"Citadel" Dans La Forteresse Du Couple

"CITADEL" DANS LA FORTERESSE DU COUPLE
Par Lefort Gerard

Liberation, France
2 mai 2007 mercredi

Le film, inedit, diffuse dans le cadre de la retrospective Egoyan a
Beaubourg, s’adresse au fils du realisateur.

La retrospective integrale que le Centre Pompidou consacre a Atom
Egoyan montrera que ses meilleurs films sont ceux où il revient. Sur
les lieux d’un drame, d’une plaie, qu’ils soient reels (l’Armenie
de ses origines) ou imaginaires (De Beaux lendemains), puisque le
retour peut se faire sur soi, sur place. Son dernier film, inedit,
Citadel, repond a cette definition generique du cinema. Revenir
d’où l’on n’est jamais parti. En l’espèce, Beyrouth, où est nee en
1958 Arsinee Khanjian, sa compagne et actrice de presque tous ses
films. Dès les premières images, on y voit Khanjian, a l’ete 2006,
retrouver des paysages, des rues, un quartier et des membres de sa
famille armenienne perdue de vue depuis son depart du Liban, il y
a vingt-huit ans, pour cause de guerre civile. Apparaît aussi leur
fils, qui a 10 ans lors de ce retour. La voix off omnipresente est
celle d’Egoyan. C’est un documentaire familial. Un tableau souvent
touchant. Mais qui donnerait vite l’envie de fuir, par ennui ou peur
de deranger, si le cadre n’etait pas aussi pregnant que le tableau.

Citadel est en effet un etrange journal de "vacances" adresse au fils,
un document pour le futur anterieur, afin que l’enfant comprenne
un jour "comment etaient [ses] parents". Egoyan en donne le mode
d’emploi : "Je fais des images, ta mère y joue la comedie, nous avons
besoin de dramatiser, ca fait vingt ans que ca dure, je ne peux pas
t’expliquer pourquoi." Une image resume cette question impossible :
le visage d’Atom se refletant en gros plan dans les lunettes de soleil
d’Arsinee. De fait, l’ambiguïte de la mise en scène est toujours la,
fictionnant tout, y compris la part documentaire sur Beyrouth d’hier
et d’aujourd’hui.

Ainsi, quand Atom Egoyan confronte la vision d’un reportage tele
sur les massacres de Sabra et Chatila de 1982 a sa visite dans les
ruelles encaissees de ces quartiers de Beyrouth-Ouest, l’effet optique
est saisissant, qui melange une cour paisible aujourd’hui, a la meme,
il y a plus de vingt ans, jonchee de cadavres. Mais meme a cet instant
qui semble exceder l’historiette au profit de l’Histoire, Citadel reste
une tragi-comedie de la conjugalite. Parce qu’Arsinee Khanjian en est
l’Ariane qui jamais ne rompt le fil de sa reconquete privee. Parce
que se joue entre elle et lui, a grand renfort de petites vacheries et
de grandes jalousies, l’aventura d’un couple eternellement amoureux,
terriblement en chantier. L’incident de la citadelle de Tripoli en
est l’acme. Ils ont vu au pied du rempart quelque chose qu’ils ne
devaient pas voir. Elle en fait tout un drame. Il n’arrete pas de
filmer. Le cinema permanent, devant comme derrière la camera. A moins
que l’un comme l’autre, l’un avec l’autre, n’aient sciemment reve le
scenario de ce malaise.

L’avertissement final a valeur de moral : "Sommes-nous condamnes a ne
voir que ce que nous voulons voir, ou juste ce que les autres veulent
nous montrer ?"

–Boundary_(ID_u69432lJVPVJWQ/tGkenBQ)–

From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress

Emil Lazarian

“I should like to see any power of the world destroy this race, this small tribe of unimportant people, whose wars have all been fought and lost, whose structures have crumbled, literature is unread, music is unheard, and prayers are no more answered. Go ahead, destroy Armenia . See if you can do it. Send them into the desert without bread or water. Burn their homes and churches. Then see if they will not laugh, sing and pray again. For when two of them meet anywhere in the world, see if they will not create a New Armenia.” - WS