Turquie, l’affaire des femmes

L’Express
18 octobre 2004

Turquie, l’affaire des femmes;
Tribune libre – Liliane Kandel

Kandel Liliane

Ce qui se joue autour de la candidature turque, c’est notre capacité
à répondre à l’offensive islamiste contre les droits des femmes

Il s’en est donc fallu d’un cheveu pour que les négociations
concernant la candidature de la Turquie à l’Union européenne ne
puissent pas même commencer. Ainsi, le dessin – et le destin – de la
future Europe se seront joués sur la question du droit des femmes;
plus précisément, du droit des femmes turques à l’adultère. A-t-on
vraiment saisi la signification de ce débat? A-t-on mesuré le chemin
parcouru depuis les années pas si lointaines où une dizaine de
féministes déposaient à l’Arc de triomphe une gerbe “à la femme
inconnue du soldat” et où, dans la plupart des pays occidentaux, les
femmes proclamaient – et imposaient – le droit de disposer librement
de leur corps?

Une éclatante victoire du féminisme, alors? Ne soyons pas exagérément
optimistes – ou naïfs. Nous ignorons tout des convictions féministes
(ou non) du commissaire européen à l’Elargissement. Nous ignorons
même si cet étrange incident n’a pas été une manipulation destinée à
prouver, in fine, la bonne volonté européenne du gouvernement de
Recep Tayyip Erdogan. Il n’empêche: c’est cet argument-là qui fut mis
en avant (et non, par exemple, la persistance de la torture dans les
prisons turques ou la négation obstinée du génocide arménien). Et ce
qui se joua dans cette affaire, ce fut une question brûlante: celle
de la réponse de l’Europe face au regain de l’offensive islamiste en
Turquie et l’évidence que celle-ci, à Istanbul et ailleurs, vise en
priorité les droits des femmes. Souvenons-nous des taliban.
Souvenons-nous qu’une des premières mesures du gouvernement Khomeini
fut l’imposition du port du tchador à toutes les Iraniennes et que,
depuis, une part importante du budget de l’Etat va aux milices
paramilitaires chargées de surveiller… la tenue vestimentaire des
femmes. Souvenons-nous des attaques lancées par nombre de groupes
islamistes contre la loi française sur la laïcité. Chahdortt Djavann
le rappelle dans son dernier livre Que pense Allah de l’Europe?: “Le
voile est l’emblème, le drapeau et la clef du système islamiste.” Le
voile, entendons la situation faite aux femmes, qui constitue, dans
le défi lancé aux démocraties par l’islam intégriste, un enjeu
géopolitique capital.

Ce fut l’enjeu de l’épreuve de force – gagnée – sur le projet de Code
pénal en Turquie. Mais c’est aussi, en sens inverse, celui de
l’offensive “pro-hidjab” lancée il y a peu par quelques députés
européens (dont un Vert français et quelques nouvelles et paradoxales
“féministes”), l’objectif annoncé étant de faire condamner par les
instances européennes la loi française sur les signes religieux: un
autre combat, cette fois interne à l’Europe. Rien ne permet
aujourd’hui de prédire quelle en sera l’issue.