Armenie huit morts

Le Monde, France
4 mars 2008 mardi

ARMÉNIE HUIT MORTS;
L’état d’urgence a été décrété à Erevan après des affrontements entre
l’opposition et la police

Militaires, chars et véhicules blindés ont sillonné, dimanche 2 mars,
la capitale arménienne, Erevan, au lendemain d’affrontements violents
entre manifestants de l’opposition et policiers qui ont conduit à
l’introduction de l’état d’urgence et à la mort de huit personnes
tuées par balles (sept civils et un membre des forces de l’ordre).

Officiellement, 131 personnes ont été blessées et une cinquantaine
d’opposants ont été interpellés. Des témoins présents lors des
affrontements, contactés par téléphone à Erevan, affirment que le
nombre de blessés pourrait être plus grand. Il s’agit des pires
troubles qu’ait connu l’Arménie, petite république voisine de la
Turquie, de la Russie et de l’Iran, depuis les manifestations de
l’hiver 1997-1998 qui aboutirent au départ du premier président
postsoviétique, Levon Ter-Petrosian.

En retrait de la politique depuis 1998, M. Ter-Petrossian, qui fut
l’idéologue du mouvement national arménien à la fin des années 1980,
est réapparu en tant que candidat à l’élection présidentielle du 19
février contre le premier ministre Serge Sarkissian, dauphin du
président sortant, Robert Kotcharian.

Arrivé en deuxième position, avec 21 % des suffrages, contre M.
Sarkissian, donné vainqueur avec 53 %, Levon Ter-Petrossian n’a cessé
de dénoncer les irrégularités du scrutin. Ses partisans réclamaient
l’annulation de l’élection ainsi que des sanctions contre les
responsables des fraudes. Le 29 février, Serge Sarkissian parvenait à
négocier un accord avec d’autres forces politiques en vue de la
formation d’un gouvernement de coalition.

Fort de cet accord, le pouvoir est allé au coup de force. Samedi à
l’aube, les policiers ont dispersé le camp de toile installé par les
opposants place de la Liberté. Un peu plus tard, l’annonce de la mise
aux arrêts domiciliaires de M. Ter-Petrossian et de l’interpellation
d’une dizaine de ses partisans a avivé le mécontentement.

Quelques heures après leur dispersion, des milliers de manifestants
se sont de nouveau rassemblés, notamment autour de l’ambassade de
France. La soirée du 1er mars a connu un crescendo dans la violence.
Des tirs nourris ont été entendus. Les boutiques des avenues
centrales d’Erevan ont été saccagées et pillées. Des véhicules des
forces de l’ordre ont été incendiés.

" Toute tentative de participer à des manifestations, même les plus
insignifiantes, sera contrée au nom de la stabilité du pays et de la
sécurité ", a mis en garde à la télévision le général Seïran Oganian,
le chef d’état-major. En patrouillant, les militaires invitaient au
haut-parleur la population à éviter tout rassemblement. L’imposition
de l’état d’urgence jusqu’au 20 mars, par le président Robert
Kotcharian, proscrit les manifestations et contraint les médias à ne
diffuser que l’information officielle.

Le calme est revenu dimanche dans la capitale arménienne, mais Levon
Ter-Petrossian a promis de poursuivre son combat. " Nous allons nous
battre jusqu’à la chute de ce régime, nous n’avons pas peur de ce
régime de kleptocrates et de criminels ", a-t-il déclaré. " Nous
pourrions organiser des manifestations dans d’autres villes proches
d’Erevan, ce serait légal. Cette décision me revient ", a-t-il
ajouté.

L’opposition attend l’examen, la semaine prochaine, du recours déposé
à la Cour constitutionnelle en vue de l’annulation du scrutin, validé
par les observateurs internationaux. La présidence finlandaise de
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a
annoncé l’envoi en Arménie d’un médiateur pour " amener les deux
parties à la table des négociations ".