La Turquie Et L’Armenie Normalisent A Petits Pas

LA TURQUIE ET L’ARMENIE NORMALISENT A PETITS PAS

Le Figaro
8 Septembre 2008
France

DIPLOMATIE Apres la visite, samedi, a Erevan, du president Abdullah
Gul, les ministres des Affaires etrangères turc et armenien se
rencontreront fin septembre a New York, a l’occasion de l’Assemblee
generale des Nations unies.

par Marchand, Laure

SANS SURPRISE, la logique sportive a ete respectee samedi soir dans
le stade d’Erevan. La Turquie s’est imposee 2-0 face a l’Armenie au
cours d’un match de qualification pour la Coupe du monde de football
2010. Mais l’enjeu se trouvait dans les gradins : Serge Sarkissian
et Abdullah Gul, les presidents armenien et turc, ont assiste côte a
côte a la rencontre sportive. Derrière une vitre blindee, revelatrice
de l’ampleur des differends separant les deux capitales. Le refus
turc de reconnaître le genocide armenien, commis par les Ottomans au
cours de la Première Guerre mondiale, et l’occupation par l’Armenie de
l’enclave du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan, un pays turcophone, sont
les principaux obstacles qui bloquent l’etablissement de relations
diplomatiques entre Ankara et Erevan.

Malgre ces ecueils, les deux voisins ont saisi l’opportunite du tirage
au sort du Mondial pour donner le coup d’envoi a un rapprochement :
il s’agissait de la première visite d’un president turc en Armenie.

" Nous avons la volonte politique de resoudre les desaccords afin
de ne pas les laisser aux generations futures ", a declare Serge
Sarkissian. Dans l’avion qui le ramenait a Ankara, Abdullah Gul
s’est felicite de cette prise de contacts dont il a espere qu’" elle
permettra de produire des resultats concrets ". Signe de la volonte
de consolider ce rechauffement diplomatique, le president Sarkissian a
ete invite en Turquie pour le match retour. Il a egalement ete decide
que des discussions regulières auraient lieu entre les ministres
des Affaires etrangères. Ils se rencontreront dès la fin du mois a
New York.

Peur de l’effet domino Mais le lancement du dialogue turco-armenien
s’est effectue dans une atmosphère pesante. " Justice pour le genocide
armenien ! ", " 1915, plus jamais ca ! " : sur le trajet emprunte
par la delegation turque de l’aeroport au palais presidentiel,
des manifestants brandissaient sur des pancartes les blessures
historiques, toujours a vif. Et au stade, les spectateurs ont hue
l’hymne national turc. Sur la colline voisine, derrière les gradins,
le monument effile du memorial du genocide se detachait dans la nuit. "
À l’ecole, les enfants turcs n’apprennent pas ce qui s’est passe en
1915 ", explique une jeune Armenienne.

Une petite centaine de supporteurs turcs seulement avait fait le
deplacement. Assis, dans une rangee vide, Ufuk Uras etait l’unique
depute turc present. " La Turquie est multiculturelle. Des Armeniens
y vivent, explique cet ami de Hrant Dink, le journaliste d’origine
armenienne assassine a Istanbul l’an dernier. Avoir des relations
pacifiques avec l’Armenie est primordial. " La reouverture de la
frontière commune, fermee par Ankara en 1993, n’est cependant pas
a l’ordre du jour. " Il faut un geste, meme petit, d’Erevan dans
le conflit du Haut-Karabakh, selon un conseiller diplomatique de
M. Gul. La normalisation est liee a des avancees simultanees dans
tous les dossiers. " Le deblocage des relations turco-armeniennes
pourrait finalement etre precipite par le conflit en Ossetie.

La Turquie s’inquiète des risques d’un effet domino de la crise
georgienne dans la region. Abdullah Gul a donc presente a Serge
Sarkissian le projet turc d’une " plate-forme pour la cooperation et
la stabilite dans le Caucase ", qui reunirait la Turquie, la Russie,
la Georgie, l’Azerbaïdjan et l’Armenie. Pour devenir un acteur de
premier plan dans cette region, Ankara sera oblige de se reconcilier
avec Erevan.

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