Il y a 90 ans – Le premier genocide du siecle

Le Devoir
23 Avril, 2005

Il y a 90 ans – Le premier génocide du siècle

Avant les Juifs et les Tutsis, les Arméniens furent victimes du
premier génocide moderne

Christian Rioux
Édition du samedi 23 et du dimanche 24 avril 2005

Derrière son sourire, la grand-mère de Claire Mouradian cachait des
cicatrices profondes. Outre la blessure morale, indélébile, son corps
portait des traces de coups de couteau dans les flancs, de lobes
d’oreille arrachés et de quelques balles perdues. En 1915, elle
échappa miraculeusement au massacre. Chez elle, à Diyarbakir, sur les
bords du Tigre, on assassinait à la sortie de la ville, loin des yeux
indiscrets. Elle s’en est tirée, cachée sous un tas de corps. Des
Kurdes, probablement pilleurs de cadavres, l’ont récupérée. Il lui
faudra encore échapper à une famille qui la destinait à un mariage,
gagner Alep où elle rencontra son futur époux et passer par la
Cilicie, l’éphémère Arménie indépendante et la Grèce. En route pour
les États-Unis, elle fit escale en France, d’où elle n’est jamais
repartie.

Israel sets Holocaust damages at $240 billion

Israel sets Holocaust damages at $240 billion
New Feature

The Associated Press
Thursday, April 21, 2005

Thursday, April 21, 2005 INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE

JERUSALEM An Israeli government report that claims to be the first of
its kind has set material damage to the Jewish people during the
Holocaust at some $240 billion to $330 billion.

Although previous studies have estimated the value of looted Jewish
property, the Israeli government calculation includes lost income and
wages, as well as unpaid wages from forced Jewish labor.

The report estimates the value of plundered Jewish property at $125
billion, at current prices. It estimates the loss of income at $104
billion to $155 billion, and unpaid wages of forced laborers at $11
billion to $52 billion.

The new document is an extrapolation of information drawn from more
than 100 sources and involves no original research, said Aharon Mor, a
Finance Ministry official who headed a committee that spent seven
years compiling the report.

Six million Jews were killed in the Holocaust, but the property of 9
million was looted or destroyed, the report said. The contents of
apartments and homes, real estate, bank accounts, businesses,
insurance policies, personal effects, gold, stocks and bonds, foreign
currency, jewelry and works of art were among the valuables plundered.

Some studies estimate that no more than 20 percent of the looted
Jewish assets, both private and communal, were restored to their
owners after the Holocaust. The restitution of private property, which
accounted for at least 95 percent of the total plundered assets, “is
the weakest link in the restitution process,” the report said. “A
great deal still needs to be done in this area.”

More than $8 billion of one-time payments to Jews and non-Jews were
negotiated in settlements between 1998 and 2001, and a substantial
part was paid and distributed, the report says.

But this represents just a small fraction of the Jewish material
damage during the Holocaust, and “there is much to be done in order to
achieve a measure of justice” for survivors and their heirs, the
report said.

“Restitution can successfully be dealt with only by exceptional legal
measures,” the report said. “In most countries, special, fast, and
simple legislation is badly needed.”

At the beginning of 2004, 1,092,000 Holocaust survivors were still
living worldwide, about half of them in Israel. About 10 percent of
survivors die each year, the report said.

“Any systematic delay in establishing settlement and disbursement
processes or resolving disputes is therefore not just another
bureaucratic hurdle, but the difference between a dignified closing to
a tragic period in their lives and unrequited sense of the permanent
denial of justice; between assistance for the needs of old age and
unabated suffering,” the report said.

The restitution process has been under way since 1948.

http://www.iht.com/articles/2005/04/20/news/holocaust.html

Il y a 90 ans debutait le genocide armenien

La Nouvelle République du Centre Ouest
23 avril 2005

Il y a 90 ans débutait le génocide arménien

Il y a 90 ans débutait dans l’empire ottoman le génocide arménien,
qui allait se poursuivre jusqu’en 1917, au cours duquel plus d’1,5
million de personnes allaient trouver la mort selon les Arméniens,
entre 250.000 et 500.000 selon les Turcs.

A la fin du XIXe siècle : las de subir le joug ottoman depuis le XVIe
siècle, des comités révolutionnaires arméniens s’étaient constitués,
provoquant une répression sanglante entre 1894 et 1909 (200.000
morts).

La défaite de la guerre des Balkans (1912-1913) devait ensuite
affaiblir considérablement l’empire ottoman. Mais, en octobre 1914,
l’empire ottoman entre dans la Première Guerre mondiale, au côté de
l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie.

Le 24 avril 1915, des milliers de dirigeants arméniens suspects de
sentiments nationaux hostiles au gouvernement central sont arrêtés.
La population arménienne d’Anatolie et de Cilicie (région intégrée à
la Turquie en 1921), appelée « l’ennemi intérieur », est exilée de
force vers les déserts de Mésopotamie.

L’Empire ottoman sera démantelé en 1920, deux ans après la création
d’un État indépendant arménien en mai 1918.

La Turquie reconnaît aujourd’hui que des massacres ont été perpétrés
et que de nombreux Arméniens sont morts lors de leur déportation.

Le génocide arménien a été reconnu le 29 août 1985 par la
sous-commission des droits de l’homme de l’ONU, puis le 18 juin 1987
par le Parlement européen. Quatre millions et demi d’Arméniens vivent
dans le monde aujourd’hui.

Responsabilite historique

Le Figaro, France
23 avril 2005

Responsabilité historique;
Éditorial

par Pierre Rousselin

Le quatre-vingt-dixième anniversaire du génocide arménien doit être
l’occasion de rappeler à la Turquie qu’il lui faudra reconnaître
pleinement sa responsabilité dans les événements de 1915, si elle
veut, un jour, être acceptée en Europe. Forte de quelque 350 000
membres, la communauté arménienne de France est la plus nombreuse à
l’étranger après celle établie aux Etats-Unis. Elle est aussi un
modèle d’intégration réussie. Constituée pour l’essentiel de rescapés
du génocide et de leurs descendants, elle a toujours été aux
avant-postes du combat pour que le devoir de mémoire soit effectué en
Turquie, comme il l’a été en France et en Allemagne à propos des
drames de la Seconde Guerre mondiale. La visite à Paris du président
Robert Kotcharian, en ce jour anniversaire, et la gerbe qu’il a
déposée avec Jacques Chirac pour honorer les victimes du génocide ont
une forte valeur symbolique. Ces événements montrent que notre
diplomatie, longtemps réticente à indisposer Ankara, se conforme
pleinement au vote du Parlement qui, en 2001, a reconnu le génocide.
Quatre-vingt-dix ans après, le devoir de mémoire est d’autant plus
urgent que l’Union européenne entamera le 3 octobre avec la Turquie
des négociations d’adhésion. Ces pourparlers s’ouvriront sans que les
critères de Copenhague aient retenu la reconnaissance du génocide
arménien comme une condition préalable. La France est dans son rôle
lorsqu’elle insiste pour qu’Ankara veille à refermer définitivement
les blessures de l’Histoire.

Confronté à un nationalisme très vif, le gouvernement proeuropéen
d’Erdogan est peu pressé de le faire, même si de timides avancées ont
été tentées. Le Parlement turc a entamé un débat sans précédent sur
l’attitude à adopter face aux exigences arméniennes. Ankara a proposé
à Erevan la création d’une commission conjointe afin d’enquêter sur
les massacres de 1915. Des historiens et des intellectuels turcs
commencent à mettre en doute le dogme officiel qui veut que
l’administration ottomane n’ait jamais ordonné une extermination des
populations arméniennes, accusées d’avoir rejoint l’ennemi russe. En
France, l’anniversaire du génocide est l’occasion pour la communauté
arménienne de se faire entendre. C’est bien normal. Comme il est
normal que cette communauté encore meurtrie soit très majoritairement
opposée à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. En cette
période de confusion dans le débat politique autour du référendum du
29 mai, il ne faudrait pas que les commémorations soient détournées
de leur objet. Il ne faudrait pas que la souffrance passée des
victimes du génocide ne serve qu’à alimenter les calculs de ceux qui
font campagne pour le non à la Constitution européenne.

Ankara refuse d’assumer le genocide des Armeniens

Le Figaro, France
23 avril 2005

Ankara refuse d’assumer le génocide des Arméniens;
TURQUIE Le 24 avril marque le 90 e anniversaire des massacres
perpétrés à partir de 1915 dans l’Empire ottoman

Istanbul : Marie-Michèle Martinet

Les Arméniens commémorent dimanche le génocide d’environ 1 million de
leurs compatriotes sous l’Empire ottoman, de 1915 à 1922. Ankara, qui
assure qu’il n’y a pas eu de plan concerté pour massacrer la
population arménienne, refuse de reconnaître le génocide. La
perspective de l’ouverture, le 3 octobre, de négociations d’entrée de
la Turquie dans l’Union européenne, remet à l’ordre du jour ce grave
contentieux. Plusieurs pays, dont la France où vit la plus grande
communauté arménienne d’Europe, exhortent la Turquie à assumer son
passé.

Même si la Turquie est prête à quelques avancées discrètes sur le
terrain diplomatique avec l’Arménie voisine, elle n’est pas disposée
à faire son mea culpa sur les massacres des Arméniens qui, en 1915,
constituaient dans l’Empire ottoman une importante minorité
chrétienne. Plus l’Europe insiste pour dire l’importance que revêt à
ses yeux la reconnaissance du génocide, plus Ankara se raidit dans un
refus proche du déni. Quatre-vingt-dix ans après le début des
massacres et déportations forcées, pendant lesquels environ un
million d’Arméniens ont trouvé la mort, la Turquie refuse de tenir
compte des récits concordants de diplomates ou de missionnaires qui
témoignèrent des exactions. Les relations entre Ankara et Erevan en
souffrent. En dépit d’un désir réciproque de renouer le contact, la
frontière commune reste étanche. Par l’intermédiaire de son
ambassadeur à Tbilissi (Géorgie), Ankara vient de faire un pas
timide. Elle a invité l’Arménie à s’associer à une commission mixte
qui aurait libre accès aux archives des deux pays pour enquêter sur
les massacres. Cela n’a pas empêché le journal arménien Agos, publié
conjointement en turc et en arménien à Istanbul, de parler d’un
«dialogue de sourds». De la même façon que le premier ministre, Recep
Tayyip Erdogan, balayait récemment d’un revers de manche toute
problématique kurde en évoquant une question «purement imagi naire»,
le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, a évacué le
problème arménien, en affirmant que le génocide avait été «inventé
par la diaspora».

Depuis plusieurs semaines, la presse turque a publié de nombreux
documents, parmi lesquels des témoignages d’Arméniens repentis
racontant, photos à l’appui, comment ils ont eux-mêmes massacré des
Turcs, après avoir tenté d’assassiner le Sultan Abdulhamid II en
1905. Des «experts», comme le professeur autrichien Erich Feigle,
invité à s’exprimer sur les «réalités historiques des relations
turco-arméniennes», expliquent que le public est «induit en erreur au
moyen d’incidents imaginaires et de chiffres erronés». Minoritaires,
certains historiens turcs tentent pourtant d’analyser les blocages
qui empêchent la Turquie d’assumer son passé. Halil Berktay, qui
enseigne à l’université Sabanci d’Istanbul, a montré comment le
nationalisme turc, déjà actif, selon lui, en 1915, avait joué un rôle
majeur dans l’émergence de la violence. Comme pour illustrer ce
propos, le romancier Orhan Pamuk a été dénoncé pour avoir, dans un
entretien accordé à un magazine suisse, évoqué le million de victimes
du génocide arménien, ainsi que les 30 000 Kurdes morts de 1984 à
1999. Attaqué dans la presse nationaliste, Orhan Pamuk a été pris à
partie lors de manifestations agressives, amenant le Parlement
européen à exprimer son malaise et à demander au gouvernement
d’Ankara de faire cesser cette campagne contre l’écrivain. Pour la
journaliste arménienne Karin Karakasli, du journal Agos, ce ne sont
pas les batailles de chiffres sur le nombre de victimes qui
permettront de faire le deuil du passé. «La question des archives
détenues par les uns ou par les autres ne peut rien régler, car tout
a déjà été publié, dit-elle. Chacun jette à la figure de l’autre ses
mensonges et ses vérités. Cela ne sert qu’à alimenter le conflit.» Le
rédacteur en chef d’ Agos, Hrant Dink, qui joue le rôle de
porte-parole des 50 000 Arméniens de Turquie, est favorable à la
candidature du pays à l’UE, meilleure chance, selon lui, d’une plus
grande démocratisation. Récemment invité par le Parlement européen,
il a jugé contre-productif de poser comme préalable une
reconnaissance du génocide par la Turquie. Cependant, l’ouverture
vers l’Europe, portée par le gouvernement Erdogan et les démocrates
turcs, ne fait pas l’unanimité en Turquie. Les manifestations
nationalistes qui se sont déroulées ce mois-ci pour défendre le
drapeau national, que de jeunes Kurdes avaient tenté de brûler lors
du nouvel an kurde, à la fin mars, ont parfois pris l’allure de
démonstrations d’hostilité à l’Europe et à ses valeurs. A Trabzon,
cinq personnes qui distribuaient des tracts favorables à un
assouplissement des conditions de détention dans les prisons ont été
prises à parti. Accusées, sans fondement, d’avoir tenté à leur tour
de brûler le drapeau turc, elles ont échappé de justesse au lynchage
par la foule. Dans ce contexte tendu, la politique pro européenne
d’Erdogan devient délicate. La reconnaissance du génocide arménien
n’apparaît pas, loin de là, comme une priorité du calendrier
gouvernemental. Cependant, la journaliste Karin Karakasli refuse de
désespérer : «Même si je suis parfois inquiète, je sais aussi qu’il y
a eu ces dernières années de réels progrès. Et je veux songer à
l’avenir.» A la question de savoir ce qu’elle fera dimanche, elle
répond simplement qu’elle ira à l’église. «Pour prier pour les morts,
soupire-t-elle. Et aussi pour les vivants.»

Gregoire Ghazarian, l’un des derniers survivants

Le Figaro, France
23 avril 2005

Grégoire Ghazarian, l’un des derniers survivants;
Quatre-vingt-dix ans après les faits, un rescapé réfugié à Paris
raconte

par Laure Marchand

«Une voiture tirée par des boeufs s’est arrêtée devant la porte de la
maison. On nous a dit de nous préparer. J’avais neuf ans. «Grégoire
Ghazarian en a désormais 99. «Mais je n’ai rien oublié. Il faut tout
dire», lance-t-il en s’agrippant à sa canne blanche. C’est l’un des
derniers survivants du génocide arménien de 1915. Ses parents, ses
deux soeurs et son frère, ses oncles et grands-parents… Il a vu
mourir toute sa famille, jusqu’à son père dévoré par des chiens.
Aujourd’hui, Grégoire Ghazarian, dit Garbis, ne sort plus guère de
son appartement parisien. Les exemplaires du quotidien arménien
Haratch s’empilent sur sa commode car il ne peut plus les lire. Bien
calé dans son grand fauteuil, le vieillard remplit une fois de plus
son devoir de rescapé : raconter. Après lui, seules des archives
craquelées et des photos floues témoigneront des massacres ordonnés
par le gouvernement Jeunes-Turcs de l’Empire ottoman. Près d’un
million d’Ar méniens (entre 800 000 et 1 200 000) ont péri lors du
premier génocide du XX e siècle. «N’hésitez pas, posez-moi toutes les
questions que vous voulez», insiste-t-il. C’était le mois d’août
1915. La Première Guerre mondiale avait transformé l’Empire ottoman
en poudrière. Les Arméniens d’Ana tolie orientale avaient déjà été
déportés. Mais, à Tchalgara, village peuplé uniquement d’Arméniens
dans le villayet région de Bursa (à l’ouest de l’actuelle Turquie),
Garbis menait encore une vie insouciante.

Ses parents possédaient de vastes terres, les récoltes débordaient
des greniers, la culture du ver à soie prospérait. «Je jouais dans la
cour avec un copain lorsqu’ils (les policiers locaux) sont arrivés,
se souvient-il clairement. Nous avons juste eu le temps d’emporter du
pain et il a fallu partir.» En route, les réserves de galettes sans
levain s’épuisèrent rapidement. Au bout de quelques jours, le
décompte macabre commença : «Mon grand frère Ohan est mort le
premier.» Sa famille eut le temps de faire sa toilette, pas de
l’enterrer. Il fallut également abandonner la tante infirme sur le
bas-côté de la route. Trop lourde à porter. Les gendarmes qui
encadraient les déportés fusillaient les traînards. «Puis, ma mère
m’a serré contre elle, je ne l’ai plus jamais revue», raconte-t-il en
tremblant. Avec sa soeur Lucie, elles furent sans doute tuées
sur-le-champ ou enfermées dans un harem. «Mais je n’avais encore rien
vu des atrocités à venir», prévient Garbis à la fin de son
énumération. Pour le prix d’un billet de deuxième classe, les
Arméniens furent entassés dans des wagons à moutons à deux étages.
C’était sans doute à Afyon, une ville située sur l’axe ferroviaire
Istanbul-Bagdad. Destination finale de la déportation : les déserts
de Mésopotamie et de Syrie, mille cinq cents kilomètres à l’est. «A
ce moment-là, nous ignorions où on nous emmenait, mais nous savions
que c’était vers la mort. Beaucoup mouraient étouffés et leurs
cadavres étaient jetés au bord de la voie. Papa ne m’a jamais lché
la main.» Les larmes roulent sur ses joues plissées par le siècle.
Quatre-vingt-dix ans après, Garbis est toujours ce petit garçon
arménien accroché à son père. Dans son salon, il progresse à ttons,
la vue fatiguée. Mais dans sa mémoire, la mort apparaît toujours
aussi nettement. «Des cadavres, il y en avait partout, on marchait
dessus, revoit-il. Le matin, la moitié ne se relevait pas.» A la
descente du train, ils ont en effet franchi les sommets du Taurus (à
proximité de l’actuelle frontière avec la Syrie) à pied. Des colonnes
de milliers de déportés ont cheminé dans les montagnes. On fusillait
les plus faibles, on éventrait les femmes enceintes, on décapitait…
Le typhus et le choléra faisaient le reste. Avec une pièce d’or, son
père put acheter en route de l’eau pour les deux enfants qui lui
restaient. Garbis but le premier. Il ne laissa qu’une goutte à sa
soeur. Il s’en veut encore. Son instinct de survie lui permit
également de réchapper à l’épreuve la plus terrible : le désert de
Deir Zor, dans le nord de la Syrie, le long de l’Euphrate. Les
Ottomans l’avaient transformé en cimetière à ciel ouvert, en camp
sans barbelés. Le désert à perte de vue était plus dissuasif que des
miradors. L’administration ottomane y entassait les Arméniens dans le
sable et sous le soleil. Seuls les plus fortunés purent acheter du
pain aux tribus des environs. Pour les Arméniens, Deir Zor est le
symbole du génocide. A partir de l’été 1916, le gouvernement
Jeunes-Turcs ordonna l’extermination de tous les Arméniens rassemblés
dans la région. 192 750 y furent massacrés à l’arme blanche. Garbis,
lui, y échappa. Il avait été envoyé plus à l’est, à Mossoul, aux
travaux forcés dans les fermes des paysans turkmènes. La culpabilité
du survivant ne l’a jamais quitté. «Une nuit, j’ai secoué ma soeur,
j’ai senti qu’elle était froide. J’ai pris sa couverture et me suis
rendormi, bien au chaud.» Lorsque son père comprit qu’il allait
mourir à son tour, il réclama un plat de lentilles. «En rentrant le
soir, j’ai vu qu’il ne bougeait plus, tient-il à raconter. J’ai pris
l’assiette, j’ai tout mangé.» Le corps de son père fut transporté à
l’extérieur du village et recouvert d’un peu de terre. Des hoquets de
sanglots dans la voix, Garbis saisit sa jambe en mimant des crocs :
«Les chiens l’ont mangé.» Depuis, il déteste les chiens. Enfin,
l’armée britannique s’installa dans la région en 1918. Garbis était
orphelin. Les Anglais le placèrent dans le camp de réfugiés numéro 34
réservé aux enfants arméniens. Puis l’adolescent vécut de petits
boulots, monta un pressing à Téhéran, commença à militer au Dachnak,
le parti nationaliste révolutionnaire arménien qu’il ne quittera
plus. En 1929, il partit avec sa jeune épouse, arménienne d’origine
russe, pour la France. «Une vie heureuse commençait.» Mais une vie de
rescapé hantée par le passé. Sa fille aînée, Lucie, raconte la
réaction de son père lorsque sa femme est morte : «Nous avons acheté
une concession au cimetière de Montparnasse. Papa s’est mis à
sangloter d’émotion : «Enfin, la famille a un lieu pour ses morts.»
Par la pensée, Garbis peut aussi y ensevelir ceux qui ont disparu
dans l’ anabad (1) de Deir Zor. (1) Désert en arménien.

Film de quartier; “Les Mauvais Joueurs” de Frederic Balekdjian

Le Figaro, France
23 avril 2005

Film de quartier; «Les Mauvais Joueurs» de Frédéric Balekdjian

Dans le quartier du Sentier à Paris, Vahé vit d’expédients et de
petits trafics avec son frère Toros et son copain Sahak. Mais les
arnaques au bonneteau et le profit des ateliers clandestins ne
peuvent sauver la boutique de tissus de son père ou retenir sa
compagne Lu Ann en train de le quitter. Sa vie est un échec et une
série de compromissions qui vont exploser avec l’arrivée de Yuen, le
frère de Lu Ann, qui va l’obliger à remettre en cause la fidélité à
ses amis et, plus loin, la valeur fragile de son existence. Le jeu de
bonneteau entouré de visages curieux et méfiants, les rues
grouillantes d’une faune inquiétante, l’atmosphère besogneuse et
feutrée des ateliers clandestins, c’est d’abord une atmosphère que
respire le premier film de Frédéric Balekdjian. Entre le polar et
l’étude de milieu, il a placé un trentenaire indécis et insatisfait
qui regarde le monde qui l’entoure, les petits truands qui se
démènent, les minables magouilles, la violence urbaine et, au-delà,
la vie d’une communauté, les Arméniens, et d’un quartier, celui du
Sentier, qu’il semble connaître comme sa poche. Il ne faut donc pas
s’attendre à un suspense tendu, à une action trépidante ou à des
tensions psychologiques. Les Mauvais Joueurs, son petit peuple
d’immigrés, son climat poisseux et affairé, a d’abord pour vedette un
lieu coloré, attachant et menaçant puis le visage désabusé et perdu
de Pascal Elbé, jeune homme qui cherche autre chose en se cherchant
lui-même au milieu de ses mauvaises habitudes, des clans, des
copains, des coquins.

Avec quelques longueurs, une nonchalance qui veut s’attarder sur des
détails ou sur le néant d’une vie, le film poursuit lentement son
chemin jalonné d’éclairs de violence. Ce n’est pas le Sentier de la
guerre mais plutôt celui du naufrage et d’un certain malaise que l’on
ressent, impalpable et insidieux comme un désespoir existentiel plus
profond et moins avouable. Pour ceux qui aiment regarder et méditer
avant l’orage. D. B.

10 000 Armeniens dans les rues d’Erevan por les 90 ans du genocide

SwissInfo, Suisse
23 Avril, 2005

10 000 Arméniens dans les rues d’Erevan por les 90 ans du génocide

EREVAN – Plus de 10 000 personnes ont défilé dans les rues d’Erevan à
la veille du 90e anniversaire du génocide arménien de 1915 sous
l’Empire ottoman. Ils ont réclamé qu’Ankara reconnaisse ces massacres
comme “génocide”.

Le président Robert Kotcharian a fait au même moment un geste de
bonne volonté en excluant de demander des compensations matérielles à
Ankara en échange de sa reconnaissance du génocide. Les massacres ont
fait 1,5 million de morts, selon Erevan, et 300 000 à 500 000, selon
Ankara.

“Arménie. Reconnaissance!”, ont scandé des milliers de manifestants,
essentiellement des jeunes, défilant torche à la main et formant une
grande marche aux flambeaux dans le centre d’Erevan.

Les représentants de la diaspora arménienne étaient nombreux à
participer à la marche aux flambeaux d’Erevan, avant les célébrations
de dimanche, où les organisateurs attendent 1,5 million de
participants.

Les cérémonies doivent débuter dimanche avec un dépôt de gerbe devant
le mémorial en présence du président Robert Kotcharian. Une messe
sera célébrée en fin de journée à Erevan et une minute de silence
observée à 19h00 (16h00 suisse) à travers tout le pays.

Le parlement polonais, à l’instar de 15 autres, vient de condamner ce
massacre, le qualifiant de génocide, suscitant la colère de la
Turquie, pays candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Un débat
sur le sujet s’est ouvert jeudi dernier au parlement allemand.

L’UE n’exige pas les excuses de la Turquie

L’UE n’exige pas les excuses de la Turquie
La France isolée en Europe sur le dossier arménien

Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet
[23 avril 2005]

Dans ses négociations avec Ankara, l’Union européenne n’a jamais
exigé de la Turquie une reconnaissance du génocide arménien. Et
pour cause : aucun État membre, pas même la France, ne l’a encore
explicitement demandé. La question arménienne ne figure pas parmi
les critères officiels d’adhésion de la Turquie. Le silence d’Ankara
sur le massacre de 1915 n’a pas été un obstacle à la décision
des Vingt-Cinq, le 17 décembre dernier, d’ouvrir les négociations
avec la Turquie, le 3 octobre. A l’occasion de ce sommet européen, les
Arméniens étaient venus en bus à Bruxelles, manifester leur
colère. Sans aucun effet sur les dirigeants européens, à
l’époque, bien plus préoccupés par la question chypriote.

L’anniversaire du génocide fournit aux Arméniens une nouvelle
occasion de faire pression sur Bruxelles. La Fédération européenne
des Arméniens a appelé, jeudi, la Commission et les États membres
à faire pression sur la Turquie pour exiger une reconnaissance
officielle du génocide. Au même moment, les ambassadeurs des États
mem bres préparaient la prochaine réunion des ministres des Affaires
étrangères avec leur homologue turc, mardi, à Luxembourg. Dans
leurs conclusions, pas une ligne ne sera consacrée à l’Arménie. Le
reconnaissance de Chypre par Ankara reste leur principale priorité.

Cette frilosité européenne reflète l’état embryonnaire du
débat. Seuls trois États membres sur Vingt-Cinq ont officiellement
reconnu le génocide de 1915 : la Grèce dès 1996, la Belgique en
1998 via le Sénat, et la France en 2001 par le biais du Parlement.
L’Allemagne, qui compte plus de deux millions de Turcs, n’a jamais
reconnu la réalité du génocide, pas plus que l’Espagne. La
Grande-Bretagne reste très prudente sur la question. En Italie, la
Chambre des députés a bien adopté, en 2001, une résolution
invitant le gouvernement à faire pression sur la Turquie, pour
reconnaître le génocide, mais cette démarche est restée sans
suite. Seule la France, où vit une importante communauté
arménienne (400 000 personnes), relance régulièrement le débat,
mais apparaît très isolée.

Pressé d’agir, Jacques Chirac se trouve en porte à faux car il est
aussi l’un des plus fervents défenseurs de la candidature d’Ankara.
Malgré la pression des Arméniens de France, Chirac n’a pas voulu, le
17 décembre, faire de la reconnaissance du génocide une condition
à l’ouverture des négociations avec Ankara. En revanche, le chef de
l’État a mis en garde la Turquie pour l’avenir. «Le travail de
mémoire de la Turquie dans cette affaire est incontournable», a-t-il
affirmé à Bruxelles. «Si ce travail n’était pas fait d’ici la
fin des négociations, les Français en tiendront compte dans leur
jugement sur le traité d’adhésion.» Jacques Chirac a promis aux
Français un référendum sur l’entrée de la Turquie dans l’Union
«d’ici dix ou quinze ans».

Georgian Authorities Oppress National Minorities

GEORGIAN AUTHORITIES OPPRESS NATIONAL MINORITIES
24/04/2005 19:00 TBILISI, April 23
(RIA Novosti)

Georgian authorities oppress representatives of ethnic minorities,
announced chairman of the “Civil movement – multi-ethnic Georgia”
Arnold Stepanyan in an interview with News-Georgia agency.

He said that representatives of ethnic minorities often appeal to the
“Civil movement – multi-ethnic Georgia” organization for protection of
their rights. According to Arnold Stepanyan, there were cases when
people were expelled from educational institutions or evicted from
their apartments because of their ethnic roots.

Arnold Stepanyan pointed out that one of the major goals of the
Association that unites 56 organizations representing 18 ethnic groups
is “the assessment of the possibility of future ethnic conflicts in
the country and the search for ways of their settlement.”