Le genocide armenien sur la scene turque

Le Monde, France
15 novembre 2009 dimanche

Le génocide arménien sur la scène turque

par Guillaume Perrier (Diyarbakir, Turquie, envoyé spécial)

Ce n’est qu’une pièce de théâtre. Une sorte de fable poétique
explorant les tourments de l’identité arménienne. Sauf que, grâce Ã
elle, pour la première fois, jeudi 12 novembre, dans la ville kurde de
Diyarbakir, au sud-est de la Turquie, le génocide de 1915 a trouvé sa
place sur une scène du pays. Le Proverbe turc et le Concert arménien,
écrit et interprété par Gérard Torikian et mis en scène par Serge
Avédikian, deux artistes français d’origine arménienne, prend pour
toile de fond le massacre des Arméniens et leurs relations avec les
Turcs. Torikian jongle avec les personnages et les allégories, passe
d’un pianiste arménien qui joue la Marche turque à un pacha ottoman
qui fait marcher les Arméniens vers la mort.

Il égratigne avec humour, mais sans ménagement, le déni du génocide. "
Il faut agir résolument. Il faut éliminer les éléments non turcs de la
population (…), déclare froidement l’officier ottoman. Plus tard,
nous dirons que rien ne s’est passé. Et celui qui dira le contraire,
on le fera taire. "

" Prendre la place de l’autre "

Les détails les plus crus apparaissent à travers l’histoire d’un
berger turc qui nie farouchement les sévices infligés à un agneau
arménien. Mais, à la fin, deux marionnettes antagonistes ouvrent le
dialogue. " J’ai toujours pensé que le seul moyen de sortir de cette
pathologie qui frappe les Arméniens et les Turcs était de prendre la
place de l’autre. C’est un désir de dialogue, mais surtout, pour moi,
il n’y a pas d’autre moyen d’avancer ", explique Torikian. Le public
de Diyarbakir, où vivait, avant le génocide, une forte communauté
arménienne, a été particulièrement réceptif à la démarche : les Kurdes
ont, eux aussi, été les victimes du déni de l’Etat turc. Trois autres
représentations seront proposées à Istanbul, lundi 16 et mardi 17.

La pièce a pu être jouée en Turquie grâce à l’engagement d’Osman
Kavala – mécène atypique d’Istanbul et fondateur de l’ONG Anadolu
Kültür -, qui a ouvert un centre d’art à Diyarbakir et développe des
projets culturels en Anatolie. C’est aussi le signe du changement qui
secoue la société turque, faisant tomber les tabous historiques. Les
deux pays ont signé en octobre des accords diplomatiques prévoyant la
réouverture de la frontière commune, fermée depuis 1994. Une brèche
est déjà ouverte.