Le Monde, France
24 septembre 2004
M. Erdogan met fin à la crise en promettant de réformer le code
pénal turc dÚs dimanche
Bruxelles, Istanbul de nos correspondants
Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre turc, peut se réjouir. Au
terme d’une longue journĂ©e de rencontres et d’explications avec les
responsables européens à Bruxelles, jeudi 23 septembre, il a mis fin
à la crise qui, depuis deux semaines, menaçait de ruiner les espoirs
de la Turquie d’intĂ©grer l’Union europĂ©enne. Le report inattendu de
l’adoption par le Parlement turc de la rĂ©forme du code pĂ©nal avait
mis le feu aux poudres. La visite de M. Erdogan a permis de relancer
les discussions sur des bases apaisĂ©es. Lors d’une rencontre avec le
commissaire Ă l’Ă©largissement, GĂŒnter Verheugen, le premier ministre
turc s’est engagĂ© Ă prĂ©senter cette rĂ©forme, dĂšs dimanche, devant un
Parlement réuni en session extraordinaire.
La rĂ©forme devra ĂȘtre adoptĂ©e et ne prĂ©voit pas, a-t-il insistĂ©, la
pĂ©nalisation de l’adultĂšre, mesure initialement voulue par une
fraction du parti musulman au pouvoir (l’AKP, le Parti de la justice
et du dĂ©veloppement), et qui prĂ©voyait des peines d’emprisonnement.
Enthousiaste, M. Verheugen a aussitÎt annoncé son intention de
formuler une “recommandation trĂšs claire” sur l’ouverture de
nĂ©gociations d’adhĂ©sion avec la Turquie. “Ma conclusion est qu’il n’y
a dĂ©sormais plus d’obstacles sur la table. De mon point de vue, la
Turquie n’a pas de conditions additionnelles Ă remplir pour permettre
Ă la Commission de faire une recommandation”le 6 octobre, a mĂȘme
indiquĂ© le commissaire allemand. “Nous avons fait notre travail”, a
renchĂ©ri M. Erdogan. Selon lui, il n’y a dĂ©sormais “pas de raison de
ne pas obtenir de rĂ©ponse positive”.
Un peu plus tard, le chef du gouvernement turc est allé rendre visite
aux eurodĂ©putĂ©s. DivisĂ© par la perspective de l’adhĂ©sion turque, au
diapason des opinions publiques europĂ©ennes, le Parlement n’a qu’un
rĂŽle consultatif dans cette affaire, mais il espĂšre peser sur la
décision des Etats membres, avant le conseil décisif du 17 décembre.
MINIMISER LE CONFLIT
Le premier ministre turc a cherché à minimiser le récent conflit. Il
a estimĂ© qu’il y avait eu une “fausse information”Ă propos du projet
de pĂ©nalisation de l’adultĂšre. “On parle de quelque chose qui ne
figure pas dans le code pĂ©nal, qui n’est jamais venu devant le
Parlement et qui n’a jamais Ă©tĂ© votĂ©”, a-t-il affirmĂ©.
Toutefois, devant la conférence des présidents du Parlement européen,
réunie à huis clos, un peu plus tÎt, il a bien admis que des membres
de son parti avaient introduit cette “discussion” en commission.
Joost Lagendijk, président (Vert) de la commission parlementaire
mixte UE-Turquie, assure que M. Erdogan a mĂȘme ajoutĂ© :
“Personnellement, je n’ai pas changĂ© d’avis, je continue de penser
que ç’aurait Ă©tĂ© une bonne chose, afin de protĂ©ger la famille.”
Daniel Cohn-Bendit, le président des Verts, affirme au contraire que
le dirigeant turc s’est contentĂ© d’un “Il faut protĂ©ger la famille”.
Certains Ă©lus, bien que partisans de l’entrĂ©e de la Turquie dans
l’Union europĂ©enne, ont demandĂ© Ă M. Erdogan de nouveaux efforts,
lorsque celui-ci les a assurĂ©s que son pays “remplit entiĂšrement les
critĂšres de Copenhague” fixĂ©s pour ouvrir les nĂ©gociations.
“Soyons honnĂȘtes entre nous, a dĂ©clarĂ© Joost Lagendijk, vous ne les
appliquez pas Ă 100 % !”. M. Cohn-Bendit lui a demandĂ© de retirer du
code pĂ©nal “une disposition ambiguĂ« qui autorise Ă punir
d’emprisonnement le fait de parler du gĂ©nocide armĂ©nien ou de
l’occupation du nord de Chypre”. Le prĂ©sident du Parti populaire
europĂ©en, l’Allemand Hans-Gert Pöttering, a dĂ©clarĂ© qu’il est “trop
tĂŽt” pour ouvrir les nĂ©gociations, alors que “la torture est encore
pratiquĂ©e, comme l’affirme un rĂ©cent rapport de Human Rights Watch”.
M. Erdogan a assurĂ© que la torture n’est “pas systĂ©matique”, comme “a
pu le constater un envoyĂ© spĂ©cial de la Commission”.
A Ankara comme Ă Istanbul, cette visite du premier ministre Ă
Bruxelles a été suivie minute par minute, dans un climat de
soulagement, parfois d’euphorie. L’AKP a aussitĂŽt dĂ©posĂ© une
pétition, signée par 208 députés, auprÚs de la présidence de
l’AssemblĂ©e nationale, demandant une rĂ©union extraordinaire du
Parlement le dimanche 26 septembre Ă 11 heures pour adopter cette
réforme du code pénal.
Le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, BĂŒlent Arinç, devait confirmer
vendredi, au cours d’une confĂ©rence de presse, que la requĂȘte a Ă©tĂ©
acceptée. La plupart des articles du code pénal ont déjà été
acceptĂ©s, mais l’hĂ©micycle doit encore approuver deux articles liĂ©s Ă
son entrée en vigueur.
Nicole Pope, R. Rs et Philippe Ricard