Mikhail Aslanovich Pogosyan: " La Privatisation De Sukhoi Va Continu

MIKHAÏL ASLANOVICH POGOSYAN: " LA PRIVATISATION DE SUKHOI VA CONTINUER "

La Tribune , France
18 juin 2007

Alors que l’industrie aeronautique russe se restructure, Sukhoi
mise beaucoup sur le developpement de son SuperJet, un avion
regional commande a 61 exemplaires par quatre compagnies locales,
dont Aeroflot. Il souhaite egalement faire avancer son projet de
jet prive supersonique et augmenter sa part dans l’A350. Mikhaïl
Aslanovich Pogosyan est directeur general du groupe.

La privatisation de Sukhoi commen-cee depuis quelques annees va-t-elle
se poursuivre au sein d’OAK?

Le processus de privatisation va sans aucun doute se poursuivre.

Sukhoi possède une structure de capital assez complexe. L’Etat a
deja transfere sa part a OAK [consortium aeronautique russe, Ndlr],
ce qui fait de ce dernier le principal actionnaire de Sukhoi. Sukhoi
represente environ 50 % de capital de la structure d’OAK. La structure
du capital de Sukhoi reste encore entre les mains de l’Etat. Nous
considerons que ce mouvement progressif de sortie vers le marche est
adapte a la strategie de developpement du groupe. Dans le cadre d’OAK,
la part des actionnaires prives va croître mais je ne peux pas vous
donner de calendrier concret.

Pour l’instant, nous mettons au point la strategie de developpement
d’OAK et, dans le cadre de cette reflexion, nous examinerons la
structure du capital de Sukhoi. Je suppose que la privatisation se fera
plus rapidement avec la partie civile de nos activites que militaire.

Beaucoup d’industriels francais (EADS, Dassault, Safran) et europeens
avaient annonce en 2005 des accords de cooperation avec l’industrie
militaire russe, y compris Sukhoi. Depuis rien, pourquoi?

Depuis longtemps, nous cooperons avec des societes francaises dans le
domaine militaire. Thales et Sagem fournissent des equipements de bord
de nos avions de la famille SU-30. Cette experience commune et positive
aide beaucoup pour la cooperation actuelle autour de l’avion regional,
où nous collaborons egalement avec tout un ensemble de societes
francaises. Mais il apparaît a l’heure actuelle que la cooperation
dans le domaine civil se developpe de facon plus dynamique, se heurte
a moins de barrières et donne des resultats plus rapides. C’est la
caracteristique du marche actuel. Quoi qu’il en soit, nous ne nous
interessons pas seulement a la cooperation dans le domaine civil,
mais egalement au domaine militaire.

Dassault Aviation, voire EADS, et Sukhoi peuvent-ils cooperer ensemble
sur la prochaine generation d’avions de combat?

La cooperation depend de la mise au point d’une cooperation a long
terme dans le developpement des technologies militaires en Europe. À
l’heure actuelle, cela demande plus de temps que celui qui s’est
ecoule depuis le dernier Salon du Bourget. Il n’y a pas actuellement
de progrès significatif dans la cooperation avec Dassault ou EADS
dans la sphère militaire. Toutefois je pense que la perspective d’une
telle cooperation dans le futur est reelle.

Où en etes-vous du projet d’avion de combat russe de 5e generation?

Le projet avance rapidement. Etant donne qu’il n’existe pas de projet
analogue en Europe, une cooperation semble difficile. Mais si un tel
projet survient, la question d’une cooperation se posera et nous
sommes prets au dialogue. Le programme avance selon le calendrier
prevu par le commanditaire du projet [l’Etat russe, Ndlr].

Quel est le niveau de cooperation au sein d’OAK pour cet avion
de combat?

Sukhoi a remporte le concours et se trouve leader et integrateur de
ce programme. Pour l’instant, nos ressources nous permettent de faire
avancer ce projet seul.

Qu’attendez-vous du Salon du Bourget?

Côte aviation civile, nous allons presenter le projet SuperJet. Pour
le militaire, nous presenterons les appareils de la famille SU-27
et SU-30 ainsi que le SU-35 dont nous avons montre la cabine pour la
première fois l’annee dernière lors du Salon de Farnborough 2006.

Nous esperons demontrer lors du salon notre capacite a mener a bien
nos projets.

Avez-vous recu des marques d’interet de compagnies aeriennes etrangères
pour votre nouvel avion SuperJet?

Aujourd’hui, nous avons deja signe des contrats avec des compagnies
russes. C’est une première etape. La signature de contrats avec des
compagnies etrangères represente la seconde etape. Je peux confirmer
l’interet des compagnies etrangères pour le projet, elles ont montre
un interet constant depuis plusieurs annees. Parmi les compagnies
etrangères manifestant le plus d’interet, je citerais Air France et
SAS, auxquelles s’est jointe recemment la Lufthansa a notre grande
satisfaction. Nous menons aussi des negociations avec plusieurs
compagnies du Sud-Est asiatique, un marche que nous estimons très
important pour ce projet.

Combien avez-vous recu de commandes pour le SuperJet?

Pour l’instant, quatre contrats ont ete signes, representant des
commandes fermes pour 61 appareils. Aeroflot a en outre signe un
protocole d’intention portant sur 15 avions ainsi qu’une option sur
30 autres. Soit plus d’une centaine de commandes.

Quel est le calendrier du projet?

Nous prevoyons les premiers vols du prototype dès cette annee. En 2008,
nous recevrons les certificats et nous commencerons les premières
livraisons aux compagnies aeriennes. Le projet avance selon le
calendrier prevu, que nous ne souhaitons pas divulguer.

Quel est le budget du SuperJet?

Le volume d’investissement depasse au total 800 millions de dollars.

À l’heure actuelle, plus de 50 % ont deja ete investis. Sukhoi est a
l’origine de plus de la moitie de ces investissements. Nous les avons
finances avec nos propres ressources, en levant des credits a long
terme et avec le soutien financier de l’Etat. Tout ce que je peux
dire sur le financement du programme, c’est qu’il se deroule selon
le calendrier prevu.

Avez-vous de nouveaux projets?

Pour Sukhoi, la priorite est de lancer sur le marche la famille
SuperJet 100. Notre deuxième priorite sera de moderniser cette gamme,
puis, enfin, d’elargir les capacites de cette famille a un appareil de
plus grande taille. Nous envisageons aussi la creation d’une version
business class. D’autres projets sont a l’etude, dont un sur lequel
nous reflechissons depuis longtemps. Il s’agit de la fabrication d’un
avion passager supersonique.

Un nouveau Concorde?

Non, c’est une autre niche. Il s’agit d’un avion d’affaires. Nous
appelons ce projet simplement " business jet supersonique ". Ce sera
un appareil de 10 a 12 passagers, dont la vitesse de croisière sera
entre 1,6 et 2 fois la vitesse du son.

Quel est l’objectif de Sukhoi dans l’aeronautique civile? Allez-vous
reequilibrer le civil et le militaire?

Compte tenu des previsions du marche international pour les vingt
prochaines annees, il apparaît que l’aviation civile va representer
plus de 70 % du marche contre un peu plus de 20 % pour l’aviation
militaire. Cela signifie que le developpement de l’aeronautique
sera largement lie au civil. Sukhoi etait jusqu’a present axe sur
le militaire avec 90 % de notre production, le civil n’ayant qu’un
caractère marginal. Avec le lancement de la famille SuperJet, nous
prevoyons un equilibre parfait entre le civil et le militaire d’ici
cinq a six ans.

Notre objectif est d’atteindre une structure de commandes equilibree
en conservant nos parts de marche dans le militaire et en se lancant
sur le marche des avions regionaux. Au sein d’OAK, les principaux
projets concernent le secteur de l’aeronautique civile. Le militaire
doit egalement croître, mais l’essentiel de la croissance dependra du
civil. C’est du civil que viennent les perspectives de croissances
de l’aeronautique russe. La forte croissance de l’aviation civile
nous laisse esperer qu’une partie significative de la production sera
realisee en Russie.

Vous souhaitez participer au developpement de l’A350. Quels en sont
les enjeux industriels et financiers pour la Russie et Sukhoi?

Nous prevoyons de prendre une part de 5 % dans le projet de l’A350.

Bien sûr, nous esperons que cette part va croître significativement
mais il est premature de parler de resultats concrets. Notre niveau de
participation sera un indicateur attestant du degre de comprehension
mutuelle qu’EADS et nous-memes auront atteint. Cela dependra aussi
des perspectives du marche mondial et russe, ainsi que du choix des
technologies, qui seront utilisees pour ce nouveau projet, suivant
qu’elles seront developpees chez nous ou a l’etranger. En bref,
c’est un projet complexe a de multiples niveaux.

Esperez-vous beneficier de transferts de technologie venant d’EADS?

Nous n’avons aucune envie de recevoir des technologies d’EADS. Ce
qui nous interesse, c’est une vaste cooperation sur le long terme.

S’agissant des technologies russes, elles peuvent etre developpees
et utilisees dans le cadre de projets internationaux, pas seulement
avec EADS, mais aussi avec d’autres constructeurs mondiaux. Je pense
en particulier aux technologies concernant l’utilisation de titane,
dans lesquelles l’hegemonie de la Russie est largement reconnue. Nous
comptons aussi developper la production de materiaux composites,
qui font l’objet deja aujourd’hui d’une forte demande sur le marche
mondial. Nous developpons enfin des technologies sur l’avionique,
en particulier le système de pilotage. Mais nous ne nous arretons
pas uniquement a des cooperations sur des projets d’avions, nous nous
interessons egalement au developpement de la cooperation scientifique
avec nos partenaires etrangers. La base des projets futurs est
determinee par la qualite de la cooperation scientifique et des
laboratoires de recherches crees a ces fins. L’ecole scientifique
et l’ingenierie russes, ainsi que les moyens financiers de notre
pays prevus dans le developpement de l’industrie aeronautique, nous
donnent des raisons de penser que nous serons capables de poser les
fondations nous permettant de prendre une position active dans les
futurs avions realises en cooperation.

Est-ce deja le cas pour la future famille des monocouloirs d’Airbus?

EADS reflechit a une proposition pour donner la maîtrise d’oeuvre a la
Russie a partir de la technologie du SuperJet. Seriez-vous interesses
par une telle proposition?

Nous recherchons une cooperation la plus profonde possible dans les
projets de conception d’appareils moyen-courriers avec les europeens
comme avec d’autres partenaires au niveau mondial. Il n’existe pas a
l’heure actuelle de plan detaille pour la conception d’un appareil
regional viable. De notre côte, nous etudions les calendriers, les
besoins du marche, la date de commercialisation, les caracteristiques
techniques. Lorsque nous aurons acheve ce travail, nous pourrons fixer
le cadre de notre cooperation sur ces projets entre la Russie et EADS.

Quel est l’interet pour OAK (et pour Sukhoi en particulier) de prendre
des parts dans EADS?

Le degre d’interet sur ce sujet va dependre de la quantite de projets
menes a bien en commun. Bien sûr, OAK est interesse par des paquets
d’actions chez nos partenaires.

Mikhail Pogosyan au centre de la recomposition de l’aeronautique
russe À la veille de la Perestroïka, la puissance industrielle
sovietique dans l’aeronautique est a son apogee. Les usines des
avionneurs Iliouchine, Tupolev… sortent deux avions par jour. Soit
une production de 720 appareils par an. L’URSS se vante alors de
produire un quart des avions civils de la planète. Mais la Perestroïka
a laisse cette industrie pratiquement exsangue…

Aujourd’hui, les usines russes sortent moins de dix avions par an.

Plus aucune compagnie ne veut des appareils d’origine sovietique,
bruyants, et surtout trop consommateurs de kerosène. Sans oublier
la mauvaise reputation qui colle a la carlingue de ces appareils en
matière de confort et de securite. Avec l’arrivee de Vladimir Poutine
au pouvoir, l’aeronautique russe est revenue au centre des priorites
nationales, mais aussi au centre de strategies divergentes dans les
coulisses du pouvoir et des nouveaux capitaines d’industrie. Une
guerre dans un contexte de resurrection de cette industrie, comme
en temoigne l’avion regional SuperJet developpe par l’avionneur
militaire Sukhoi. À sa tete, le directeur general Mikhail Pogosyan,
un des rares grands patrons russes d’origine armenienne. Ne a Moscou
en 1956, ce dernier, qui appartient au clan proamericain, s’oppose
au clan proeuropeen dirige par son eternel rival, Alexey Fyodorov,
a la tete du holding d’Etat OAK (90,1 %) regroupant une grande partie
des actifs aeronautiques russes et dans lequel est en partie integre
Sukhoi. Jusqu’a la fin de 2006, le clan proeuropeen, qui preconisait
des alliances structurelles avec l’industrie europeenne, dont EADS,
avait reussi a convaincre Vladimir Poutine. Mais le vent a finalement
tourne pour ce clan forme autour du constructeur Irkut, qui detient
9,9 % d’OAK. La prise de 5 % du capital d’EADS en catimini sur les
marches par la banque d’Etat russe VTB a destabilise la France et
l’Allemagne vigilantes sur le dossier EADS. En claquant la porte a
Moscou, les Europeens ont remis en selle le clan des proamericains.

Fâche, le Kremlin a fini par autoriser la commande des Boeing 787 il
y a une dizaine de jours et a engage Boeing a entrer plus avant dans
le SuperJet.

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