Peintures americaines Hopper et Gorky

L’Humanité, France
1 septembre 2007

Peintures américaines Hopper et Gorky

Georges Férou

Edward Hopper,
collectif, Flammarion, 200 pages, 45 euros.
Arshile Gorky, hommage,
collectif Centre Pompidou, 116 pages, 19,90 euros.
S’il fallait rapprocher Edward Hopper d’un écrivain de son temps, ce
serait de John Dos Passos.

Comme lui, il exalte la vie urbaine sous ses formes les plus banales.
Il poétise les rues de New York, leurs appartements tristes et les
lieux publics les moins rutilants. Il les poétise, mais ne les
enjolive pas. Il leur attribue une me, c’est-à-dire du mystère, de
l’intensité, beaucoup de non-dit. Il aime peindre des femmes
solitaires dans leurs chambres médiocres (Onze heures du matin, de
1928, Chambre à Brooklyn, de 1932, Chambre d’hôtel, de 1951), dans
des cafés (Automat, 1929), au restaurant (Chop Suey, de 1929, Tables
pour dames, en 1930), au cinéma (New York Movies). Et cette vision
d’un monde qui soutire une beauté, une grce, du désir dans ce qu’il
a de désespéré, de banal, de médiocre, constitue un paradoxe étrange
et fascinant. Hopper, autant dans ses villes la nuit que dans ses
paysages de jour à la campagne, au bord de l’océan, avec ses phares
énigmatiques et ses maisons plantées au beau milieu de nulle part, a
créé l’image d’une réalité sans concession à laquelle la peinture a
attribué un surcroît de transcendance. C’est la transcendance de
l’humain, trop humain, et d’un imaginaire pur qui s’empare de toute
l’impureté de la modernité.
Manoug Adoian naît dans un petit village d’Arménie en 1904. Après les
drames de la Grande Guerre, il part en Amérique rejoindre ses
parents. Il étudie à la New York School of Design de Boston. Il se
rebaptise Gorky quand il exécute son premier autoportrait. Après une
période figurative, il prend Picasso pour modèle, au début des années
trente, réalisant, entre autres, une superbe encre de Chine, Nuit,
énigme et nostalgie. Puis il subit une autre influence, celle de
Mirò, qui sera fondamentale : il abandonne presque toute idée de
figuration. Alors tout s’accélère. Breton le remarque et le loue en
1945, année où il peint son Journal d’un séducteur. Il s’affirme dès
lors comme l’un des grands artistes de la nouvelle école de New York.
Mais il disparaît prématurément, en 1948. Ce qui fait qu’on a eu
tendance, en France, à l’oublier ou, sinon, à le mettre en marge de
la grande aventure de l’expressionnisme abstrait. Faute d’avoir vu
l’exposition, vous pourrez vous en convaincre en consultant le beau
catalogue du Centre Pompidou.