’Union Europeenne
et aussi de la Russie, motives seulement par la volonte de ne pas
en etre ecartes. Il semble qu’Ankara ait pris en consideration
les interets internationaux decoulant du processus regional de
“reconciliation” des deux pays, qui ont ete les principaux catalyseurs
du processus. Il fallait donc que la Turquie demontre son engagement
dans les protocoles sur l’etablissement de relations diplomatiques
et d’autres relations avec l’Armenie. Les prealables avances par la
Turquie sur le Karabagh et les questions du Genocide ont rencontre plus
de resistance qu’elle ne l’anticipait. Le processus de reconciliation
armeno-turc est donc revenu a son point de depart.

Ce retour en arrière s’est traduit par une tension accrue dans le Sud
Caucase, qui comportait deja des sources graves de conflit. Toute
aggravation des tensions dans le Sud Caucase devrait inquieter non
seulement la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Georgie, mais aussi les
acteurs internationaux qui ont beaucoup investi dans les projets
energetiques ; en particulier les oleoducs Bakou-Tbilissi-Ceyhan,
Bakou- Erzeroum et Bakou-Supra, qui longent les frontières du Karabagh
et la region georgienne du Djavakhk peuplee d’Armeniens et provoquent
des tensions en Azerbaïdjan, en Georgie et en Turquie. Au premier
abord, il semble que l’Armenie ait ete ecartee des projets energetiques
regionaux. Mais en fait, elle possède des ressources qui pourraient
en faire un acteur important. Comme pays de transit, l’Armenie est
une alternative valable a la Georgie. De plus, l’Armenie developpe
plusieurs projets en cooperation avec la Republique Islamique d’Iran,
tel qu’une centrale hydroelectrique en construction sur l’Araxe,
et l’oleoduc irano-armenien.

Par le developpement de ces projets, l’Armenie recevra plus
d’electricite et des hydrocarbures au prix du marche international.

Elle deviendra en outre un pays de transit reliant les ports du
Golfe Persique avec la Mer Noire avec ses systèmes ferroviaire et
autoroutier. Par consequent, meme ecarte des projets energetiques
concus par la Turquie et l’Ouest, elle n’a pas ete totalement
marginalisee. De plus, pour l’Armenie, l’Iran est un partenaire
preferable a la Turquie dans la mesure où l’Iran est un producteur
majeur de petrole et de gaz, contrairement au second qui n’est
qu’un pays de transit. En l’absence de relations normalisees avec
la Turquie, l’Armenie est abandonnee sans autre alternative que de
s’arrimer avec la Russie et attendre l’amelioration des relations
entre les USA et l’Iran.

Hagop Chakrian

*Hagop Chakrian est Analyste Politique pour le quotidien armenien Azg.

Il est aussi expert pour la Fondation de Developpement Durable en
Milieu Urbain.

From: A. Papazian