Paroles de victimes de genocides: l’oubli acheve travail du Bourreau

Agence France Presse
23 octobre 2004 samedi 5:13 PM GMT

Paroles de victimes de génocides: “l’oubli achève le travail du
bourreau” (REPORTAGE)

Par Frédéric HAPPE

VILLEURBANNE

Neuf témoins issus de groupes ethniques ayant subi un génocide sont
venus expliquer l’importance de la mémoire et leur besoin de
réparation, lors d’un forum samedi à Villeurbanne.

Cette rencontre, organisée par le collectif d’associations
Reconnaissance, qui milite pour la mémoire et la prévention des
génocides et des crimes contre l’humanité, regroupait des
représentants des peuples aborigène, africain, arménien, cambodgien,
juif, rwandais, tibétain, tzigane et ukrainien.

“En l’absence de reconnaissance du génocide, surtout par les
bourreaux, la victime ne peut reconquérir l’estime de soi, la
confiance en soi et elle s’enferme dans la honte et le mépris”, a
expliqué Jules Mardirossian, président du Centre d’études, de
documentation et d’informations arméniennes (CEDIA).

Pour Yves Ternon, historien spécialiste des génocides, “l’oubli
achève le travail du bourreau”, le silence entourant ces tragédies
équivalant à une deuxième mort pour les victimes et un deuxième deuil
pour leur peuple, a-t-il ajouté.

Les témoignages étaient très variés dans leur forme et leur contenu,
allant d’exposés académiques, sur la famine de 1933 en Ukraine par
exemple, à des discours quasi-politiques, comme celui des
représentants africains venus témoigner des séquelles de l’idéologie
coloniale.

Mais ce sont les récits plus personnels qui ont touché l’audience.

Tuok Cheam, Cambodgien réfugié en France depuis plus de 20 ans, a
raconté comment à 12 ans les Khmers Rouges l’ont expulsé, lui et sa
famille, de Phnom Penh pour partir construire un village au milieu de
la jungle, les “disparitions” dans son entourage proche, les travaux
forcés, la sous-alimentation organisée, alors que la terre était si
généreuse.

raconte-moi les massacres

Il vit depuis lors avec le souvenir de son père qu’il n’a pu veiller
quand il était mourrant. “Je croyais que le temps ferait disparaître
tout ça. Mais ce manque, la haine et le dégoût ne font que
s’amplifier avec le temps”, a-t-il assuré.

Claire Mouradian, historienne du génocide arménien de 1915, s’est
rappelée que les récits des massacres turcs relatés par ses
grand-parents remplaçaient “les contes et légendes qu’on raconte aux
enfants. Je disais à ma grand-mère +Raconte-moi les massacres,
grand-mère+”, s’est-elle souvenue.

Yolande Mukagasana, une Tutsie qui a perdu mari et enfants lors des
massacres par les Hutus au Rwanda en 1994, et qui n’a elle-même
survécu que grce à une jeune femme qui l’a cachée sous son évier
pendant 11 jours, a souligné l’absence de remise en cause des
ex-puissances coloniales, notamment la France, dans ces événements.

“Quand j’étais à l’école, les maîtres racontaient des récits sur la
cruauté des Tutsis et ensuite me faisaient lever avec l’autre fille
tutsie de la classe pour qu’on nous observent et qu’on apprenne à
reconnaître les Tutsis, en nous touchant les cheveux par exemple”,
a-t-elle raconté.

Tous les groupes ethniques ont formulé à la fin du Forum une liste de
revendications, dont un comité de suivi sera chargé de surveiller le
cheminement auprès des grandes organisations internationales.